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jeudi 15 août 2013

Nulle part dans la maison de mon père - Assia Djebar



Difficile de trouver son identité lorsqu’on est écartelé entre deux cultures. On connaît dans notre société actuelle les difficultés identitaires des jeunes issus de l’immigration considérés comme étrangers sur leur propre sol natal, et considérés comme français dans le pays d’origine de leurs parents. Comment trouver sa place dans un tel cas de figure ? Alors que pourtant la double culture devrait être une force et une richesse, elle devient finalement un handicap et un motif de rejet.

Dans ce roman d’Assia Djebar, son dernier jusqu’à maintenant, l’auteur nous retrace ses souvenirs. Il ne s’agit pas à proprement parler d’une autobiographie mais plutôt d’une somme de moments qui ont marqué son enfance et son adolescence. Roman très intimiste donc dans lequel j’ai cru voir le pendant algérien du problème identitaire de cette génération dont j’ai parlé en introduction.
Nous sommes sous l’Algérie coloniale, peu avant la guerre. Fatima ( véritable prénom de l’auteur) est fille d’instituteur. A ce titre, elle est en rapport étroit avec la population européenne. Elle fréquente l’école des maîtres français, joue avec les enfants des colons. A la maison, on parle essentiellement la langue française. Malgré ça, l’empreinte de la tradition s’exprime à travers sa famille, les femmes voilées qu’elle croise dans la rue et au hammam, sa mère qui porte le haik ce grand voile blanc dont se couvraient les algériennes de l’époque. Mais c’est surtout le caractère rigoriste de son père qui la marquera le plus et un événement en particulier. Alors qu’elle essayait, en compagnie d’un petit garçon européen, d’apprendre à faire du vélo, son père la surprend et la fait rentrer sur le champ. Il lui reproche alors sévèrement d’avoir montré ses cuisses. Fatima n’avait que 6 ans …

A partir de cet instant, l’insouciance d’une petite fille fait place à la crainte et à l’incompréhension. Pourtant le père de Fatima n’est pas si strict et traditionnel que ça. Elle peut sortir sans le voile, elle peut porter des jupes. Elle peut se rendre à son internat sans chaperon. En revanche, pas question de se vêtir d’une robe laissant les épaules et le dos dénudés. Fatima ne comprend pas pourquoi ces françaises peuvent ainsi se promener en toute liberté, sans surveillance et en tenue légère et que les algériennes soient, elles, emprisonnées dans leurs voiles et dans leurs maisons. Pourquoi les algériens respectent ces mêmes françaises mais insultent l’algérienne qui ose se tenir comme elles ?
Fatima ne supporte pas cette injustice. Petit à petit, elle transgresse, fréquente des garçons en cachette, la crainte dans le cœur («  Si mon père le sait, je me tue »), une crainte telle qu’elle va jusqu’à commettre un acte désespéré.

Cette contradiction entre deux cultures, entre deux statuts de la femme, va marquer durablement Assia Djebar et imprégnera toute son œuvre.

J’ai beaucoup apprécié cette lecture.
- Par cette image qu’elle donne de la vie quotidienne sous l’Algérie coloniale du point de vue d’une petite fille puis d’une ado, bref à un âge où on se construit, où ce qui nous entoure forge notre personnalité.
- Par le style très travaillé de l’auteur. Un style plein de mouvement et de rythme, tout en variations tantôt lent tantôt puissant. Un style qui joue aussi avec les sonorités. J’ai vraiment été charmée par la plume d’Assia Djebar.

Roman catharsis, roman thérapie, Nulle part dans la maison de mon père est le témoignage d’une enfance passée dans la contradiction et l’affrontement entre deux tendances qui s’opposent et se déchirent. Ce roman est aussi l’expression d’un mal être, d’un étouffement dont les responsables sont des hommes, le père d’abord, figure omniprésente, puis le futur mari. On sent leur ombre planer tout au long de la lecture à l’image de cette société patriarcale qui laisse si peu de place à la femme. Un roman qui éclaire l’œuvre de l’auteur et sa prise de position dans le combat des femmes pour l’égalité. C’était d’ailleurs ce fait qui m’avait tenue à l’écart des romans d’Assia Djebar mais cette lecture m’aura fait comprendre l’origine de ces idées.


lundi 20 mai 2013

La colline oubliée - Mouloud Mammeri



Après mon engouement pour La Traversée de Mouloud Mammeri, j’avais hâte de renouer avec cet auteur et de découvrir ses autres titres. Cette fois, je me suis donc penchée sur son tout premier roman La colline oubliée célèbre pour la polémique qu’il a soulevée à sa sortie. En pleine époque coloniale, emblème du clivage colon/colonisé, La colline oubliée a cristallisé les rancoeurs d’un peuple subissant l’oppression de l’occupant. Encensé du côté français, le roman a été perçu par les algériens comme une volonté de l’auteur de faire le jeu du colonisateur en écrivant un texte identitaire s’intéressant uniquement au peuple kabyle. On retrouve dès cet instant cette querelle qui oppose les arabes et les kabyles, ces derniers s’estimant être les véritables algériens d’origine. En ne traitant que de sa communauté, Mouloud Mammeri est alors accusé de favoriser la division du peuple algérien et de faciliter ainsi sa domination par les français.

La colline oubliée nous plonge donc dans la vie d’un petit village de Kabylie dans les années 1940. L’Algérie est encore colonie française et par ce statut, la France va exiger de sa population sa contribution à l’effort de guerre.
Les vacances d’été marquent le fin de l’année scolaire et Mokrane retourne dans le village de son enfance. Il espère y retrouver ses amis. Mais tous ont grandi, évolué, sont devenus adultes avec des préoccupations bien différentes de leurs anciens jeux d’adolescents. Se marier, avoir des enfants, s’installer et pourvoir aux besoins de sa famille sont maintenant leur horizon.

Mouloud Mammeri ne nous raconte pas une histoire particulière, il n’y a pas vraiment d’intrigue mais il nous dépeint la vie quotidienne de ce village et de ses habitants à l’époque coloniale. Certaines familles aisées s’en sortent bien mais pour la plupart des habitants, c’est un combat de chaque instant qui les occupe. Trouver un travail, le garder et surtout trouver de quoi nourrir sa femme et ses enfants, être obligé de mendier chez ses voisins lorsqu’on a pas réussi à ramener assez d’argent pour le repas.
La faim, le froid, la maladie et la guerre vont effacer d’anciennes querelles et faire se tisser des liens inattendus. Le rapport homme/femme aussi, si particulier dans la société kabyle, trouve largement sa place : mariages arrangés, par dépit, répudiation, tentative d’assassinat permettent de comprendre le statut de la femme et de son époux dans cette société si codifiée et qui fonctionne sur la réputation et l’honneur.
Mais Mouloud Mammeri va nous illustrer l’évolution de ces mentalités, évolution due à la guerre et au contact de la nouvelle génération avec la société et les mœurs occidentales. Un clivage se marque alors entre les anciens du village et les plus jeunes, clivage qui apparaît à travers plusieurs exemples comme le rapport de Mokrane à son épouse répudiée, l’abandon de certaines coutumes du village, la remise en cause par certains de l’ordre établi.

La colline oubliée est alors presque une étude sociologique. Ce roman m’a beaucoup rappelé La terre et le sang de Mouloud Feraoun. J’y ai retrouvé la même atmosphère et la même force mais avec, en plus, cette volonté de montrer le bouleversement que connaît la société algérienne. Pourtant je l’ai moins apprécié que La Traversée qui a probablement bénéficié de ma fascination pour le désert car j’ai trouvé La colline oubliée moins engagé. Il y manque le panache et la force dénonciatrice du dernier roman de Mammeri.

Ce fut néanmoins une bien belle lecture et j’ai hâte de retrouver la patte de Mammeri avec son 2ème roman Le sommeil du juste qui se déroule, lui, à la veille de la guerre d’indépendance.

vendredi 1 mars 2013

La traversée - Mouloud Mammeri



La traversée est le récit d’un constat lucide et amer quant à la situation de l’Algérie au lendemain de l’indépendance. L’heure n’est plus à la fête des premiers jours mais au désenchantement, à la prise de conscience que tout est encore à faire, que l’obtention de l’indépendance n’était qu’une étape et non une fin.
A travers le personnage de Mourad et de son entourage, Mouloud Mammeri nous brosse le portrait d’une Algérie et d’algériens en pleine désillusion. Il emprunte pour cela plusieurs chemins à grand renfort de métaphores qui rendent son texte très poétique et lui confèrent une grande portée.
A défaut d’une analyse littéraire dont je serai bien incapable, je vous livre ici mon interprétation de cette œuvre majeure de la littérature algérienne.
Ecrit en 1982, La traversée est le quatrième et dernier roman de Mouloud Mammeri. Il se situe donc dans un contexte post-colonial . A la sortie de l’ouvrage, ce dernier est immédiatement interdit par le pouvoir en place.
La censure, c’est ce que Mourad, journaliste à Alger-Révolution en pleine crise existentielle, n’accepte pas. Désavoué par ses collègues suite à la parution d’un article, Mourad souhaite démissionner et s’exiler en France. Pour lui donner le temps de la réflexion, son supérieur, Kamel, l’envoie en mission dans le désert saharien.

La traversée est un roman miroir dans lequel les dernières lignes répondent aux toutes premières et la traversée du désert de nos personnages reflète celle racontée par Mourad dans son article.
Cet article résume à lui tout seul le message délivré par l’auteur dans ce roman. Utilisant une métaphore, Mourad/Mammeri livre sa conception de l’Histoire récente de son pays. Le peuple algérien est alors assimilé à une caravane traversant péniblement le désert qui représente la période coloniale et la guerre d’indépendance. Cette caravane est menée par des « héros » à assimiler probablement aux grands noms du FLN. Ce groupe des héros s’amenuise au fur et à mesure de la progression de la caravane jusqu’à l’arrivée de celle-ci dans une oasis qu’elle croit être sa destination finale. Certains des héros survivants savent bien que l’oasis n’est qu’une étape mais ils sont peu à peu manipulés et convaincus de rester sur place par les épigones qui profitent de leur faiblesse pour s’accaparer tous les honneurs et prendre la direction des choses sans laisser place à d’éventuels concurrents ( le parti unique). Les caravaniers n’ont plus qu’à se soumettre au rôle qu’on leur laisse.

« Les caravaniers admirent de loin avec un soupçon d’ironie, car ils savent que les protagonistes passent mais que la caravane est éternelle. »



A l’image de la caravane, Mourad va lui aussi effectuer sa traversée du désert, accompagné de deux français, Amalia, chargée d’un reportage sur les compagnies pétrolières, Serge, le communiste, et de deux collègues algériens, Souad et Boualem, l’intégriste espérant retrouver dans le désert le souffle et la dimension des hommes du temps du prophète.
Chacun espère trouver ce qu’il cherche au cours de cette quête mais Mourad en reviendra aussi démuni qu’au départ et Boualem aura perdu ses illusions et sa confiance en Allah.

Le désert n’est plus ce qu’il était. Les sites pétroliers ont poussé comme des champignons et les ouvriers qui y travaillent ne se soucient que de leur pain quotidien. L’hôtel de Ghardaïa a perdu son faste d’autrefois et se délabre au fil du temps. De grandes villes ont émergé dans le sud à l’image des villes du Nord. L’administration post-coloniale cherche à éradiquer le mode de vie nomade et tente de convertir les Touaregs à la vie citadine.
Bref, le pays se transforme et c’est l’impression que la grandeur passée tombe en ruine qui règne. De même, lorsque Mourad retournera dans son village natal, c’est un village mort qu’il trouve, ruines et vieillards l’accueillent froidement, la jeunesse et la vie s’étant envolées vers des horizons plus prometteurs.
Ce même désenchantement s’incarne également dans le personnage de Ba Salem, habitant célèbre et respecté de Timimoun dont les seules joies consistent à s’occuper de son jardin et de ses tournesols ( symbole d’espoir ) et à écumer toutes les fêtes de la région. La perte de son épouse le plonge alors dans un état de prostration que les autochtones appellent l’amdouda : le renoncement.
Cette désillusion du peuple algérien se traduit jusque dans les relations amoureuses toutes vouées à l’échec : le couple franco-algérien formé par Christine et Kamel succombe sous le poids de la tradition, le couple formé par Ba Salem et sa seconde épouse miné d’avance par l’amdouda, et enfin les tentatives de Mourad et Amalia.

L’Algérie voulait sa liberté, la caravane a traversé le désert pour l’obtenir. Mourad aussi voulait s’affranchir des contraintes. La liberté est un thème cher à Mouloud Mammeri fervent défenseur de la culture berbère ( n’oublions pas que les berbères ont combattu les romains et les arabes ),un désir de liberté que l’on retrouve à travers Mourad mais aussi Ba Salem ( qui souhaitait ne faire que ce qui lui plaisait), et surtout à travers les nomades du désert.
Le passage de l’école à Djanet m’a particulièrement marquée. J’ai évoqué la volonté du pouvoir de mettre fin au nomadisme, pour cela il a utilisé l’école mais ça ne se passait pas toujours comme ils le voulaient. A la question « que veux-tu faire plus tard ? », les jeunes Touaregs répondent unanimement : « chauffeur » et lorsqu’on leur demande pourquoi : « parce qu’on va où on veut. » est la réponse. Tous ces élèves ont la liberté dans le sang au point de pleurer lorsque le maître, fort décontenancé par cette réaction, leur fait lire le célèbre poème d’Eluard : Liberté.
«  Ce n’était pas précisément un cours sur Eluard, c’était un cours de grammaire. Je voulais seulement prendre un exemple. »

Bien sûr, le combat indépendantiste a aussi sa place dans le récit avec quelques passages narrant les activités de Mourad et Amalia au sein du FLN pendant la révolution. Le passage de l’assassinat des bonnes sœurs par les soldats français m’a particulièrement marquée ( à mon avis, cet événement n’est pas que fictif …). Mais d’autres mouvements de libération sont aussi évoqués comme ces deux québécois indépendantistes venus en Algérie chercher du travail ( gag …) «  Dans un pays socialiste, il y a le droit au travail. Et puis on a regardé quand on est arrivé : du travail, beaucoup d’algériens n’en ont pas. » Et nos deux canadiens de ressentir l’effet de la désillusion eux aussi.

Car la liberté a un prix et peut être dangereuse. Nos personnages ne font-ils pas d’ailleurs l’expérience de la folie du désert où Amalia manque d’être blessée ? Cette démence passagère qui atteint tous ceux qui, étourdis par cette immense sensation de liberté, bravent les grands espaces.
Et puis une fois la liberté acquise, rien n’est fini. L’oasis de l’article de Mourad n’est qu’un leurre. Le pays n’a pas encore atteint son but.

Ce texte de Mouloud Mammeri est donc d’une très grande richesse. Rien de ce qu’il écrit n’est anodin. Il nous trace un portrait social objectif de l’Algérie dans la décennie qui suit son accession à l’indépendance, la difficulté des relations humaines, les stratégies d’administration et de contrôle des populations, le manque de travail et la faim, tout est évoqué et illustré.
Le tout est de plus servi par une plume magistrale qui fait de Mouloud Mammeri un très grand écrivain.
En revanche, j'ai déploré le manque de descriptions. Même si certains passages invitent à l'évasion, j'ai trouvé qu'ils étaient trop peu nombreux. J'aurais voulu de longues descriptions de paysages pour me faire voyager et rêver. Mais ça aurait été laisser trop de liberté au lecteur et peut-être aurait-il été lui aussi atteint de la folie du désert. Et puis, La traversée est un roman qui a pour ambition de dénoncer un état de fait et de réveiller son lecteur plus que de le faire rêver.

La fin m’a beaucoup touchée car pas très optimiste. J’ai l’impression que Mouloud Mammeri était conscient que l’avenir serait sombre. D’ailleurs, quand il évoque Boualem et ses compagnons intégristes, il est difficile de ne pas penser à la funèbre décennie noire qui sera la conséquence de tout ce qu’a dénoncé l’auteur dans ce texte puisque les intégristes ont profité du désarroi de la population pour obtenir le pouvoir.

Je suis donc très contente de cette lecture ( et relecture ) d’autant plus que ce roman est introuvable en France alors quelle ne fut pas ma joie de le voir sur les étals des librairies oranaises !

"Car le monde des adultes, c'est pas la sortie du dimanche, c'est un monde balisé, fiché, piégé aux carrefours, avec des gendarmes pour contrôler ; sans ça où irions-nous ? Vous croyiez comme ça que vous alliez tous les deux aller et venir sur la terre sans coordonnées, sans papiers, sans étiquette ni étoile jaune ? Comme des sauvages ! Mais le temps des sauvages est passé. Il dure l'espace d'une révolution. Après vient le temps des lois, du bakchich, des balises sur les routes, le temps des papiers d'identité et du brouet noir. Parce que le paradis, il y a ceux qui le cherchent et ceux qui y sont arrivés, et ce ne sont jamais les mêmes ... et les arrivés sont toujours des arrivistes."


jeudi 19 avril 2012

Journal 1955-1962 - Mouloud Feraoun



Cinquantenaire de l’indépendance de l’Algérie oblige, je me suis replongée dans cette période douloureuse de notre Histoire.
Nombre de magazines ont consacré un numéro spécial ou un hors-série à la guerre d’indépendance pour l’occasion et j’ai particulièrement apprécié la démarche du magazine L’Histoire qui a été plus loin encore en proposant de retracer toute l’histoire de l’Algérie, des Berbères à l’indépendance. Je conseille d’ailleurs vivement ce numéro.

Après m’être donc rafraîchie la mémoire grâce à ces revues, j’ai entamé la lecture d’un ouvrage très bien fait lui aussi : Histoire de la guerre d’indépendance algérienne de Sylvie Thénault. Un ouvrage fort utile car non seulement il retrace les principaux événements mais il fait aussi le point sur la recherche et l’historiographie relatives à ce sujet épineux. En effet, à chaque fois que je lis quelque chose sur la guerre d’Algérie, je me pose sans cesse la question de savoir si c’est réellement objectif. A l’heure actuelle, on peut penser que oui mais il y a peu de temps encore, les soldats français n’avaient qu’entendu parler de la torture mais ne l’avaient jamais vue. Comprendre : la torture n’avait été qu’un fait occasionnel, un dérapage. Or, la recherche a depuis montré que la torture avait fait partie du quotidien des combattants d’Algérie.
Afin de pouvoir me faire une opinion sans avoir à subir la vision franco-française, je me suis tournée vers un algérien, un écrivain algérien de grand talent dont j’ai déjà lu un des titres (chroniqué ici), Mouloud Feraoun.
Mouloud Feraoun a écrit un journal dans lequel il relate ce qu’il voit, ce qu’il lit, ce qu’il entend pendant cette période de guerre.
Avoir le point de vue d’un témoin des événements et voir comment il les a vécus et interprétés, voilà ce que j’attendais de ce journal.

Mouloud Feraoun était instituteur, il faisait partie de ces algériens qui ont eu la chance d’occuper un poste « à égalité » avec les colonisateurs. Dans ce journal, il raconte donc son quotidien d’enseignant dans une petite école de Kabylie puis à Alger jusqu’à son assassinat par un commando de l’OAS deux jours avant le cessez-le-feu du 17 mars 1962.
A travers son journal, on découvre un homme sans aucune haine à l’encontre des français mais comme tout algérien, il est évidemment pour l’indépendance de son pays et contre cette domination injuste qu’ont exercée les français depuis leur arrivée sur le sol algérien. Bien qu’ayant eu lui-même une position privilégiée en tant qu’instituteur, tous ses compatriotes étaient loin d’être logés à la même enseigne.

Et c’est un homme un peu tiraillé entre deux camps qui se déchirent qui se livre à nous. A travers sa plume, on assiste au quotidien des habitants de Fort-National, aux après-midis aux rues désertes, aux portes de la ville fermées, aux fouilles, aux soldats qui tirent sur ceux qui s’enfuient, aux gens qui se cachent le cœur battant derrière leurs volets clos.
Dans les petits villages de Kabylie, on craint leur arrivée. Français ou combattants du FLN, on les craint tous. Ce que les uns laissent, les autres le prennent. Du côté FLN, la loyauté se paye en nourrissant et en hébergeant les partisans. Au risque de représailles. Quand la nuit tombe, on retient son souffle, on ne dort pas, on a peur d’entendre frapper à la porte. Et si on se fait attraper, on parle, on avoue tout, des actes dont on a même pas entendu parler, on avoue.
Au matin, lorsqu’on sort de chez soi, on peut tomber sur un ou plusieurs cadavres. En général, on les connaît. On se demande « à quand mon tour ? ».

Le FLN ordonne à tous ceux qui travaillent avec les français de ne plus se présenter à leur poste. Que faire ? Qui craindre le plus ? Finalement, on se range du côté des siens.
« Oui, je me battrai parce que j’ai vécu dans ce pays que je crois être le mien. »
Ce qu’on pense du FLN ?
« Tout le monde comprend que « les frères » ne sont pas infaillibles, ne sont pas courageux, ne sont pas des héros. Mais on sait aussi qu’ils sont cruels et hypocrites. Ils ne peuvent donner que la mort mais, eux, il faut tout leur donner. Ils continuent de rançonner, de réquisitionner, de détruire. Ils continuent de parler religion, d’interdire tout ce qu’ils ont pris l’habitude d’interdire et ce qu’il leur chante de nouveau d’interdire. Il faut les appeler « frères » et les vénérer comme des dieux.[…]
Il arrive parfois qu’un pauvre bougre, dont les nerfs lâchent subitement, soit atteint d’une espèce de folie lucide et se mette à parler, parler, parler. A la djema, au café, partout, il dit ce qu’il pense de ses « frères ». Et les gens le regardent effarés et apitoyés, car ils savent qu’il n’y a plus rien à faire pour qu’il se taise. Et dans un sens, ils ont plaisir à l’écouter puisque, ce qu’il dit, il le lit dans leur cœur. »

En lisant le journal de Mouloud Feraoun, c’est un témoignage plein d’humanité servi par une plume magnifique que l’on lit et grâce auquel on comprend que les algériens ne cherchaient que deux choses : avoir les mêmes droits que tout le monde et vivre en paix.
J'espère, avec cette chronique, avoir su rendre hommage, même modestement,  à cet écrivain de talent et cet homme que j'admire énormément.
Un document et un auteur à découvrir absolument.