samedi 20 décembre 2014

Le Colloque des Bonobos - Frédéric Lepage


Si la grue était douée de raison,
Elle diviserait les vivants
Entre les grues et tous les autres,
Indistinctement unis dans un seul bloc.
Platon
Le Politique


En son temps, Darwin choquait en montrant que l’être humain et les singes provenaient d’un ancêtre commun.
Malgré ça, l’homme n’a eu de cesse de justifier sa prétendue supériorité sur les autres espèces en se basant sur toutes sortes d’arguments, aussi bien religieux que scientifiques.
Profitant de cette supériorité, l’homme a plié la nature à sa volonté. Il ne s’y adapte plus mais la fait s’adapter à lui, peu soucieux des autres espèces qu’il met alors en danger.
Depuis les progrès de la science ont montré que les chimpanzés et les êtres humains partagent l’essentiel de leur patrimoine génétique jusqu’à plus de 98% d’ADN en commun.
«L'écart génétique entre l'homme et le chimpanzé est bien moins grand que celui qui sépare les deux espèces d'orang-outan», note le généticien de l'évolution Pierre Darlu (Inserm).
Comment continuer alors à affirmer haut et fort que l’homme est le seul être vivant digne de figurer tout au sommet de l’arbre des espèces ? Qu’est-ce qui le différencie des autres ?

Dans son livre, Frédéric Lepage imagine un colloque au cours duquel les chimpanzés sont invités à réfléchir à cette question et à décider si oui ou non ils acceptent d’être considérés comme les égaux des êtres humains.
A travers différents personnages, Frédéric Lepage, auteur et producteur de films documentaires, laisse s’exprimer les pour et les contre reprenant des résultats et conclusions de recherches scientifiques validées par Sandrine Prat paléoanthropologue chargée de recherche au CNRS.

Villeurbanne est un chimpanzé bonobo, cobaye de laboratoire qu’on a laissé sortir afin de représenter ses congénères à la conférence. Il est farouchement contre l’égalité avec l’homme convaincu qu’il est de son importance et de son indispensable rôle dans les progrès de la science pour laquelle il est prêt à se sacrifier. Il est aussi extrêmement satisfait de ses conditions de vie. Utilisé comme mâle reproducteur, il peut féconder toutes les femelles qu’il souhaite sans avoir à combattre un quelconque mâle dominant. Pour lui, c’est le Paradis !
Congo est un autre bonobo venu tout spécialement du continent africain résolu à voter pour la résolution qui ferait des hommes et des chimpanzés des frères. Il est chargé de rédiger son discours inaugural. C’est l’occasion pour lui de réfléchir à des arguments percutants et irréfutables afin de convaincre l’assemblée de voter dans sa direction.
Bianga est une femelle bonobo issue d’une autre zone géographique. Elle doit accompagner celle qui est chargée de les représenter, l’Imprécatrice. Mais ne partageant pas ses vues, elle s’arrange pour la blesser et prendre sa place. Elle aussi, a l’intention de voter pour la résolution. Elle espère que cette égalité garantira la protection de son espèce.

Le colloque est l’occasion d’âpres débats entre nos personnages. Les arguments toujours avancés par les hommes pour proclamer leur supériorité sont passés en revue et réfutés : l’utilisation et la fabrication d’outils ? Les bonobos aussi en ont fait preuve ! Le langage ? Une des leurs a appris la langue des signes et est parvenue à communiquer ainsi ! La station debout ? Les émotions ? Balayés d’une main. Qu’ont donc les hommes de plus qu’eux à présent ?
L’enjeu est important et les esprits s’échauffent. Tentative de corruption, manipulation, intervention d’un groupe « terroriste » composé d’orangs-outans et de gorilles scandalisés d’être laissés de côté, ce colloque se révèle plein de surprises et est très animé. Alternant passages humoristiques, réflexions scientifiques et philosophiques, Frédéric Lepage livre ici un court mais passionnant récit et invite à la réflexion. On y apprend également beaucoup sur les bonobos et les chimpanzés. Dans la même veine que La Planète des Singes, le fait que les animaux soient les protagonistes principaux sollicite notre empathie ( aussi considérée comme une prérogative humaine ) et permet un changement de point de vue bénéfique et efficace.

Un roman original et intelligent pour remettre un peu l’homme à sa place !

Et un grand merci à mon mari qui parvient toujours à me dénicher des petits trésors chez le bouquiniste.





jeudi 18 décembre 2014

Fleur de Neige - Lisa See



4ème de couverture :

Dans la Chine du XIXème siècle, le destin de deux jeunes filles est lié à tout jamais. Fleur de Lis, fille de paysans, et Fleur de Neige, d’origine aristocratique, sont nées la même année, le même jour, à la même heure. Tous les signes concordent : elles seront laotong, âmes sœurs pour l’éternité.
Les deux fillettes grandissent, mais si leur amour ne cesse de croître, la vie s’acharne à les séparer. Alors que la famille de Fleur de Neige tombe en disgrâce et que la jeune fille contracte le mariage le plus infâmant qui soit, Fleur de Lis, par son union, acquiert reconnaissance et prospérité. L’amitié sacrée des deux femmes survivra-t-elle au fossé que le destin a creusé entre elles ?

Mon avis :

Lorsque Sarah nous a proposé ce titre lors de notre club de lecture et qu’elle nous en a lu le résumé que je vous ai rapporté ci-dessus, je vous avoue que je n’étais que très moyennement enthousiaste. Je ne sais pas vraiment pourquoi mais je craignais un texte et des personnages larmoyants donnant dans le pathos. Et j’ai finalement été très agréablement surprise. (merci Sarah !)

Fascinante immersion dans la vie quotidienne de la Chine rurale au XIXème siècle, Fleur de Neige est un roman derrière lequel se cache un véritable documentaire sur la condition des femmes chinoises de l’époque et la description d’une société très hiérarchisée qui compte bien des points communs avec d’autres sociétés d’autres contrées.

Le début du roman est assez dur pour le lecteur sensible car Lisa See nous évoque immédiatement la tradition des pieds bandés, coutume qui aura perduré jusqu’au milieu du XXème siècle. Vers l’âge de 7 ans, toutes les petites filles doivent subir un rituel qui relève de la pure mutilation. Le but est d’obtenir les pieds en forme de lis les plus jolis afin de pouvoir contracter le meilleur mariage possible. Ce rituel est un vecteur d’ascension sociale puisque ce critère permet même à une femme d’origine modeste de pouvoir envisager une union avec une famille de statut plus noble. La fillette qui refuse de se soumettre à cette torture volontaire est condamnée socialement à ne pas se marier et, dans le meilleur des cas, à travailler au service des autres sans bénéficier d’aucune protection. Cependant la pratique des pieds bandés est une pratique extrêmement douloureuse et dangereuse puisque une fillette sur 10 n’y survit pas. D’autres peuvent connaître des complications qui les handicapent à vie. Mais de toutes façons, jamais plus une femme aux pieds bandés ne pourra parcourir de longues distances à pied. Mais peu importe puisque dans la société chinoise de l’époque, une femme reste cloîtrée dans ses quartiers, s’occupe de son foyer, des travaux de couture, de ménage, de cuisine.
Les descriptions sont très dures puisque Lisa See nous explique par le détail comment les femmes procédaient au bandage des pieds. J’en étais mal à l’aise au point de ne plus supporter mes chaussettes, j’avais mal aux pieds par procuration !

Ce souci du détail et de la précision de la part de l’auteur se remarque aussi pour tout le reste. Elle se livre à une véritable étude sociologique. Les relations au sein de la famille sont expliquées dans toute leur complexité : le rôle des épouses, des mères, du mari, des concubines, la place des enfants selon leur sexe. Les relations extra familiales apparaissent aussi à travers la coutume des sœurs adoptives qui accompagnent une jeune fille jusqu’à son mariage et celle du laotong qui consiste à unir deux petites filles dont tous les signes concordent, un lien très puissant puisqu’il est censé durer toute la vie. La force de ce lien sera mis à rude épreuve pour Fleur de Lis. Son attachement à son âme sœur Fleur de Neige lui est d’autant plus précieux que Fleur de Lis recherche désespérément à être aimée, elle qui n’a jamais connu aucun geste d’amour ou de tendresse de la part de ses parents. Les mariages étant arrangés, elle n’espère pas d’amour de ce côté là et reporte toutes ses attentes sur sa laotong avec tous les risques qu’un amour unique peut comporter.

Lisa See n’oublie pas non plus le contexte historique puisqu’elle place son intrigue à l’époque de la révolte des Taiping. Elle nous explique aussi tous les bouleversements liés à chaque changement d’empereur et les répercussions que cela peut avoir sur les familles. Des fortunes peuvent être rapidement anéanties. Quand ce ne sont pas les soldats impériaux ou les révoltés qui saccagent et ravagent la population, les fléaux naturels prennent le relais et effectuent aussi leur sinistre besogne ainsi la fièvre tiphoïde qui décime une large partie de la population.
Personne n’est à l’abri, le statut social et la fonction ne protègent de rien. Certains sont même infamants à vie et ce n’est pas sans rappeler la caste des intouchables en Inde.

Il y a encore beaucoup de choses à découvrir dans ce roman richement documenté ( l'auteur est allée sur place et a recueilli des témoignages ) et dont je ne vous dirai rien. Je ne peux que vous inciter à le lire tant il est magnifique, écrit de façon subtile et douce, un style qui se marie bien avec le propos et le destin des personnages. Ce roman m’a transportée dans le temps et dans l’espace, m’a touchée, horrifiée mais je suis ressortie de ma lecture enchantée et envoûtée. J’ai appris énormément, bref, Fleur de Neige concentre tout ce que j’aime dans un livre.



lundi 8 décembre 2014

Sous le soleil de Satan - Georges Bernanos


« Dieu n’est pas là, Sabiroux ! »

Nietzsche nous annonçait la mort de Dieu. Bernanos nous apprend qu’il s’est effacé au profit du Diable.

« - Prince du monde ; voilà le mot décisif. Il est prince de ce monde, il l’a dans ses mains, il en est roi.
… Nous sommes sous les pieds de Satan, reprend-il après un silence. Vous, moi plus que vous, avec une certitude désespérée. Nous sommes débordés, noyés, recouverts. Il ne prend même pas la peine de nous écarter, chétifs, il fait de nous ses instruments ; il se sert de nous, Sabiroux. »

Alors que rien ne laissait augurer de ses capacités à endosser efficacement la charge de prêtre, l’abbé Donissan semble soudainement touché par la grâce divine et se construit peu à peu une réputation de Saint.

Pourtant, Sous le soleil de Satan est loin d’être le récit d’une ascension mais bien plutôt celui d’une chute, celle de l’abbé Donissan qui, après avoir cru en Dieu, se laissera envahir par le désespoir lié à son impuissance dans la lutte contre le péché, contre Satan.

Le roman se découpe en 3 parties.
La première est consacrée à Mouchette, une jeune fille de 16 ans, très jolie. Mouchette plaît beaucoup aux hommes mais comme de nombreuses femmes, elle cherche surtout un homme capable de l’aimer sincèrement et qui ne verra pas en elle qu’une occasion de se donner du plaisir. Malheureusement, elle ne rencontre que des amants peu sérieux. Sa haine et sa rage vont croissants et la poussent à commettre l’irréparable.
Dans la deuxième partie, nous faisons la connaissance de l’abbé Donissan et du prêtre chargé de son instruction. D’abord peu convaincu par les aptitudes de son protégé, il cherchera par la suite à le mettre en garde et le conseiller afin de faire face à sa nouvelle et sainte destinée. En effet, l’abbé Donissan se révèle être touché par la grâce divine. Emporté par de grands élans mystiques, l’abbé pousse sa ferveur à l’extrême jusqu’à mettre sa santé en péril : jeûnes prolongés et répétés, auto-flagellations, port du cilice et autres mortifications destinées à l’expiation de ses fautes. La rencontre entre l’abbé Donissan et l’Ange Déchu en personne convainc le jeune prêtre dans sa détermination à lutter pour le salut des âmes que Dieu lui a confiées.
Dans la troisième partie, il se rend compte de la supériorité écrasante de son adversaire. Il ne va pas jusqu’à renier Dieu mais comme le fera remarquer un de ses visiteurs :
« Quel dommage […] qu’un tel homme puisse croire au Diable ! »

La sainteté de l’abbé Donissan ne repose finalement sur pas grand-chose. De lui semble irradier une sorte d’aura, il a vu le Diable, il a eu quelques visions mais tous ses efforts pour faire le Bien semblent vains. Il s’épuise même à la tâche.

« Son extérieur est d’un saint, et quelque chose en lui, pourtant, repousse, met sur la défensive… Il lui manque la joie… »

L’abbé Donissan m’a fait l’effet d’un prophète en négatif plutôt que celui d’un saint. Sa rencontre nocturne avec Satan alors qu’il est perdu dans la campagne déserte m’a rappelé Moïse et le Buisson Ardent. La façon dont Bernanos évoque ses mortifications invite au parallèle avec Jésus, à de nombreuses reprises d’ailleurs, il mentionne la croix portée par l’abbé. La tentative de résurrection du jeune garçon s’y rattache également. A la différence que chez l’abbé Donissan, tout bascule du mauvais côté.
Son mysticisme, qui est censé le transcender et lui procurer la force et la joie, ne s’accompagne que de désespoir et d’épuisement.

Bergson, dans son ouvrage Les deux sources de la morale et de la religion, définit ainsi le mysticisme :

« C'est, désormais, pour l'âme, une surabondance de vie. C'est un immense élan. C'est une poussée irrésistible qui la jette dans les plus vastes entreprises. Une exaltation calme de toutes ses facultés fait qu'elle voit grand et, si faible soit-elle, réalise puissamment. Surtout elle voit simple, et cette simplicité, qui frappe aussi bien dans ses paroles et dans sa conduite, la guide à travers des complications qu'elle semble ne pas même apercevoir. Une science innée, ou plutôt une innocence acquise, lui suggère ainsi du premier coup la démarche utile, l'acte décisif, le mot sans réplique . L'effort reste pourtant indispensable, et aussi l'endurance et la persévérance. Mais ils viennent tout seuls, ils se déploient d'eux-mêmes dans une âme à la fois agissante et agie , dont la liberté coïncide avec l'activité divine. Ils représentent une énorme dépense d'énergie, mais cette énergie est fournie en même temps que requise, car la surabondance de vitalité qu'elle réclame coule d'une source qui est celle même de la vie. »

Chez Donissan, c’est l’effet complètement inverse. Non pas une surabondance de vie ni un immense élan mais plutôt un lourd fardeau, une croix démesurée à porter. L’exaltation n’est pas calme, elle est furieuse et paniquée. Il aperçoit clairement les complications et plie sous leur poids. Même s’il trouve souvent les mots justes, l’énergie que cet exercice exige de lui le fatigue au point que ses paroles finissent par ne plus atteindre leur but. Ainsi, il ne parvient pas même à sauver l’âme de Mouchette.
C’est un abbé écrasé par la puissance non pas divine mais satanique. Lutter contre Satan est impossible. Pour cela, il faudrait faire preuve de ruse et la ruse n’est-elle pas un des attributs du Diable ? Lutter contre lui, c’est déjà lui faire allégeance. Le défier, comme l’a fait l’abbé, un sursaut d’orgueil et donc aussi un péché. Il semble même être venu à penser que Dieu lui-même est désarmé face à celui qui lui a désobéi. Dieu se serait alors retranché dans une forteresse dont il a fait des hommes les remparts. Ils absorbent tout le Mal dispensé par le Diable en commettant péchés sur péchés pour ensuite les déverser et s’en décharger au confessionnal. Face à ces déferlantes ininterrompues, l’abbé tombe dans un profond désespoir. La lutte est inégale et Satan n’a que faire de troubler le commun des mortels, il s’attaque aux meilleurs d’entre eux :

« Pourquoi disputerait-il tant d’hommes à la terre sur laquelle ils rampent comme des bêtes, en attendant qu’elle les recouvre demain ? Ce troupeau obscur va tout seul à sa destinée … Sa haine s’est réservé les saints. »

«  Où l’enfer trouve sa meilleure aubaine, ce n’est pas dans le troupeau des agités qui étonnent le monde de forfaits retentissants. Les plus grands saints ne sont pas toujours les saints à miracles, car le contemplatif vit et meurt le plus souvent ignoré. Or l’enfer aussi a ses cloîtres. »

Voilà ce que j’ai compris de ce roman. Je suis peut-être totalement à côté de la plaque. Je ne vous cache pas que ma lecture a été laborieuse et que moi aussi j’ai du lutter pour en venir à bout. Ce texte de Bernanos a la réputation d’être assez difficile et je comprends maintenant pourquoi. Bernanos parsème son récit de longs passages qui me sont restés complètement abstrus. J’ai eu l’impression qu’il exprimait quelque chose de très intime, peut-être vécu mais en tout cas très personnel et donc impossible à comprendre sans être dans sa tête. En tant que lecteur, on reste totalement à l’écart, en spectateur perplexe. Le style m’a parfois aussi posé problème. Non pas que ce soit mal écrit, il y a des lignes magnifiques, mais j’ai du m’y reprendre à plusieurs fois sur certaines phrases, la construction syntaxique m’échappant totalement.
Pourtant ce roman est magistral par sa thématique et l’intrigue mais j’ai trouvé le traitement terne. On ne ressent absolument pas la tension dramatique à laquelle pourtant le sujet se prête bien volontiers. Ça manque de puissance d’évocation, de force.

Sous le soleil de Satan est un roman très complexe et difficile d’accès selon moi ( je ne suis peut-être pas assez armée pour l’aborder ). J’ai le sentiment qu’il dit beaucoup de choses mais qu’elles m’échappent. Par exemple, il me semble que Bernanos a voulu dire quelque chose au sujet de la vieillesse, il insiste beaucoup là-dessus mais je n’ai pas compris où il voulait en venir.

Cependant je ne suis pas complètement fâchée avec Bernanos bien qu’il n’ait pas su me séduire cette fois-ci. J’ai cru comprendre que Le journal d’un curé de campagne était plus accessible et transcendant. Je lui redonnerai donc sa chance.

Si vous avez lu Sous le soleil de Satan et que vous avez des éclaircissements à m’apporter, n’hésitez surtout pas à m’en faire part.


« - Un Saint ! Vous avez tous ce mot dans la bouche. Des saints ! Savez-vous ce que c’est ? Et vous-même, Sabiroux, retenez ceci ! Le péché entre en nous rarement par force mais par ruse. Il s’insinue comme l’air. Il n’a ni forme, ni couleur, ni saveur qui lui soit propre, mais il les prend toutes. Il nous use par-dedans. Pour quelques misérables qu’il dévore vifs et dont les cris nous épouvantent, que d’autres sont déjà froids, et qui ne sont même plus des morts, mais des sépulcres vides. Notre-Seigneur l’a dit : quelle parole, Sabiroux ! L’Ennemi des hommes vole tout, même la mort, et puis il s’envole en riant. »

Dante et Virgile - William Bouguereau




jeudi 4 décembre 2014

Noces de cire - Rupert Thomson



J’aime beaucoup les romans consacrés à des artistes, en particulier les peintres et les sculpteurs. Lorsque j’ai lu que celui-ci avait pour personnage principal un sculpteur sur cire, ça m’a tout de suite intéressée. Je n’ai pas tilté sur le coup mais une fois ma lecture entamée, ça m’est revenu. J’avais vu il y a un certain temps déjà un documentaire qui parlait justement d’un sculpteur sur cire aux inspirations plutôt morbides. Eh bien c’est lui que Rupert Thomson a choisi pour héros de son roman.

Gaetano Zummo ( Zumbo) a vécu au XVIIème siècle en Italie. Il a notamment été appelé à Florence par le grand-duc de Toscane Cosme de Médicis pour lequel il a effectué plusieurs œuvres.
Zumbo était particulièrement attiré par l’anatomie qu’il a étudiée à Rome et à Bologne. Ses œuvres s’apparentent plus à des études qu’à de simples représentations du « Beau ». Après avoir quitté le grand-duc, Zumbo s’associe avec un chirurgien français auprès duquel il exécute d’incroyables pièces anatomiques si réalistes et précises qu’elles furent présentées à l’Académie des Sciences.
On lui doit aussi, parmi les ouvrages réalisés pour Cosme, de véritables tableaux de cire représentant les différents stades de décomposition du corps humain. Les maladies dont la peste et la syphilis furent pour lui de véritables objets d’étude.

Dans son roman, Rupert Thomson retrace la partie de la vie de Zumbo qu’il a passée à Florence. Son récit s’entrecoupe des souvenirs de Zumbo attachés à sa Sicile natale et à la famille qu’il a laissée derrière lui, à ses relations violentes avec son frère qui le déteste, et aux rumeurs scandaleuses qui traînent dans son sillage.
Installé à Florence, Zumbo se sent surveillé. Sa réputation l’a peut-être précédé, il craint que ses rapports avec le grand-duc n’en souffrent voire pis, sa vie pourrait être en danger. Car Cosme mène à Florence une politique de mœurs intransigeante où les Dominicains semblent contrôler la vie des citoyens rappelant les heures sombres de l’époque de Savonarole.

La Peste - Gaetano Zumbo (1680-1700)
J’ai un avis finalement assez mitigé sur ce roman. Le sujet me parlait énormément, j’ai adoré redécouvrir cet artiste dont j’avais oublié l’existence, j’ai énormément apprécié cette plongée dans la Florence du XVIIème siècle dont Rupert Thomson retranscrit merveilleusement bien l’atmosphère lourde de tension permanente. Il donne de nombreuses informations sur la vie quotidienne florentine, sa population et son administration. L’auteur nous emmène dans les rues de la ville à travers les quartiers dont les noms nous sont aujourd’hui encore familiers, au pied des grands monuments mais aussi à l’intérieur du ghetto juif.
Toutefois, l’auteur prend des libertés par rapport à l’histoire et encore une fois, il ne fait aucune mention de ses sources de documentation et ne précise pas au lecteur jusqu’où il est allé dans le fictionnel. C’est dommage. Bon certes, le lecteur peut faire le travail lui-même en effectuant ses propres recherches mais ce n’est pas si évident. Par exemple, je n’ai trouvé aucune mention de la commande principale demandée à Zumbo par Cosme dont il est question dans le livre. J’imagine aussi que les rapports entre Cosme et son épouse ont une part de vérité mais jusqu’à quel point ?
Mais ce n’est pas ce qui m’a le plus gênée dans cette lecture, c’est surtout la romance entre Zumbo et une jeune fille qu’il rencontre. J’ai trouvé qu’elle prenait trop de place et que le texte en souffrait par trop de longueurs.
En fait, j’ai été plus attirée par les détails annexes et le contexte que par l’intrigue principale. J’aurais aimé que l’auteur insiste plus sur l’artiste et son travail.
Néanmoins, Noces de cire reste un roman historique agréable et bien écrit.

Note : D’après Wikipédia, il existe un autre roman historique ( apparemment très documenté) consacré à Gaetano Zumbo écrit par Christine Brusson et publié aux éditions des Equateurs en 2010 : La Splendeur du soleil. A voir …


Merci aux éditions Denoël.



Noces de cire - Rupert Thomson
Editions Denoël - Collection Denoël et d'ailleurs
Traduction : Sophie Aslanides
400 pages
Parution : 09-10-2014