lundi 17 novembre 2014

La Symphonie des spectres - John Gardner



D’abord écrivain adulé et respecté par ses pairs, John Gardner commet à leurs yeux l’irréparable en publiant un essai dans lequel il expose sa conception de l’art d’écrire et de la littérature et se permet de critiquer ouvertement ses coreligionnaires qui ne le lui pardonneront pas.
Incompris, l’écrivain se renferme sur lui-même, se réfugie dans l’alcool. Il divorce, se remet en couple avec une jeune femme qui pourrait être sa fille. Malgré les bonnes ventes de ses premiers ouvrages, John Gardner est sans cesse sans le sou et se retrouve dans le collimateur de l’IRS. Hanté par la mort de son petit-frère dont il se croit responsable, il parvient néanmoins à vaincre un cancer et à poursuivre ses activités littéraires. Il se jette à corps perdu dans un dernier roman qu’il veut être le symbole et la démonstration de sa propre vision de la littérature. Il s’y implique jusqu’à faire de son personnage principal son alter ego.
« Mickelsson, c’est moi, dira Gardner. Mais je ne crois pas être aussi fou. »
A sa sortie, La Symphonie des spectres passera inaperçu. Son auteur trouve la mort peu après dans un accident de moto.


Peter Mickelsson est un professeur de philosophie réputé qui a connu le succès et la reconnaissance grâce à de nombreux ouvrages qu’il a publiés. Son divorce lui fait tout perdre : son foyer, sa renommée, ses amis et collègues, sa prestigieuse université.
Il parvient néanmoins à trouver un poste dans une petite faculté. Bien qu’il n’y soit pas contraint, Mickelsson reverse la quasi intégralité de son salaire à son ex épouse qui continue à mener grand train. Le peu d’argent qui lui reste part dans l’alcool. Les ennuis financiers commencent et Mickelsson survit grâce à ses chèques en bois et la confiance des commerçants locaux. Lassé du taudis qui lui sert d’appartement, il va même jusqu’à acheter une maison à retaper, une très belle maison à l’écart dans les montagnes. Mais des bruits circulent au sujet de cette maison. Dans le pays, on la prétend hantée.
Mickelsson entre alors dans une danse avec ses fantômes. Sa belle vie passée revient le hanter, les souvenirs d’enfance, de ses parents, ses obsessions : l’alcool, les femmes, l’IRS le tourmentent, il cherche désespérément à trouver un sens à sa nouvelle existence dans de nombreuses réflexions philosophiques sur lesquelles plane l’ombre de Martin Luther et Nietzsche. Peu à peu, grâce à ses nouvelles relations et ses échanges avec les étudiants, il se remet en question. Pensant être un homme exemplaire à l'éthique irréprochable, ses principes et convictions s’ébranlent et s'effritent. 

La Symphonie des spectres est un roman monumental que je n’hésite pas là à qualifier de chef d’œuvre. C’est un roman extrêmement riche et complexe. Riche par la pluralité de thèmes qu’il aborde. Le contexte est celui des élections présidentielles opposant Carter à Reagan. John Gardner retranscrit l’atmosphère de ce moment particulier évoquant les attentes et les craintes de la population ainsi que les grands enjeux politiques, économiques et sociaux. On retrouvera alors la grande question de l’énergie nucléaire à travers le fils de Mickelsson, militant écologique, et également des déchets toxiques à travers le problème des décharges sauvages. Sur le plan social, c’est le sujet de l’avortement qui est mis sur la table ainsi que les problèmes de cohabitation entre les différentes communautés. J’ai appris ainsi pas mal de choses notamment sur les Mormons. A l’université, les marxistes font entendre leur voix et demandent à ériger la sociologie en science indépendante d’autres disciplines. La querelle entre les départements de sociologie et de philosophie fait rage.
C’est aussi la description de la vie dans une petite ville de montagne avec la mentalité de ses habitants, leur comportement vis-à-vis de l’étranger, leurs superstitions, les légendes et croyances. Ainsi vous croiserez des sorciers, des ovnis, le bras armé d’une secte et des serpents à sonnette.
Roman fantastique, social, La Symphonie des spectres est aussi un thriller. Le précédent propriétaire de la maison de Peter est mort dans d’étranges circonstances. Mickelsson apprend qu’il menait une enquête et va vouloir en savoir un peu plus. Mais quand la curiosité pointe son nez, les cadavres s’amoncellent.

Et à travers ce contexte fourmillant, Peter Mickelsson dont le comportement suscite de plus en plus d’interrogations. Qu’en est-il de ses fantômes dans sa maison ? Sont-ils dus à ses hallucinations liées à la consommation excessive d’alcool ? Ou bien à un don de préscience ? Ou Mickelsson ne serait-il pas tout simplement fou ?
John Gardner, s’identifiant partiellement à son personnage, nous invite à une véritable dissection psychologique. Dans les remerciements, il mentionne Joyce Carol Oates dont on connaît le talent et la profondeur psychologique qu’elle donne à ses personnages. John Gardner ne procède pas autrement et va encore plus loin. Il pousse son personnage au-delà des frontières qu’il s’est fixées à lui-même, celles de la moralité. Le résultat est bluffant et digne d’un roman de Dostoievski ( et je n’exagère absolument pas !)
Quant au style, j’ai souvent pensé à Philip Roth. John Gardner est un tantinet aussi bavard mais quelle plume ! Quelle précision !
Bourré de références littéraires et philosophiques, la lecture de La Symphonie des spectres n’est pas facile, parfois déroutante en particulier lors de longues digressions dont on ne semble pas voir le bout. Les profanes en philosophie comme moi risquent de s’y perdre notamment lorsque l’auteur nous invite à assister aux cours du professeur Mickelsson et aux débats qu’il engage avec ses étudiants. Mais quel régal lorsqu’on a la force de tenir et de poursuivre son chemin ! Quel choc de voir ce personnage s’embourber dans ses problèmes, d’assister ainsi, impuissant, à sa propre autodestruction.
Le lecteur est prisonnier du cerveau torturé de Mickelsson, on s’y perd complètement et on ne sait plus que croire. Le personnage nous laisse perplexe tant il semble s’obstiner dans le malheur alors que les solutions sont à portée de main. Mickelsson nous entraîne avec lui, malgré nous, dans cette danse macabre.

Je ne peux donc que vous conseiller la lecture de ce roman magistral à l’atmosphère si troublante et dont on ressort complètement envoûté. 


« Mickelsson s’enterrait volontairement dans les dettes et le chaos financier. Cela entrait dans sa colère contre l’ensemble du monde, contre die Welt, dans le sens particulier à Heidegger : la société, les valeurs et les exigences traditionnelles. Que cela lui plût ou non, il se sentait pareil à Gulliver chez les Lilliputiens. Il avait daigné se comporter comme monsieur Tout-le-monde, achetant ce que la télévision lui disait d’acheter, donnant à sa femme ce que sa position d’épouse de professeur exigeait, et le résultat était qu’il se retrouvait pareil à un géant ligoté par des ficelles. Plutôt que de couper ces liens un à un, avec une patience de fourmi, il préférait mourir sur place et pourrir sur la colline à laquelle il était attaché, en espérant que sa douce puanteur chasserait les Lilliputiens de leur île. »



16 commentaires:

  1. Whaou ! Un tel enthousiasme me fait illico ajouter ce titre dans ma liste de lectures à venir. Tant de superlatifs, l'ouvrage semble incontournable :)

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    1. Il l'est assurément ! Il faut prendre son temps pour le lire, c'est un beau pavé de 900 pages avec quelques longueurs mais ça vaut vraiment la peine !

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  2. Un chef d'oeuvre, je veux bien te croire. Il faut juste être dans de bonnes dispositions pour s'y lancer ;)

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    1. Dans de bonnes dispositions et surtout avoir du temps à lui consacrer ;-)

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  3. Hmmm, ta chronique m'a emballée de bout en bout et la citation finale m'achève ! Je note immédiatement ce titre !

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    1. Tu vas te régaler ! C'est un roman comme on n'en trouve plus dans la production actuelle.

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  4. Une lecture qui me tente énormément :)

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    1. Laisse-toi tenter car il mérite vraiment d'être redécouvert et de connaître le succès qui lui a été volé à sa sortie.

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  5. Et bien tout ça est très tentant. J'avais déjà entendu parler de l'auteur, y'a plus qu'à ;)

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    1. N'hésite pas ! Au moins tu avais déjà entendu parler, pour moi c'était un total inconnu et ça n'est vraiment pas normal au vu de la qualité de ce roman.

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  6. Quel enthousiasme dis donc !!!! Ca a l'air si dense qu'il me fait presque peur !
    Ecoute je le note, mais pas pour tout de suite, je ne suis pas sûre d'avoir envie de cela maintenant.

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    1. C'est vrai qu'il est dense. Si tu as prévu des vacances en montagne cet hiver, je pense que ce serait la lecture idéale !

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  7. Voilà un billet fort tentant !!! Je note le nom de cet auteur que je ne connaissais pas... mais si tu le compares à JC Oates à laquelle je voue un culte, cela ne peut que me plaire ;-)

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    1. Je crois alors que tu peux y aller sans crainte. D'autant plus que Gardner admirait beaucoup JC Oates et son influence se ressent vraiment.

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  8. Non mais je rêve, tu tombes sur un chef-d’œuvre "par hasard" !
    Et bien, on peut dire que tu as de l’œil ! :)

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    1. J'avoue, j'ai fait ma petite joueuse, j'ai lu les 4 de couv avant de choisir :p
      Je vais essayer d'y aller vraiment au hasard total pour la 2ème session.

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