mardi 23 septembre 2014

Mon année Salinger - Joanna Smith Rakoff



Je regarde régulièrement la chaîne Youtube des Déblogueurs et particulièrement les chroniques vidéos de Gérard Collard et c’est dans l’une d’entre elles que j’ai repéré ce récit.

J’avais un peu peur, au début, de ne pas pouvoir tout comprendre car je n’ai encore jamais lu Salinger ( mais ça va venir ! ) mais finalement ça n’a pas été gênant et ça a eu surtout pour effet de me donner une furieuse envie de découvrir cet auteur.

Le récit de Joanna Smith Rakoff est un récit autobiographique (avec quelques aménagements ) dans lequel elle nous raconte sa première expérience professionnelle en tant qu’assistante de la directrice d’une grande agence littéraire new-yorkaise.
Si vous connaissez Le Diable s’habille en Prada, eh bien sachez que c’est un peu le même genre mais transposé au monde de l’édition.
On découvre ainsi les coulisses de l’édition et le fonctionnement d’une agence littéraire américaine. Je suppose que ça doit être assez similaire en France mais cette agence où Joanna a fait ses premières armes était quand même assez particulière et dénotait un  peu dans le paysage par le refus obstiné de sa directrice de suivre le progrès et la modernité.
A l’heure ( nous sommes dans les années 90) où tous ses concurrents travaillent déjà à grand renfort d’informatique et d’internet, l’Agence (avec un A majuscule) utilise encore les bonnes vieilles machines à écrire et les dictaphones. Mais Joanna se plaît beaucoup dans cette atmosphère feutrée où le temps semble s’être arrêté et où les livres s’empilent sur de vieilles mais solides étagères en bois mais ce serait sans compter sur une directrice pas très commode et au caractère bien trempé.

Pourtant l’Agence est sur le déclin et si elle parvient, tant bien que mal à garder la tête hors de l’eau, c’est qu’elle est l’agence attitrée du plus célèbre et adulé écrivain du pays : Salinger.
Chargée de filtrer les appels pour sa directrice et de trier et répondre au courrier des fans, Joanna va peu à peu se familiariser avec l’univers et la personnalité de ce grand écrivain devenu alors un vieil homme qui cherche à s’isoler du monde extérieur et à rester à l’écart d’une célébrité qu’il ne maîtrise pas et qui l’effraie. Elle est alors encore loin de s’imaginer que cette rencontre aura un grand impact sur sa vie privée et professionnelle.

J’ai beaucoup apprécié cette jolie lecture. J’aime ces livres qui parlent de littérature, Joanna nous fait part de sa vision des choses sur ce domaine qui la passionne à travers son emploi mais aussi à travers sa vie intime puisque son petit ami travaille à un premier roman. L’influence qu’aura eu cette année passée au sein de l’agence est très visible et bien rendue. J’ai parfois eu du mal à éprouver de la sympathie pour Joanna au tout début. Sa naïveté envers son compagnon et sa façon de juger et condamner le mode de vie de ceux qui l’entourent m’ont parfois exaspérée. La découverte et la lecture des écrits de Salinger lui auront heureusement permis de revenir sur ses positions et d’envisager son avenir de façon plus raisonnable. Comme quoi, la littérature peut changer une vie.

Un grand merci aux éditions Albin Michel.





samedi 13 septembre 2014

Dernières acquisitions, challenges et lectures communes


  • Il y avait longtemps que je n'avais pas partagé avec vous mes dernières acquisitions. Comme vous le savez, elles sont devenues beaucoup plus rares faute de budget et je privilégie donc ma PAL. Néanmoins, il m'arrive encore de craquer de temps à autre. Je vous présente ici les petits nouveaux auxquels je n'ai pu résister :


- 2666 de Roberto Bolano : après avoir lu les articles de Juan Asensio sur ce livre, j'ai tout de suite eu envie de l'acquérir. J'ai vraiment hâte de découvrir ce qui semble être un véritable monument de la littérature !

- Au-dessous du volcan de Malcolm Lowry : J'en avais beaucoup entendu parler et l'avis de Jérôme a achevé de me décider.

- Solaris de Stanislas Lem : je ne pouvais pas résister après avoir lu l'avis élogieux de Loesha. Et puis Juan Asensio m'a confirmé qu'il s'agissait d'un chef d'oeuvre du genre.

- Moby Dick de Melville : un grand classique qui me faisait un peu peur et cette fois, c'est une vidéo de Barry Pierce qui m'a convaincue de m'y mettre. Je pense organiser une LC autour de ce titre mais je ne sais pas encore quand. Dites-moi toujours si vous êtes intéressés.

- Les passagers anglais de Matthew Kneale : trouvé par mon homme chez le bouquiniste, connaissant mon goût pour les romans historiques, il a pensé que ça me plairait et je pense qu'il a eu raison !

Et deux autres craquages postérieurs à la photo :

- Anima de Wajdi Mouawad : fortement recommandé par les membres de mon ancien forum et aussi par ma copine Nymou.

- La Peau de Malaparte : Après avoir lu et adoré Kaputt ( dont vous aurez bientôt mon avis), j'ai eu très envie de lire son autre chef d'oeuvre.

Et deux emprunts à la médiathèque :

- Le camp des saints de Jean Raspail sur les conseils de Joachim.

- L'homme pressé de Paul Morand ( je ne sais plus où je l'avais repéré celui-ci)

  • J'ai aussi eu la chance d'être invitée à la remise des talents à découvrir des magasins Cultura. A cette occasion, j'ai pu repartir avec les 6 titres récompensés par l'opération. Cultura s'engage à promouvoir et soutenir ces 6 romans durant toute une année. Je ne manquerai pas, j'espère, d'apporter ma modeste contribution en vous faisant part de mes avis sur ces lectures qui semblent en tout cas plutôt prometteuses. Voici les lauréats :




- Le Clan suspendu de Etienne Guerreau :

Ismène, Polynice, Antigone et Hémon sont les enfants de la deuxième génération. Ils vivent dans le Suspend, un village dans les arbres accroché à dix mètres de hauteur. La vie quotidienne y est régie selon des rites immuables, des traditions bien ancrées – comme celle qui consiste à répéter inlassablement Antigone , la tragédie qu’il faut connaître sur le bout des doigts – et surtout, une règle stricte : ne jamais descendre du Suspend. Car en bas règne l’ogresse, une créature sanguinaire à l’affût de ceux qui s’aventurent sur son territoire…

- Un jeune homme prometteur de Gautier Batistella :

Tout commence à Labat, petit village des Pyrénées. Orphelin rêveur et blessé par un premier amour déçu, le narrateur quitte son frère et leur enfance buissonnière pour monter à l’assaut de la capitale. Que cherche ce Rastignac en herbe démangé par la vocation romanesque ? Une mère inconnue, la liberté, une revanche, la gloire peut-être. Mais au lieu du noble parnasse littéraire dont il avait rêvé, il découvre un univers de fauxsemblants : celui des grands imposteurs du monde des lettres. Bien décidé à s’en débarrasser, le voici embarqué dans une quête dangereuse qui l’entraînera au-delà de lui-même, au bout du monde et au bord de la folie.

- Le bonheur national brut de François Roux : on en parle beaucoup dans les médias donc je vous épargne le résumé.

- La Fractale des raviolis de Pierre Raufast :

Il était une fois une épouse bien décidée à empoisonner son mari volage avec des raviolis. Mais, alors que s’approche l’instant fatal, un souvenir interrompt le cours de l’action. Une nouvelle intrigue commence aussitôt et il en sera ainsi tout au long de ces récits gigognes. Tout ébaubi de voir tant de pays, on découvre les aventures extraordinaires d’un jeune garçon solitaire qui, parce qu’il voyait les infrarouges, fut recruté par le gouvernement ; les inventions stratégiques d’un gardien de moutons capable de gagner la guerre d’Irak ; les canailleries d’un détrousseur pendant l’épidémie de peste à Marseille en 1720 ou encore la méthode mise au point par un adolescent sociopathe pour exterminer le fléau des rats-taupes.

- Constellation d'Adrien Bosc : on le voit énormément sur la blogosphère, je vous épargne donc encore une fois le résumé.

- Le cercle des femmes de Sophie Broca : une saga familiale, un roman de femmes avec secret de famille, tout ce qui, en général, ne m'attire pas du tout. On verra bien.

Parmi ces 6 titres, les 4 premiers me font donc très envie. Les deux derniers un peu moins mais sait-on jamais. Je pense commencer par La Fractale des raviolis dont l'auteur est le seul à être venu à notre rencontre. La lecture de la première page du livre m'a énormément accrochée. J'espère vous en parler très bientôt.








  • Au niveau des lectures communes, je suis inscrite à celle organisée par Biblekisssbible autour de Madame Bovary de Flaubert. Si vous êtes intéressés, vous êtes les bienvenus. Je vous disais aussi que je comptais lancer une LC autour de Moby Dick, amateurs, faites-vous connaître ! Si vous avez d'autres LC à me proposer, n'hésitez pas à m'en toucher un mot en commentaire.




jeudi 11 septembre 2014

Les Travailleurs de la mer - Victor Hugo



J’étais fâchée avec Victor Hugo. D’abord, parce que, comme les lycéens de l’an passé, je me suis prise une très mauvaise note au bac de français sur un de ses textes ( alors que je pensais avoir bien réussi ). Je sais … ce n’est pas la faute de ce cher Victor mais voilà, le lycéen est rancunier.
Ensuite, parce que quand j’ai voulu lui pardonner, je me suis frottée aux Contemplations et me suis rendue compte que je n’avais pas les outils pour apprécier pleinement ce recueil. Certains de ses poèmes sont très personnels ou bien très inspirés de la situation politique de l’époque et lorsqu’on ne maîtrise pas tout ça, on se sent exclu, des allusions nous échappent et j’avais donc l’impression que Victor Hugo me claquait la porte au nez.
J’ai alors essayé de lire Les Travailleurs de la mer mais j’ai fait l’erreur de commencer par L’Archipel de la Manche, sorte de chapitre préliminaire au roman présentant le cadre géographique du roman : les îles anglo-normandes, leur population, leur géographie, leur faune et flore, leurs us et coutumes. Je ne m’attendais pas à un tel déballage de connaissances avec un côté catalogue et des allures d’étude botanique et sociologique. Résultat : j’ai abandonné.

Et voilà que Claudialucia lance une lecture commune. Et comme je suis du genre têtue, je me suis inscrite. Cette fois, je n’ai pas commis la même erreur et j’ai commencé directement ma lecture par le roman me réservant le chapitre tant redouté pour la fin. Et j’ai ainsi enfin pu découvrir non seulement l’auteur mais également un grand roman dont je suis ressortie épuisée et bouleversée mais enchantée.

Maison de Victor Hugo à Guernesey
C’est en 1856 que l’idée d’écrire Les travailleurs de la mer fait jour dans l’esprit de Victor Hugo. Il travaillera pendant 8 ans à ce projet avant d’en entamer la rédaction en 1864. Il s’agit de son premier roman écrit alors qu’il est en exil à Guernesey.
La première publication du roman intervient 2 ans plus tard en 1866 sans L’Archipel de la Manche auquel Victor Hugo travaille encore. De plus, son éditeur a refusé de l’inclure dans l’édition des Travailleurs de la mer craignant que ce chapitre ne parasite le reste du roman promis à un certain succès. Ce chapitre ne sera incorporé à l’ensemble qu’en 1883.

« Je dédie ce livre au rocher d’hospitalité et de liberté, à ce coin de vieille terre normande où vit le noble petit peuple de la mer, à l’île de Guernesey, sévère et douce, mon asile actuel, mon tombeau probable. »



A Saint-Sampson, mess Lethierry, riche notable de l’île, révolutionne la vie locale en faisant construire et mettre en service le premier navire à vapeur de l’île. Lorsque ce dernier vient à faire naufrage sur le terrible écueil des Douvres redouté de tous les marins de la région, la catastrophe signe la ruine et la déchéance sociale du pauvre homme. La seule solution qui pourrait l’aider à repartir du bon pied serait d’extraire de l’épave la machinerie, technologie alors unique en son genre. Un seul homme est capable de cette prouesse : Gilliatt, jeune homme marginal et mis à l’écart de la population à cause de ses origines incertaines, de ses aptitudes étonnantes dans divers domaines et de son goût pour la lecture. Gilliatt est tout à la fois un marin remarquable et reconnu, il est capable de faire fructifier un lopin de terre sur lequel rien n’est censé pousser, et pourrait exercer plusieurs professions : forgeron, mécanicien etc…
Mess Lethierry promettant la main de sa nièce Déruchette à celui qui sauvera sa machine, Gilliatt, très épris de la jeune fille, relève le défi et s’engage alors dans une lutte féroce contre les éléments et la nature afin d’obtenir la main de celle qu’il aime.

Pardonnez-moi ô divinité de la lecture parce que j’ai péché. Oui je vous l’avoue, j’ai fauté. J’ai honte mais honte ! Alors pour soulager ma conscience, je me dois de me confesser. Alors je vous le dis, je vous l’avoue, ce terrible secret qui me ronge, je sors du placard, je fais mon coming-out littéraire, je vous le dis : j’ai sauté des lignes. Que celui qui n’a jamais péché me lance la première pierre.


Ce que je reprochais à Victor Hugo, j’ai à le lui reprocher cette fois-ci encore. D’après les notes de bas de page, j’ai bien compris que Victor Hugo s’inspirait amplement de sa vie, des événements politiques, socio-économiques de son époque pour construire son récit. Toutes ces allusions sont gênantes car je ne les repère pas toutes ( malgré les notes) et surtout je ne les comprends pas toujours. A la suite de cette lecture, j’ai donc pris la décision de lire une biographie complète de l’écrivain ( si vous en avez à me conseiller, je suis preneuse ) et de lire des ouvrages d’histoire du XIXème siècle. J’ai bien conscience que ce ne sera pas suffisant car j’ai été stupéfaite de l’ampleur des connaissances d’Hugo. Ce qui me fait dire que c’est un auteur encyclopédique. Tous les domaines, tous les continents, il s’intéresse à tout, se documente sur tout et nous en fait part mais d’une manière pas très pédagogique. Dans Les Travailleurs de la mer, à l’occasion du travail de Gilliatt sur la Durande ( le navire-vapeur de mess Lethierry), il ne nous épargne nullement tout le vocabulaire technique lié au monde naval. Les descriptions des interventions de Gilliatt me sont restées complètement hermétiques ( et c’est là que j’ai fini par sauter des lignes). 
Il nous régale également de deux pages entièrement consacrées à énumérer les différents types de vents soufflant sur tout le globe ( je vous en retoucherai un mot plus loin). De nombreux termes sont aussi obscurs car renvoyant à des objets qui ne sont plus courants de nos jours, d’autres se rattachent au milieu naturel de l’île de Guernesey ( et c’est là que je réalise que la lecture préalable de L’archipel de la Manche m’aurait été finalement très utile ).

J’ai donc découvert un auteur extrêmement précis et rigoureux ( à l’excès même) et on comprend aisément pourquoi il lui a fallu 8 ans de préparation. J’imagine tout le travail de documentation et de recherche qu’il lui a fallu. Je reste admirative devant autant de minutie et de souci de l’exactitude. C’est donc tout ce côté du roman qui m’a rendu ma lecture pénible par moment. J’ai souffert mais ça en valait amplement la peine :

J’ai dit que j’étais admirative du travail de recherche effectué par Victor Hugo mais que dire alors de son travail de construction du récit à l’instar d’une tragédie théâtrale ( on trouve d'ailleurs de nombreuses références à Shakespeare) ! Prodigieux, grandiose, incroyable, je suis ébahie ! Tout est scrupuleusement pensé, réfléchi : l’agencement des chapitres, la progression de l’intrigue, la présentation des personnages et des décors. Et Hugo annonce les événements de façon tellement subtile ! Les personnages sont fouillés et on sent bien que Victor Hugo met un peu de lui dans chacun d’eux. Par exemple, la détresse de mess Lethierry à l’annonce du naufrage est directement inspirée par le chagrin d’Hugo lié à la perte de sa fille et à son exil forcé. Sa propre expérience lui confère une puissance d’évocation capable de nous livrer des pages émouvantes et touchantes sans pathos aucun. Car Victor Hugo a l’art et la manière de s’exprimer, tout en poésie et en harmonie.

Et on le remarque d’autant plus à la lecture des descriptions envoûtantes des paysages anglo-normands et surtout de la mer, de l’écueil des Douvres, de la tempête et des forces naturelles déchaînées. Le sublime épisode de la tempête que Gilliatt doit affronter illustre parfaitement ce fait. Victor Hugo l’a construit à l’image d’une bataille. L’écueil des Douvres représente alors le château assiégé, Gilliatt en est le chevalier chargé de le défendre face aux forces adverses en présence que l’auteur nous énumère comme un passage en revue des troupes : les fameuses deux pages consacrées aux vents.

« Aucun flamboiement électrique n’accompagna le coup. Ce fut comme un tonnerre noir. Le silence se refit. Il y eut une sorte d’intervalle comme lorsqu’on prend position. Puis, apparurent, l’un après l’autre et lentement, de grands éclairs informes. Ces éclairs étaient muets. Pas de grondement. A chaque éclair tout s’illuminait. Le mur de nuages était maintenant un autre. Il y avait des voûtes et des arches. On y distinguait des silhouettes. Des têtes monstrueuses s’ébauchaient ; des cous semblaient se tendre ; des éléphants portant leurs tours, entrevus, s’évanouissaient. Une colonne de brume, droite, ronde et noire, surmontée d’une vapeur blanche, simulait la cheminée d’un steamer colossal englouti, chauffant sous la vague et fumant. Des nappes de nuées ondulaient. On croyait voir des plis de drapeaux. Au centre, sous des épaisseurs vermeilles, s’enfonçait, immobile, un noyau de brouillard dense, inerte, impénétrable aux étincelles électriques, sorte de fœtus hideux dans le ventre de la tempête. »

Cet épisode est central dans le récit et ses interprétations nombreuses. Il est à la fois la démonstration de la supériorité de l’intelligence humaine sur la nature que l’homme parvient à dominer et le symbole du second empire né du naufrage ( de la Durande) que fut le coup d’état de Napoléon III sonnant ainsi le glas de la deuxième république. Une deuxième république représentée par la période de service de la Durande et donc de prospérité de mess Lethierry.

Métaphore politique mais aussi socio-économique. La Durande est le symbole de la révolution industrielle difficilement vécue par la population. Le progrès technique et la nouveauté effraient et les réactions des guernesiais à la mise en circulation de cette étrange navire à vapeur en est emblématique. Il est d’ailleurs surnommé le Devil-Boat. Les locaux verront alors leurs croyances funestes se réaliser lorsque le naufrage surviendra.

Ode à la nature, ode au progrès technique, ode à l’intelligence humaine, mais aussi ode au travail. Le XIXème siècle est aussi celui des travailleurs ( en 1864 est fondée la Première Internationale) dont Gilliatt est ici le représentant. Il est le travailleur dans toute sa dextérité, son endurance, son ingéniosité. Lors de son exil sur l’écueil des Douvres , il travaille sans relâche à la libération de la machine de son cercueil d’acier, sans jamais perdre espoir, sans ressentir la fatigue. Il est le Hercule de la mythologie gréco-romaine par opposition aux oisifs, souvent les nobles et les clercs, que la Révolution a renversés. Le travail est devenu une valeur respectée et glorifiée.

Ce roman est clairement celui de Gilliatt, héros romantique par excellence, doté de toutes les qualités, abnégation, sens du sacrifice et du devoir accompli, honnêteté, intégrité. Il écrase de sa stature les autres personnages qui semblent tous bien mesquins à côté de lui. Il est de ses personnages qui marquent une vie de lecteur. Jamais je n’ai autant admiré un personnage. J’en veux beaucoup à Victor Hugo de l’avoir autant éprouvé. Son histoire relie toutes les autres, il est celui qui donne un sens à tout, celui de qui jaillit la lumière, il est le sauveur.

Les Travailleurs de la mer est un immense roman, qui m’a donné du fil à retordre certes mais je ne le regrette nullement. Roman d’aventure mais aussi roman d’amour, il est une lecture exigeante mais bouleversante. J'ai parfois souffert à l'image de Gilliatt dans la tourmente. Je comprends à présent ce qui fait la réputation de Victor Hugo. Je remercie infiniment Claudialucia pour cette lecture commune qui aura été pour moi l’occasion de me réconcilier avec cet immense auteur vers lequel je retournerai assurément.


« Les Douvres au-dessus de sa tête étaient éclairées ainsi que par la réverbération d’une grande braise blanche. Il y avait sur toute la façade noire de l’écueil comme le reflet d’un feu.
D’où venait ce feu ?
De l’eau.
La mer était extraordinaire.
Il semblait que l’eau fût incendiée. Aussi loin que le regard pouvait s’étendre, dans l’écueil et hors de l’écueil, toute la mer flamboyait. Ce flamboiement n’était pas rouge ; il n’avait rien de la grande flamme vivante des cratères et des fournaises. Aucun pétillement, aucune ardeur, aucune pourpre, aucun bruit. Des traînées bleuâtres imitaient sur la vague des plis de suaire. Une large lueur blême frissonnait sur l’eau. Ce n’était pas l’incendie ; c’en était le spectre.
C’était quelque chose comme l’embrasement livide d’un dedans de sépulcre par une flamme de rêve.
Qu’on se figure des ténèbres allumées.
La nuit, la vaste nuit trouble et diffuse, semblait être le combustible de ce feu glacé. C’était on ne sait quelle clarté faite d’aveuglement. L’ombre entrait comme élément dans cette lumière fantôme.
[…]
A cette lumière, les choses perdent leur réalité. Une pénétration spectrale les fait comme transparentes. Les roches ne sont plus que des linéaments. Les câbles des ancres paraissent des barres de fer chauffées à blanc. Les filets des pêcheurs semblent sous l’eau du feu tricoté. Une moitié de l’aviron est d’ébène, l’autre moitié, sous la lame, est d’argent. En retombant de la rame dans le flot, les gouttes d’eau étoilent la mer. Toute barque traîne derrière elle une comète. Les matelots mouillés et lumineux semblent des hommes qui brûlent. On plonge sa main dans le flot, on la retire gantée de flamme ; cette flamme est morte, on ne la sent point. Votre bras est un tison allumé. Vous voyez les formes qui sont dans la mer rouler sous les vagues à vau-le-feu. L’écume étincelle. Les poissons sont des langues de feu et des tronçons d’éclair serpentant dans une profondeur pâle. »

La neuvième vague - Ivan Aïvazovski (1850)




Les avis de : Claudialucia, Nathalie et Miriam.