dimanche 9 décembre 2012

Journée d'un opritchnik - Vladimir Sorokine



Dans Journée d’un opritchnik, Vladimir Sorokine, enfant terrible de la littérature russe, imagine, dans un récit violent, halluciné et obscène, ce que pourrait être la Russie en 2028.
Près cette lecture, on comprend mieux l’origine des déboires qu’a pu avoir l’auteur avec le pouvoir russe actuel. Sous couvert d’accusions et de procès pour pornographie, ses livres ont provoqué des manifestations de la jeunesse poutinienne qui, pour l’occasion, avaient construit des WC géants afin de mieux y jeter les ouvrages de l’auteur détesté.
Pornographe Sorokine ? Hum … peut-être faut-il y voir autre chose …

Journée d’un opritchnik est un roman original qui s’appuie à la fois sur l’Histoire de la Russie mais aussi sur la science-fiction dans le but de critiquer le pouvoir en place.
Sorokine décrit un hypothétique futur de son pays et probablement celui qu’il craint de voir devenir réalité, un hypothétique futur construit sur un mélange de résurgences du passé et d’éléments futuristes. Ainsi, la technologie et les infrastructures sont celles qu’on pourrait trouver dans un roman de SF ordinaire mais tout ce qui décrit le mode de vie et les institutions politiques et sociales sont fortement inspirées de ce que la Russie a déjà connu.

En 2028, la Russie est dirigée par un Souverain tout puissant à l’image de l’époque tsariste. Son épouse ressemble étrangement à la grande Catherine qui consulte régulièrement une prophétesse. Le Souverain dispose pour l’aider dans sa politique d’une arme redoutable : l’opritchnina, fille de celle qu’avait créée Ivan le terrible. L’opritchnina est une police politique qu’Ivan avait utilisée pour réduire les dissidents et dont il avait fini par perdre le contrôle. Cette forme de police politique en rappelle également une autre créée pour les mêmes raisons sous l’époque soviétique.

Sorokine nous invite donc à suivre le quotidien d’un membre de l’opritchnina. Incendies, viols, exécutions, corruption, flagellations publiques, orgies et débauches sexuelles s’enchaînent au cours de cette journée qui fait froid dans le dos. On est plongé dans une Russie où règnent la violence, la corruption, la restriction des libertés. Une Russie nationaliste qui se protège des occidentaux décadents par une Grande muraille et utilise la religion de façon extrême à des fins de cohésion sociale. Une Russie où le Kremlin et la place Rouge ont été repeints en blanc et où le mausolée de Lénine a été enfin rasé. ( une question qui revient régulièrement dans l’actualité politique russe actuelle).

Dans ce monde de 2028, la Chine est toute puissante et est le centre de production mondiale. Tous les produits alimentaires ou autres sont chinois. Une immense route à plusieurs voies et plusieurs niveaux relie la Chine à l’Europe permettant aux douaniers russes de se servir en taxes au passage.
Voilà ce qui est effrayant dans ce roman, c’est qu’on n’est pas très loin du possible car Sorokine intègre des éléments du passé, donc déjà vécus et susceptibles de se reproduire, et des éléments qui sont d’actualité.

L’opritchnik que le lecteur accompagne tout au long de cette journée cauchemardesque est un être froid dénué de sentiments et qui est complètement endoctriné. Imaginez un Rudolf Hoess psychopathe et vous avez une idée du personnage.
Le style de l’auteur n’est pas très facile dans ce roman car il imagine le langage que pourrait avoir cet opritchnik avec utilisation de vocabulaire spécialisé propre à son époque et sa profession. Ce qui rend certains passages difficilement compréhensibles dans les détails mais qui, en même temps, rend totalement réelle l’immersion du lecteur dans cet autre univers. Le langage est cinglant, chargé de haine.

Certaines scènes sont vraiment dures et immorales, de quoi crier « Au fou ! ». Je me suis demandée parfois si j’étais en train d’assister à un délire halluciné de l’auteur ou s’il était délibérément provocateur.
Une chose est sûre, Sorokine ne fait pas dans la dentelle. C’est un portrait affreusement pessimiste de l’avenir de la Russie qu’il nous brosse.
Ce roman est une claque monumentale à ne pas mettre entre des mains sensibles.

Un petit extrait :

Et toutes les maisons derrière leurs palissades sont robustes, toutes sont gardées par des créatures séditieuses, des salopes capricieuses nées dans le péché, condamnées à être châtiées. Les marmites de l’Etat bouillonnent. Remplies de graisse, de graisse, de la graisse de ceux qui reposent en Dieu, et elle dégoutte et coule dans l’air glacial. La graisse humaine, chauffée, qui déborde d’une marmite en fonte remplie à ras bord, et elle déborde, déborde, déborde. Un torrent de graisse s’écoule sans interruption. Elle se fige dans le froid cruel. Telle une perle. Elle se fige, se fige, se fige comme une belle sculpture. Une sculpture magnifique. Merveilleuse. Incomparable. Sublime. Exquise. La beauté d’une sculpture de graisse est divine, indescriptible. Une graisse d’un rose nacré, tendre, frais.


jeudi 6 décembre 2012

Ravel - Jean Echenoz



Ma toute première lecture d’Echenoz s’avère être une réussite.
J’avais au départ jeté mon dévolu sur Des éclairs ayant pour sujet Nicolas Tesla mais, étant indisponible à la bibliothèque, j’ai du me rabattre sur Ravel, que je connais très peu en dehors du fait qu’il soit le célèbre compositeur auquel on doit le tout aussi célèbre Boléro. Et finalement le hasard a bien fait les choses.

Pourtant là encore, j’ai eu un peu de difficultés au début de ma lecture. Je trouvais le style assez froid bien que fluide et agréable à lire mais les nombreuses considérations vestimentaires et les descriptions détaillées des lieux commençaient à m’agacer.
Et puis la magie a fini par opérer, la curiosité et la facilité de lecture ont fait que je tournais les pages sans même m’en rendre compte au point de me faire regretter que le récit soit aussi court.

Le récit n’est pas, comme on pourrait le croire, une biographie romancée complète de Ravel. Jean Echenoz ne s’attarde que sur les dix dernières années de sa vie. J’ai été un peu déçue en constatant ce fait mais Jean Echenoz a réussi, sur la base de ces dix années, à brosser le portrait de son personnage en faisant entrer le lecteur dans son intimité. On découvre alors un homme assez maniaque et désinvolte. Gare à ceux qui, à l’instar de Toscanini ou Wittgenstein, osent dénaturer ses œuvres.
On assiste alors à la naissance du Boléro, on est témoin du quotidien de Ravel dans son travail, ses tournées, Ravel qui ne peut se passer de ses chaussures fétiches mais qui pourtant les oublie sans cesse, part en voyage avec plus d’une cinquantaine de chemises et tout autant de cravates. Mais malgré ses airs de dandy à la limite de l’égocentrisme, on ne peut que s’attacher à lui. La progressive détérioration de sa santé, bien que Echenoz ne fasse pas dans le sentimentalisme, le rend finalement quand même très touchant.

Finalement, le style de l’auteur s’accorde bien au tempérament du personnage. Ça me rappelle beaucoup le Peste & Choléra de Patrick Deville, ce dernier ayant un style un peu plus poétique mais plus ciselé ce qui le rend plus « difficile » à lire. Néanmoins, un autre point commun aux deux auteurs est cette petite touche d’humour qu’ils insèrent avec parcimonie dans leurs textes.

J’ai donc beaucoup apprécié ma lecture, j’en aurais voulu plus encore mais pour cela il me faudra passer aux autres romans d’Echenoz, ce que je compte bien faire !


mercredi 5 décembre 2012

Blonde - Joyce Carol Oates



Deuxième roman de Joyce Carol Oates à mon actif avec Blonde, roman qui se voudrait biographie romancée de Norma Jeane Baker alias Marilyn Monroe bien que l’auteur prenne la peine de préciser en début d’ouvrage que de nombreux points ne sont dus qu’à son imagination et que son roman ne saurait donc être considéré comme étant une biographie exacte de Norma Jeane.

Comme pour Les Chutes, j’ai retrouvé dans Blonde la plume délicate, précise de Joyce Carol Oates ainsi que son souci de détailler en profondeur la psychologie de ses personnages. Et quand il s’agit de décrire dans ses détails la progressive descente aux enfers de celle qui fut Marilyn, Joyce Carol Oates entraîne son lecteur avec elle.
Bien que le récit se déroule de façon chronologique, Joyce Carol Oates a construit sa narration de façon très variée, alternant les points de vue et les narrateurs tout en modifiant son style et en l’adaptant au personnage. C’est simple, lorsqu’elle faisait parler un homme j’avais réellement l’impression que c’était un homme qui l’avait écrit.
Par cette façon de procéder, le lecteur devient omniscient, il connaît ainsi toutes les pensées de Norma Jeane mais aussi celles de son entourage. Oates nous permet donc de comparer la véritable personnalité de Norma Jeane à l’image qu’ont les autres d’elle. On se rend compte ainsi de l’énorme fossé entre les deux.

A l’image de sa mère atteinte de schizophrénie , Norma Jeane se nourrit de ses différents rôles au cinéma, elle les habite. Mais son rôle le plus important, c’est celui de Marilyn. Lorsque Norma Jeane doit tourner ou se montrer en public, elle se transforme en Marilyn, personnage pourtant très différent de ce que Norma est vraiment. Cet effacement de la personnalité apparaît d’ailleurs dans l’utilisation par l’auteur de qualificatifs pour désigner ses personnages. Norma Jeane est ainsi « L’Actrice Blonde », Arthur Miller n’est que « Le Dramaturge », Di Maggio «  L’Ex-Sportif » etc…

Cette lecture m’a beaucoup touchée. Il faut dire qu’avec 1110 pages, on a le temps de s’attacher aux personnages. Mais il faut reconnaître que Norma Jeane est naturellement attachante. Je l’ai toujours sentie comme une enfant, innocente et naïve (dans le bon sens du terme), timide et mal dans sa peau, perpétuellement en quête d’amour. L’absence de père se ressent énormément dans ses différentes relations amoureuses, elle s’obstine à appeler ses conjoints « papa ». Elle est finalement plus en recherche d’un père protecteur que d’un amant.
Tout ce qu’elle voulait c’était qu’on l’aime mais Hollywood a fait d’elle une « grue » comme ils l’appellent, lui attribuant une réputation de fille facile aux multiples conquêtes, d’une fille idiote juste bonne à montrer ses fesses. C’est là que ça fait mal car le lecteur se rend bien compte que cette image est pure calomnie. Certes Norma Jeane est dans son monde, elle ne fait pas toujours les bons choix et on a parfois du mal à la comprendre mais elle est très loin d’être la blonde stupide que tout le monde imagine.
Le roman raconte donc ce combat entre Norma Jeane et Marilyn où l’une finira par détruire l’autre.

La scène du début du roman où, durant l’enfance de Norma, sa mère s’obstine à vouloir l’emmener sur les collines d’Hollywood alors que ces dernières sont ravagées par un incendie m’a semblée avec le recul assez prémonitoire.

Donc voilà, j’ai adoré ce roman qui m’a bouleversée, je ne regarderai plus les films de Marilyn de la même façon, je n’y verrai plus Marilyn mais Norma Jeane jouant Marylin jouant son rôle.
La fin du roman est très dure, Joyce Carol Oates n’essaie pas d’atténuer quoique ce soit et réveille chez son lecteur un profond sentiment de révolte et d’injustice.

Blonde est un très grand roman, dur mais fort et mené de main de maître encore une fois.

La très belle critique de AnGee ici.

lundi 19 novembre 2012

La Maison muette - John Burnside



4ème de couverture :

Ce texte d'une violence clinique exceptionnelle est le récit d'une “expérimentation” sur deux enfants jumeaux élevés sans contact avec la parole humaine. La violence s'infiltre peu à peu dans le récit amoral conduit sur un ton détaché, sans recherche d'effet spectaculaire, d'une écriture précise et ciselée de poète.
Plongée dans les méandres les plus noirs de l’esprit humain, réflexion sur la perversion du pouvoir paternel, vertige du désir de la connaissance, réflexion sur le langage, un roman troublant.

Mon avis :

Ce roman n’est pas, comme le prétend la 4ème de couverture, uniquement le récit d’une « expérimentation » mais il est aussi celui du parcours d’un esprit dérangé qui, au nom de la recherche scientifique, commet des actes cruels et inhumains.
Ainsi tout au long de ce roman, le lecteur accompagne le narrateur dans sa folie puisant probablement son origine dans ses rapports étranges et dénués de sentiments avec ses parents.
Très tôt, il a un esprit curieux et , s’interrogeant sur le siège de l’âme, se lance dans des expériences qui relèvent plus de la pure perversité que de simples dissections de laboratoire.

John Burnside a produit ici un texte froid qui ne laisse aucune place aux émotions ni aux sentiments. On ressent toute la poésie du style de l’auteur mais là où est la prouesse, c’est que malgré une plume toute en finesse et délicatesse, Burnside parvient à créer une atmosphère glaciale et à la limite du malsain. Le personnage principal qu’il met en scène est tout à fait le genre de personne qu’on aimerait ne jamais croiser dans sa vie. Il est froid, calculateur et totalement dénué d’empathie.
La Maison muette est un récit écrit à la première personne qui nous plonge dans les méandres d’un esprit psychopathe duquel, tout comme ses pauvres victimes, on reste prisonnier, spectateur et impuissant.
Le plus dérangeant c’est que l’auteur parvient à emmener complètement son lecteur au point que je me suis surprise à être curieuse des résultats de cette expérience et de comment le narrateur allait s’y prendre pour parvenir à son but.
Ce qui donc est finalement violent dans ce roman, ce n’est pas tant les actes dont il est question (décrits de façon plutôt chirurgicale) mais aussi et surtout l’immoralité et la perversité de ces actes. John Burnside joue principalement avec le pouvoir d’imagination de son lecteur et de sa propension à toujours imaginer le pire, il le manipule, ce qui rend la lecture assez éprouvante psychologiquement.

Ce roman est aussi une magistrale réflexion philosophique sur l’âme, sur ce qui est inné et acquis par l’expérience ainsi que sur le langage. Il nous amène à nous poser de nombreuses questions sur lesquelles les philosophes se sont déjà penchés. La langue est acquise mais n’existe-t-il pas un langage inné, commun à tous les êtres humains, un langage que nous connaîtrions naturellement et que notre environnement nous ferait oublier ? C’est à cette question que le narrateur cherche une réponse. Et c’est par le fait qu’elle est diablement intéressante que le lecteur, par curiosité, devient complice du narrateur à son plus grand effroi.
Car même si notre morale réprouve le procédé, notre curiosité ne fait-elle pas de nous quelque part des pervers aussi ? D’où le malaise que le lecteur ressent en plus …

Au final, un roman très dur mais traité de façon intelligente et merveilleusement bien écrit : une très bonne lecture.

samedi 17 novembre 2012

Total Recall - Philip K. Dick



Je poursuis ma découverte de l’œuvre de Philip K.Dick avec cette fois-ci un recueil de ses nouvelles les plus célèbres puisqu’elles ont souvent fait l’objet d’adaptations cinématographiques. D’ailleurs, le recueil intitulé Total Recall, que j’ai pu lire grâce à la lecture commune organisée par Flo Tousleslivres, a été tout spécialement édité à l’occasion de la sortie du tout récent film éponyme.

Cet ensemble de 9 nouvelles m’a laissé un avis partagé car je l’ai finalement trouvé assez inégal en qualité. Mais attention, mon ressenti est largement influencé par le fait que j’ai déjà vu la plupart des adaptations ciné et aussi par le fait qu’ayant déjà lu quelques œuvres de Dick ( surtout Ubik) je connais déjà son univers. La conséquence en est que je n’ai pas eu de sensation de surprise ( sauf à de rares exceptions).

On retrouve dans ces nouvelles les thèmes chers à Dick : l’identité, la réalité, comment se définir soi-même, comment définir la réalité et faire la différence entre SA réalité et LA réalité telle qu’elle est vraiment. Le problème de la drogue revient souvent aussi, outil de prédilection de Dick pour aborder le thème de la réalité.
Dick souligne l’importance de la mémoire et des souvenirs dans la définition de l’identité ainsi que l’importance de l’origine mais une origine qui finalement est un obstacle qui peut être dépassé (par amour, par intérêt). Il traite aussi du rejet de ce qui est différent.
Aussi rencontre-t-on souvent des robots, symboles d’une interrogation sur l’identité et sur ce qui fait la spécificité de l’être humain en tant qu’être vivant. Mais je trouve que cette problématique de la difficulté à différencier l’artificiel du naturel à travers le thème du robot est traité de façon plus poussée chez Asimov. Mais chez ce dernier, l’étude a un côté plus scientifique, or que chez Dick, elle est plus « philosophique ».

Voici dans le détail mon avis sur chacune des nouvelles :

- Rapport Minoritaire : j’y ai retrouvé un peu de l’univers d’Ubik (les précogs etc…) d’où une sensation de déjà-vu. Cette nouvelle traite principalement de notre rapport à la réalité mais je la trouve vraiment trop confuse et complexe. Tout comme avec le film, je n’ai pas compris l’histoire dans le détail et ça m’agace. Cette nouvelle me donne l’impression d’avoir un QI d’asperge !

- Un jeu guerrier : j’ai trouvé celle-ci excellente ! Avec une fin à la Dick comme on les aime ! Ici, Dick aborde le sujet du danger des jouets sur le conditionnement psychologique des enfants (à travers les jeux éducatifs).

- Ce que disent les morts : Assez décevante, elle m’a trop rappelé Ubik. On y retrouve le principe de la semi-vie et le thème de la drogue. ( A noter tout de même qu’elle a été écrite avant Ubik et donc que Dick aurait repris plusieurs des éléments de ses différentes nouvelles pour les assembler ensuite dans Ubik pour le résultat génial que l’on connaît.)
En revanche j’ai relevé beaucoup de fautes, des mots qui manquent ou des erreurs dans les noms des personnages : Gain au lieu de Gam. A croire que personne n’a relu avant envoi à l’impression…

- Ah, être un Gélate … : intéressante pour le message qu’elle véhicule mais pas non plus extra ordinaire.

- Souvenirs à vendre : celle qui est à l’origine de Total Recall. C’est pas mal du tout mais elle m’aurait plu davantage si je ne connaissais pas déjà l’histoire. Et je relève que la version ciné avec Schwarzie n’est pas très fidèle au texte ( toutes les scènes se passant sur Mars ont été rajoutées). Quelqu’un qui a vu la dernière adaptation pourra peut-être me dire si elle est plus fidèle ou pas ?
Et encore une fois ici, on ressent l’univers d’Ubik.

- La foi de nos pères : bien ! Elle sort un peu du lot car on est plongé dans un univers à la 1984 d’Orwell ( ce qui m’a surprise car je ne savais pas que Dick avait abordé le domaine de la dystopie classique ) mais je suis finalement déçue par la fin.

- La fourmi électrique : pas mal du tout, elle m’a rappelé un peu Blade Runner. C’est l’histoire d’un robot qui se teste et essaie de voir quelles sont ses capacités et ses limites. Encore une fois, Dick joue avec son lecteur et on ne sait plus quelle est la réalité.

- Nouveau modèle :  géniale ! La meilleure du recueil selon moi. On est plongé dans un monde apocalyptique futuriste où la guerre froide entre russes et américains continue (contexte d’écriture) . Chaque camp a recourt à l’invention de robots comme armes de guerre, des robots ultra perfectionnés puisqu’ils peuvent s’auto fabriquer et se décliner en plusieurs modèles, ils anéantissent l’espèce humaine mais aussi entre eux.
Apparemment cette nouvelle a aussi fait l’objet d’une adaptation sous le titre de « Planète hurlante » que je n’ai pas vu (d’où une totale découverte). Mais apparemment le film serait assez différent. Dommage que la fin soit tout de même prévisible.

- L’imposteur : pas trop mal mais ne casse pas des briques non plus.

Donc voilà, une lecture intéressante parfois enthousiasmante et parfois décevante. J’ai toutefois pris conscience de l’ampleur du talent de Dick car je me suis aperçue qu’il était capable de toucher à plusieurs sous-genres de la SF.
Je remercie Flo Tousleslivres pour m’avoir permis d’approfondir ma connaissance de l’œuvre de Dick et ce n’est pas terminé puisque vous aurez bientôt mon avis sur une autre de ses œuvres Le Maître du Haut-Château ( toujours grâce à Flo).

dimanche 30 septembre 2012

A quoi rêvent les loups - Yasmina Khadra



4ème de couverture :

Alger - fin des années 80. Parce que les islamistes qui recrutaient dans l'énorme réservoir de jeunes gens vulnérables ont su l'accueillir et lui donner le sentiment que sa vie pouvait avoir un sens, parce que la confusion mentale dans laquelle il était plongé l'a conduit à s'opposer à ses parents, à sa famille, à ses amis et à perdre tous ses repères, parce que la guerre civile qui a opposé les militaires algériens et les bandes armées islamistes fut d'une violence et d'une sauvagerie incroyables, l'abominable est devenu concevable et il l'a commis.

Mon avis :

J’ai entendu et lu tellement de choses sur Yasmina Khadra ( et pas toujours des compliments) que j’ai longtemps hésité à le lire. Et puis je me suis enfin décidée avec ce titre A quoi rêvent les loups que j’ai choisi notamment à cause de son sujet. L’action se passe en Algérie pendant la sinistre décennie noire. On suit Nafa, un jeune homme de pauvre condition qui rêve de devenir acteur, dans sa marche progressive vers le terrorisme.

J’ai bien aimé ce roman. Mes premières craintes concernaient surtout le style de l’auteur. J’ai lu pas mal de critiques qui reprochaient à Khadra son style ampoulé tombant dans l’exagération avec usage de qualificatifs non appropriés ( aux dires des lecteurs), bref d’après eux, Khadra en fait trop, cherche à impressionner le lecteur par l’utilisation d’un vocabulaire peu commun.

Et bien moi, je n’ai rien eu à reprocher à ce style. Je n’ai pas trouvé que c’était exagéré et je n’ai remarqué aucune formulation biscornue ou quoi que ce soit du genre.
Au contraire, j’ai trouvé son style très imagé et j’ai en particulier beaucoup apprécié un passage où il décrit une Alger gangrenée par les mouvements islamistes. Ce passage est magnifiquement bien écrit, il y a de la force, du panache, de la violence même, la forme reflète parfaitement bien le fond.

Quand au sujet, je l’ai trouvé vraiment bien traité. Yasmina Khadra décortique tout le mécanisme qui a mené Nafa vers le terrorisme. Il nous décrit les conditions qui ont formé le terreau nécessaire à la naissance et l’expansion des mouvements islamistes ainsi que les procédés utilisés pour rallier la population. Il montre comment étaient organisés ces mouvements et illustre leur mode de fonctionnement, de gestion nous fournissant des détails sur l’organisation, l’intendance de ces groupes.
J’ai compris beaucoup de choses grâce à ce roman et notamment comment les islamistes ont pu prendre ainsi le contrôle d’un pays et aussi comment ils l’ont perdu.
J’ai été surprise par les multiples visages que se donnaient ces extrémistes. D’abord solidaires au point de ne jamais laisser tomber l’un des leurs, les luttes pour la tête du mouvement, l’arrivisme et la soif de gloire de certains dévoilent le mécanisme de règne par la terreur qui se cache derrière la façade dorée. Les discours semblent alléchants mais les actes sont répugnants et inhumains.

La seule chose que je déplore c’est que le roman soit trop court. Je n’arrive pas à me familiariser avec les personnages quand un roman fait moins de 400 pages. L’avantage c’est qu’on entre dans le vif du sujet assez rapidement et que l’auteur va droit au but mais j’aurais aimé encore plus de détails, plus de romanesque surtout et plus de sensations.

Finalement, je suis plutôt contente de cette première rencontre avec Yasmina Khadra qui m’aura fait oublier tous les avis négatifs que j’avais lus sur son compte jusqu’à présent.


dimanche 23 septembre 2012

Pain amer - Marie-Odile Ascher



4ème de couverture :

Ils étaient des milliers à avoir fui la révolution bolchevique et la guerre civile. En 1946, auréolé de sa victoire sur le nazisme, Staline les rappelle à la mère patrie : l’URSS. Ils seront quelque quatre à six milles « Russes blancs » exilés à suivre l’étoile rouge et les promesses du Petit Père des peuples.
Parmi eux, Marina qui, bien que se sentant française, suit les siens dans leur voyage de retour. Elle laisse Marc, son grand amour, certaine de revenir bientôt sur la Côte d’Azur, l’épouser. Pour l’instant, un long périple l’attend. Elle ne se doute pas qu’une fois arrivée, se dressera entre elle et ses rêves d’avenir le mur du totalitarisme.


Mon avis :

Bien que d’une façon générale je déteste l’Histoire contemporaine, je porte tout de même un grand intérêt à tout ce qui concerne l’Histoire de l’URSS et à sa terrible expérience du communisme. Aussi lorsque je suis tombée par hasard sur Pain amer, le résumé m’a tout de suite attirée.

Pain amer raconte l’histoire d’une famille d’exilés russes ayant fuit la révolution de 1917 et qui décide de repartir s’installer au pays sur l’appel de Staline en 1946. Bien entendu à l’époque, la propagande soviétique battait son plein et faisait tout pour faire croire à son modèle paradisiaque de société égalitaire.
C’est là qu’a été ma principale difficulté en lisant ce livre. Sachant pertinemment ce qui attendait cette malheureuse famille une fois de retour en Russie, je n’arrivais pas à prendre le recul nécessaire pour les comprendre et je ne pouvais pas m’empêcher de pester contre leur crédulité.
Oui mais voilà … n’aurais-je pas fait pareil à leur place ? N’aurais-je pas voulu revoir les paysages dans lesquels j’ai grandi ? Retrouver mes racines, les quelques membres de ma famille restés là-bas ?

Pour ma défense, il faut savoir que toute l’histoire est racontée par Marina qui, elle, a grandi en France, ne parle absolument pas le russe et ne connaît quasiment rien de sa culture d’origine. Aussi par l’emploi de la première personne pour la narration, le lecteur s’identifie obligatoirement à elle et adopte inconsciemment son point de vue. Et on ne peut donc que pester contre la naïve obstination des parents et le comportement de la mère qui, anéantie, se laisse complètement aller.
Quant à Marina elle-même, elle est le personnage typique de l’adolescente héroïne qu’on rencontre dans de nombreux romans, elle est intelligente et en plus, elle est forte au point qu’elle prend sa famille en charge à la place de sa mère.
Bref, en ce qui concerne les personnages, je n’ai pas réussi à les prendre en sympathie malgré ce qui leur arrive.

Ce qui m’a finalement le plus intéressée ce sont les descriptions de la vie quotidienne sous le régime stalinien : le froid, la faim, la lutte pour survivre, le fait de constamment se méfier des autres et de contrôler ses moindres paroles et ses actes, être confronté à un système qui se prétend égalitaire mais qui privilégie les membres du parti etc… La famille en est réduite aux pires extrêmes, se contenter d’eau chaude comme simple repas pendant des jours et des jours, aller mendier des croutons de pain rassis, se contenter de hérisson bouilli comme seule viande, ne pas pouvoir se laver pendant des mois. Le tableau brossé par l’auteur est vraiment abominable et pourtant la famille se bat et s’adapte. Elle s’adapte d’ailleurs tellement bien qu’elle finit par s’en sortir assez bien et j’ai trouvé ça assez étonnant voire décevant comme fin. Mais leur exemple montre bien que pour s’en sortir au mieux dans un tel système est d’y obéir aveuglément et de « respecter les règles du jeu ». Il ne faut cependant pas oublier que le cas de la famille de Marina est une exception et que la plupart des exilés rentrés n’ont pas survécu à leur première année sur le territoire russe.
En parallèle de tout ça, j’ai aussi trouvé que l’histoire d’amour perdu n’apportait pas grand chose à l’ensemble. C’est touchant certes mais pas assez fort encore pour susciter en moi quelque émotion. Surtout que face à la dureté des conditions de vie décrites, il est difficile de se laisser attendrir par une amourette.

Je ne voudrais pas décourager les personnes qui voudraient lire Pain amer et ça m’attriste de constater que de mon avis ressort plutôt un sentiment négatif. Je pense que je n’aurais pas du lire ce roman juste derrière Folie d’une femme séduite. Ce qui fait que je suis plutôt mitigée. J’aurais certainement plus apprécié ma lecture dans d’autres circonstances car ce roman est un bon roman par son sujet, par le style et par le réalisme historique. Donc j’aurais plutôt tendance à le conseiller. Dommage que, pour ma part, je n’ai pas accroché plus que ça.


dimanche 16 septembre 2012

Folie d'une femme séduite - Susan Fromberg-Schaeffer



4ème de couverture :

La redécouverte d'un livre-culte qui a marqué des générations de lectrices. Un roman psychologique d'une émotion poignante, une inoubliable peinture de l'obsession amoureuse doublée d'un portrait de femme du siècle dernier aussi troublant que Tess d'Uberville ou Les Hauts de Hurlevent. Ayant quitté sa ferme natale, Agnès Dempster découvre du haut de ses seize ans la vie citadine. Quand Frank Holt, tailleur de pierres de son état, fait irruption dans sa vie, elle s'en éprend sur-le-champ. Abandonnant travail, amis et même l'enfant qu'elle porte, elle se donne corps et âme à cet homme fruste qu'elle pare de toutes les couleurs du héros romantique et de l'artiste d'exception, jusqu'à perdre sa propre identité. Quand Frank, effrayé par cet amour suffocant, s'échappe dans les bras d'une autre, Agnès perd pied. Contrainte à un geste fatal, elle devra répondre de ses actes face à l'opinion publique et aux médecins de l'asile.

Mon avis :

Plus qu’un coup de cœur, ce roman m’a complètement retournée, il m’a possédée, hypnotisée, séduite. Un coup de foudre ! Une passion ! 1110 pages (édition France Loisirs) englouties en 2 jours. Impossible de le lâcher, même la nuit !
La crainte qu’on pourrait avoir avant de se plonger dans Folie d’une femme séduite, ce serait d’avoir affaire à un de ces romans à l’eau de rose mièvre et niais. Mais, on en est très loin.

Le roman se présente sous la forme d’une longue lettre écrite par une Agnès âgée à celle qui l’aura accompagnée dans les moments pénibles de sa vie : son amie Margaret.
Elle y livre en quelque sorte ses Mémoires et reprend toute son histoire depuis le début, nous décrit son enfance, sa famille, le milieu dans lequel elle a grandit et nous dévoile ainsi les raisons qui l’ont poussée à fuir sa famille pour s’installer en ville.
Viennent ensuite le récit de sa relation avec Frank puis le drame et ses conséquences.
Le procédé de la lettre permet l’utilisation de la première personne du singulier en guise de narrateur, on entre ainsi dans la tête d’Agnès. Je me suis beaucoup identifiée à elle, nous trouvant nombre de points communs ce qui explique que j’ai pu être aussi bouleversée par cette lecture.

Susan Fromberg Schaeffer a écrit ce roman dans les années 1980 se basant sur un fait divers ayant défrayé la chronique à la toute fin du XIXème siècle. Elle nous transporte dans cette époque et on jurerait lire un roman classique digne des sœurs Brontë.
Elle nous dépeint le quotidien et la condition des femmes du siècle dont le destin et l’horizon se résument au mariage et aux enfants. Les femmes de la famille d’Agnès vont toutes vouloir se révolter contre cette fatalité et cet avenir qu’elles rejettent. Elles ont soif de liberté, de se sortir d’une « prison » dont elles ne veulent pas. Seule Agnès aura l’audace de vraiment s’en échapper encouragée par les exemples des vies désabusées de sa mère et sa grand-mère. Toutes sont en quête du bonheur. Mais quel est-il ce bonheur ? Comment être heureuse dans cette société qui laisse si peu de place aux femmes ?

A travers sa fuite, Agnès se cherche aussi. Elle veut s’affranchir de cet héritage identitaire que lui ont légué les femmes de sa famille. Sa rencontre avec Frank représente pour elle la possibilité d’une autre voie. Mais son amour se transforme vite en passion voire en dévotion. Et on assiste impuissant à la progressive perte de contrôle d’Agnès. Son amour pour Frank est si fort qu’elle en fait son unique raison de vivre jusqu’à s’oublier elle-même. Elle va jusqu’à vouloir fusionner avec l’objet de sa passion, lui confiant plus que son cœur, toute son âme.


La folie et la violence ( pas uniquement physique mais aussi psychologique) sont sous-jacentes durant tout le récit. On les sent à l’état latent lors de l’enfance d’Agnès. On les voit à l’œuvre chez sa grand-mère et sa mère. La personnalité d’Agnès est profondément fouillée, le doute s’insinue parfois, est-elle vraiment folle ou simplement très naïve ? Peut-être les deux ? La frontière est parfois très ténue entre l’amour-passion et l’amour-folie. Le lecteur s’embrouille, tour à tour Agnès agace le lecteur  ou suscite sa compassion.

Chaque personnage est parfaitement dépeint, on ne peut que s’attacher à eux. Susan Fromberg Schaeffer les fait évoluer dans des décors magnifiques et tellement réalistes. On s’y croirait !
Les descriptions des paysages sous la neige sont sublimes, cette neige qu’on retrouve souvent tout au long du récit, celle qui gèle l’activité et les mouvements des hommes les emprisonnant chez eux tout comme Agnès s’enferme dans son amour pour Frank.

Les parties relatant le procès et l’internement d’Agnès sont tout aussi passionnantes. On fait la connaissance de Maître Kingsley, l’avocat chargé de la défense d’Agnès, ainsi que du Dr Train qui sera amené à décrire le cas d’Agnès comme exemple d’une nouvelle forme de folie qu’il nommera la « Folie de la femme séduite ».
On a ainsi de belles pages sur la justice et l’état des recherches et des thérapies psychiatriques trop peu développées encore à cette époque.

Je n’ai trouvé aucun défaut à ce roman, tout sonne juste, les dialogues sont vivants, le style est limpide et agréable, les pages se tournent toutes seules.
Ce roman raconte la difficulté d’une femme à se trouver elle-même et à trouver sa place. Il est aussi l’illustration de la sempiternelle lutte entre l'amour-passion et l’amour-raison et pose la question de déterminer quel est le meilleur chemin vers le bonheur. Il n’y répond pas forcément mais en montre plusieurs exemples.

Un roman magnifique qui m’aura beaucoup marquée et que je garde en première place dans mon cœur. Je n’avais encore jamais été à ce point bouleversée par un roman.
Je ne peux que le recommander !

mercredi 12 septembre 2012

Peste & Choléra - Patrick Deville



4ème de couverture :

Parmi les jeunes chercheurs qui ont constitué la première équipe de l’Institut Pasteur créé en 1887, Alexandre Yersin aura mené la vie la plus mouvementée. Très vite il part en Asie, se fait marin, puis explorateur. Découvreur à Hong Kong, en 1894, du bacille de la peste, il s’installe en Indochine, à Nha Trang, loin du brouhaha des guerres, et multiplie les observations scientifiques, développe la culture de l’hévéa et de l’arbre à quinquina. Il meurt en 1943 pendant l’occupation japonaise.
Pour raconter cette formidable aventure scientifique et humaine, Patrick Deville a suivi les traces de Yersin autour du monde, et s’est nourri des correspondances et documents déposés aux archives des Instituts Pasteur.


Mon avis :

Une rentrée littéraire où sont parus plus de 600 nouveaux titres, pourtant cette année, très peu ont attiré mon attention. Parmi ceux-là, ce nouvel opus de Patrick Deville, auteur que je ne connaissais pas, rend hommage à un scientifique que la postérité a quelque peu oublié bien que sa contribution à la médecine fut, elle, inoubliable.
C’est donc en me plongeant dans Peste & Choléra que j’ai fait la connaissance de cet homme incroyable, ce touche-à-tout autodidacte à la personnalité bien trempée qu’était Alexandre Yersin.

Je dois bien avouer que j’ai été au départ très mitigée sur cette lecture. Le style m’a surprise et de façon assez désagréable : un style haché, des phrases sans verbes. Je m’attendais aussi à une biographie romancée classique avec du romanesque, des dialogues, des sentiments, de la vie quoi ! Mais au lieu de ça, j’avais un récit très factuel, dénué d’émotions. Patrick Deville ne laisse pas la place à l’imagination. Il s’en est tenu à ce qu’il savait de Yersin et n’a pas cherché à broder, à inventer des choses là où il n’y en a pas.

Passé quelques pages, ce style a fini par m’apprivoiser. Toute résistance s’est évanouie et je me suis laissée porter par les mots. J’ai trouvé certains passages d’une incroyable beauté. La description des paysages d’Asie m’ont fait rêver et Patrick Deville a réussi à me faire voyager en peu de mots là où d’autres auraient eu besoin de plusieurs pages.
J’ai eu la surprise aussi de rencontrer quelques lignes pleines d’humour encourageant l’imagination du lecteur à se créer des scènes d’un burlesque qui, pour ma part, m’ont fait éclater de rire.

Finalement, j’ai compris que l’écriture de Patrick Deville reflétait parfaitement bien le personnage d’Alexandre Yersin. Pourquoi faire du romanesque et du sentimental alors que Yersin était un scientifique entièrement dévoué à son travail ignorant les choses du cœur et celles de l’Art ? Yersin ne fait pas dans le sentimentalisme, il ne se sent bien que dans son havre de paix sur la côte indochinoise, loin du monde, loin des gens et loin de « toute cette  saleté de la politique ».

J’ai appris énormément de choses grâce à cette lecture et pas uniquement sur son sujet principal. Car Patrick Deville fait revivre aussi toute une époque allant du Second Empire à la Seconde Guerre Mondiale. On en suit et remarque ainsi les bouleversements et l’évolution à travers la construction du récit qui fait alterner plusieurs périodes de la vie de Yersin. D’habitude, ce procédé a tendance à me perturber mais ce ne fut pas le cas cette fois car les chapitres sont courts et donnent du rythme. Le lecteur n’a pas le temps d’oublier ce qu’il a lu ni de se perdre.

J’ai donc fini par dévorer ce roman et je l’ai terminé fascinée par ce personnage qu’était Alexandre Yersin. Je suis choquée que le prix Nobel et l’Histoire l’aient ainsi oublié et c’est un bel hommage que lui rend Patrick Deville.
Basé sur la correspondance et les visites de l’auteur à travers le monde sur les traces de son personnage, Peste & Choléra n’est peut-être pas une biographie historique au sens « scientifique » du terme mais un récit qui sonne juste sans anachronismes ni autres écueils que l’on rencontre souvent dans les biographies romancées.
Cela m’encourage à me tourner vers les précédents romans de Patrick Deville ( il y a Equatoria qui me tente beaucoup sur Pierre Savorgnan de Brazza).

Un coup de cœur donc que je recommande chaudement !

Vous pouvez vous procurer ce livre sur Priceminister que je remercie pour m'avoir permis l'acquisition de ce livre et je remercie également Oliver pour sa disponibilité.


dimanche 9 septembre 2012

Au-delà du mal - Shane Stevens



4ème de couverture :

A dix ans, accusé d’avoir assassiné sa mère, Thomas Bishop est placé en institut psychiatrique. Quinze ans plus tard, il s’en échappe avec une soif de vengeance sans bornes, et entame un long périple meurtrier à travers les Etats-Unis. Très vite, une chasse à l’homme s’organise : la police, la presse et la mafia sont aux trousses de cet assassin hors norme, remarquablement intelligent, méticuleux, amoral. Bishop sème la mort sans répit, n’ayant de cesse de changer d’identité et laissant sur sa route davantage de cadavres que d’indices. Au fur et à mesure de ce carnage sans précédent, l’Amérique entière plonge dans la paranoïa et l’hystérie. Les destins croisés des protagonistes, en particulier celui d’Adam Kenton, journaliste dangereusement proche du tueur, vont finir par dévoiler un inquiétant jeu de miroir …



Mon avis :

J’étais curieuse de découvrir ce roman précurseur du genre thriller avec tueur en série qui aurait inspiré les James Ellroy et Thomas Harris. Je peux comprendre ce qu’il avait d’original à l’époque mais il faut reconnaître qu’aujourd’hui, le genre fait fureur et, entre les romans et les séries TV, il devient difficile de surprendre le lecteur. C’est d’ailleurs pour cette raison que j’ai lâché ce type de lecture dont j’étais pourtant très friande il y a dix ans.
Mais bon … là il s’agit du pionnier alors j’ai voulu voir ce que ça donnait.

J’ai beaucoup aimé la première partie, l’enfance de Thomas Bishop, son internement, son évasion. Mais 900 pages mes amis … c’est long, surtout quand il n’y a pas de rebondissements.
Ce roman fonctionne selon le procédé que j’appelle Colombo : c’est-à-dire qu’on connaît déjà l’identité de l’assassin et on regarde les enquêteurs se dépatouiller avec leurs indices, leurs raisonnements etc … Sauf que Colombo, lui, a du nez et s’intéresse toujours en premier au coupable. Ici, ce n’est pas le cas, oh que non. La police ne s’en sort pas au point qu’elle demande à la pègre de l’aider. Même les journalistes s’y mettent. Rien à faire ! Normal, car dès le début ils écartent tous LA piste numéro un. Bah oui, il faut bien faire durer le suspense ! Pourtant si j’ai bien appris un truc avec toutes les séries et tous les polars que j’ai vues/lus, c’est bien qu’il ne faut jamais négliger une seule piste. Bref … ça a eu le don de m’énerver …
Donc voilà notre tueur en série qui se promène à travers les Etats-Unis en toute tranquillité.
Le roman alterne plusieurs points de vue de cette chasse à l’homme, celui des policiers, des journalistes, celui du tueur. Heureusement car ajouté au style rythmé de l’auteur, ça permet de tromper un peu l’ennui.

On a donc des policiers pas très futés, un journaliste plutôt intelligent mais qui met 700 pages à découvrir l’identité du tueur … et le tueur dans tout ça ? Ben … quand on connaît Patrick Bateman, plus rien ne nous impressionne. Parce que oui, il tue notre Thomas Bishop mais on est loin, très loin, de frémir d’horreur et de faire la grimace de dégoût. Les scènes de meurtre sont plutôt fades et vite traitées. Les âmes sensibles apprécieront. Même si l’auteur nous dévoile toutes les pensées secrètes et les névroses de Bishop, je suis restée sur ma faim car c’est finalement très répétitif et pas vraiment original ( enfin … ça l’était sûrement à l’époque mais plus maintenant).

Et parce qu’il faut bien avoir des choses à raconter pendant ces 900 pages, Shane Stevens assaisonne son œuvre d’intrigues politiques. Et ça, désolée, mais je déteste les thrillers politiques. L’avantage c’est qu’on a, grâce à ça, une assez belle description de l’ambiance des Etats-Unis des années 70, on retrouve la montée en puissance des journalistes d’investigation (bêtes noires de Nixon), on est témoin des « arrangements » entre grands industriels et pouvoir politique. On a des réflexions très intéressantes sur la question de la peine de mort. Finalement, l’atmosphère de l’époque ressort assez bien.

Ce qui ressort assez bien aussi, c’est la misogynie de l’auteur. Ce monsieur a une vision de la femme vraiment ignoble, je pense que son Thomas Bishop a du lui servir d’exutoire à sa haine du sexe opposé. Il l’avoue d’ailleurs lui-même en disant qu’assassiner des femmes est le fantasme classique d’une grande majorité d’hommes. S’il n’avait mis de tels propos que dans la bouche de son tueur en série, j’aurais compris qu’il s’agissait de la mentalité du personnage , sauf que ce genre de propos apparaît aussi venant des policiers, des journalistes, bref de tous les protagonistes. D’ailleurs, ils sont exclusivement masculins. Les femmes sont quasi absentes sauf pour servir de victimes ou de prostituées d’occasion.

Donc voilà, je suis plutôt déçue par ce roman. Je pense que je suis trop influencée par American Psycho qui, pour moi, est un chef d’œuvre du genre dont je n’ai pas trouvé d’équivalent jusqu’à présent.

mercredi 5 septembre 2012

Chroniques martiennes - Ray Bradbury



4ème de couverture :

Les Martiens de l'An 2000 de Bradbury ne sont pas très différents des Terriens. Mais ils sont télépathes... parfois sans le savoir. C'est ainsi que, tandis que la première expédition terrestre s'achemine vers Mars, une femme se met à fredonner un air d'une musique inconnue, et des paroles qu'elle ne comprend pas, « Plaisir d'amour ne dure qu'un moment ». Troublé par cette petite chanson obsédante, jaloux des rêves qui l'accompagnent, son mari accueille la fusée une arme à la main... et c'est la fin de la première expédition terrestre. Qu'advint-il des autres ? C'est avec ces « Chroniques martiennes » que Ray Bradbury donna un ton nouveau à la science-fiction et en devint l'un des maîtres.

Mon avis :

Après ma lecture du célèbre Fahrenheit 451 que j’avais bien aimé sans que ce soit pour autant un coup de cœur, j’étais curieuse de connaître les autres écrits de Ray Bradbury.
L’organisation par Stellade d’une lecture commune m’a donc donné l’occasion de découvrir les Chroniques martiennes.

Je dois bien avouer que les premières pages ne m’avaient pas vraiment emballée, je me disais que si c’était comme ça pendant tout le roman, j’allais certainement abandonner.
Et puis, il s’est passé quelque chose : Bradbury m’a surprise alors que je ne m’y attendais pas du tout. Il m’a même fait rire. J’ai finalement poursuivi ma lecture avec un intérêt et un enthousiasme croissants au point qu’une fois la dernière page tournée j’étais totalement emballée. Les Chroniques martiennes sont un coup de cœur et je les préfère de très loin à Fahrenheit 451.

Les Chroniques martiennes sont ce que l’on appelle un fix-up c’est-à-dire un ensemble de nouvelles qui peuvent être indépendantes mais qui ensemble forment un tout cohérent et racontent une histoire.

L’histoire ici racontée est celle de la colonisation de Mars par les terriens. Bradbury nous narre, non sans humour, les déboires des premières expéditions terriennes sur la planète rouge ainsi que l’accueil pas toujours chaleureux que leur réservent les martiens.
S’en suivent des nouvelles traitant de l’installation des premiers colons qui, pourtant n’oublient pas leur bonne vieille planète d’origine en proie à des guerres incessantes et dévastatrices poussant de plus en plus de personnes à vouloir partir.

A travers toutes ces nouvelles, Bradbury traite de nombreux thèmes qui participent tous à une critique de l’humanité et de sa force de destruction.
L’arrivée massive des colons terriens amenant avec eux le virus de la varicelle décime la population martienne, on y voit là une analogie avec l’arrivée des colons espagnols en Amérique et ce qui est advenu des populations amérindiennes.
On ressent aussi fortement le traumatisme des guerres du XXème siècle. En effet, dans les Chroniques martiennes, la Terre est en guerre perpétuelle, une guerre qui aboutit à son entière destruction comme l’illustre une des nouvelles dans une grande métaphore. Bradbury fait le récit de la destruction de la dernière maison encore debout sur Terre comme s’il s’agissait de la planète elle-même.
L’auteur critique également le racisme et la ségrégation dont sont victimes les populations noires d’Amérique à l’époque d’écriture du recueil.
On retrouve aussi le thème majeur de Fahrenheit 451 dans la nouvelle intitulée Usher II, référence aux nouvelles d’Edgar Allan Poe : la défense de la littérature, de la liberté d’expression et la critique de la censure. Dans cette nouvelle, Bradbury rend hommage à de grands auteurs et donne une bonne « leçon de littérature » au représentant de l’ « Hygiène Morale ».

Bien que les aspects scientifiques ne soient pas du tout crédibles (les connaissances sur Mars à l’époque n’étaient pas les nôtres), Bradbury construit un univers entier avec force descriptions dans lequel on finit par s’immerger complètement et avec plaisir.

J’ai adoré ce recueil pour son humour, son univers magique, sa richesse et pour les messages qu’il diffuse.
C’est un chef d’œuvre de la SF qui restera assurément parmi mes préférés et dont je recommande chaudement la lecture !
Un grand merci à Stellade !


lundi 3 septembre 2012

La Femme qui lisait trop - Bahiyyih Nakhjavani



4ème de couverture :

Téhéran, seconde moitié du XIXe siècle : la cour du shah fourmille d'intrigues de palais, complots et autres tentatives d'assassinat plus ou moins abouties, sous l'ironique et cruel regard de la mère du souverain persan... Voici que cette fois, pourtant, ce très ancien royaume va se trouver ébranlé non tant par les menées factieuses des uns ou des autres (menées qu'observe l'ambassadeur de Sa Royale Majesté la reine d'Angleterre) mais par l'irruption inattendue d'une poétesse fort lettrée dont, d'un bout à l'autre du territoire, les vers et les propos semblent agir sur quiconque en prend connaissance comme de puissants catalyseurs d'énergies "subversives" - voire "hérétiques" : entre ces deux adjectifs, que certains sont tentés de rendre synonymes, reste à savoir qui, de la poésie ou de la violence, va trancher... A travers la figure historique de la poétesse Tahirih Qurratu'l-Ayn, à laquelle la postérité se montra si peu soucieuse de rendre justice, et qui osa, en femme libre et en exceptionnelle rhétoricienne, affronter au péril de sa vie les tenants du pouvoir tant séculier que théologique de son temps, Bahiyyih Nakhjavani met en scène les enjeux éternels - et plus incandescents que jamais aujourd'hui - de la liberté d'expression dès lors qu'elle s'affronte aux puissants comme aux dogmes religieux. Ecrit dans une langue étincelante, qui croise subtilement les fils de l'Histoire, de la religion, de l'art et la question de la condition féminine, ce roman propose, sur le mode d'une fiction historique, une réflexion d'une indéniable actualité.

Mon avis :

Après lecture de la 4 de couv, je me faisais une joie de découvrir le destin de cette femme qui osa braver les interdits et la domination des mollahs.
Mais finalement, tout ce qu’il y avait à retenir est contenu dans les 5 pages que constituent la post-face et la chronologie présentée en fin d’ouvrage.

Je me suis terriblement ennuyée pendant cette lecture qui a été longue et pénible. La première chose qui m’ait perturbée est le fait qu’aucun des personnages n’est nommé par son nom. L’auteur utilise à la place des qualificatifs tels que «  l’épouse du maire », « la fille de la poétesse », « la mère du shah », jamais ces personnes ne sont nommées directement. Heureusement qu’il y a la chronologie à la fin pour savoir de qui on parle exactement (tout le monde n’est pas forcément au point sur l’Histoire de l’Iran !). Parfois, je ne m’y retrouvais absolument plus, je ne savais plus de qui l’auteur parlait, j’étais obligée de revenir plusieurs lignes en arrière et de relire, parfois sans succès.
Je ne comprends pas du tout pourquoi l’auteur a procédé ainsi. En plus, elle utilise le discours indirect en abondance ou le discours direct libre mais il n’y a aucun dialogue clairement marqué. Tout ceci contribue à une lourdeur et à une sensation de manque de relief. Ce récit ne vit pas , aucune émotion n’est transmise.

La construction est elle aussi très étrange. Le roman se découpe en 4 parties, chacune consacrée à évoquer une même histoire mais du point de vue d’une femme différente. La première partie est consacrée à la vision de la mère du shah, la deuxième à celle de l’épouse du maire, la troisième à celle de la sœur du shah et la dernière à la fille de la poétesse (quoique …). Et dans chaque partie, on a droit à des flash-backs incessants, il faut vraiment être bien concentré pour suivre !

Je m’attendais donc à une biographie romancée de Tahiri Qurratu’l-Ayn mais finalement seule la dernière partie du roman lui est véritablement consacrée. Les trois autres ne font que relater les déboires de la famille du shah avec la présence de la poétesse en toile de fond.
Alors certes, on a une description de la vie en Iran au XIXème siècle mais uniquement du point de vue des femmes et surtout des femmes de haut rang. Finalement, le portrait que l’auteur fait de la Perse de l’époque est d’une incroyable noirceur. Il n’y a rien de positif, à l’en croire, l’Iran de l’époque des shahs n’est que violence, complots, intrigues, médisances, mesquineries, mariages forcés, tortures, massacres, famines, assassinats et émeutes. On est loin des Mille et Une nuits et de la magie orientale. Que je suis contente d’être née en France au XXème siècle !!

J’aurais tout de même appris des choses grâce à cette lecture et notamment un pan de l’Histoire de l’Iran au XIXème siècle et surtout l’existence de Tahiri Qurratu’l-Ayn, du courage de cette femme, figure du féminisme en Orient, elle qui a osé retirer son voile en public, elle qui s’est battue pour que les femmes aient accès à l’instruction, qu’elles apprennent à lire, à écrire et à être enfin reconnues comme des êtres pensants et capables de réflexion à égalité avec les hommes. C’était une femme remarquable et son souvenir subsiste encore au sein du peuple iranien bien que l’Histoire officielle l’ait « oubliée ». La question du statut de la femme étant toujours d’actualité dans certaines contrées, les problématiques de ce roman en font un plaidoyer très moderne.

Mais bien que l’objectif et l’intention de cette œuvre soient très louables, le traitement trop confus et décousu du sujet n’a pas été à la hauteur de mes espérances. Dommage …

vendredi 31 août 2012

L'Oeuvre au Noir - Marguerite Yourcenar



4ème de couverture :

En créant le personnage de Zénon, alchimiste et médecin du XVIe siècle, Marguerite Yourcenar, l'auteur de Mémoires d'Hadrien, ne raconte pas seulement le destin tragique d'un homme extraordinaire.
C'est toute une époque qui revit dans son infinie richesse, comme aussi dans son âcre et brutale réalité ; un monde contrasté où s'affrontent le Moyen Âge et la Renaissance, et où pointent déjà les temps modernes, monde dont Zénon est issu, mais dont peu à peu cet homme libre se dégage, et qui pour cette raison finira par le broyer.

Mon avis :

Je crois bien ne m’être jamais sentie aussi mal à l’aise pour écrire un avis. Non pas que le roman ne m’ait pas plu, bien au contraire, mais simplement parce qu’il est d’un tel niveau que je ne me sens pas du tout à la hauteur de l’exercice.
Je vais toutefois faire de mon mieux.

Pour commencer, si vous avez l’intention de lire ce roman et que vos connaissances historiques sont faibles, il va vous falloir réviser. Je pense très sincèrement qu’il est indispensable de bien connaître le cadre historique dans lequel évolue Zénon pour comprendre cette œuvre un minimum. Le récit se déroule au XVI ème siècle en pleine période de la Réforme, l’Europe connaît l’explosion de plusieurs formes nouvelles d’interprétation des Ecritures, les critiques violentes envers l’Eglise catholique, les mœurs scandaleuses de son Clergé, aboutissent à des contestations et à l’émergence du protestantisme, du calvinisme et d’autres doctrines. Théologiens, philosophes participent activement à un débat d’idées dont la diffusion au sein des masses populaires est facilité par le perfectionnement des techniques d’imprimerie. L’Eglise catholique sent le danger et prend des mesures : concile de Trente, censure, Inquisition, parlements, et tribunaux dits « d’exception » engagent la Contre-Réforme et font la chasse aux « dissidences ».
Marguerite Yourcenar place principalement son histoire aux Provinces-Unies ( une partie du Nord de la France actuelle, Belgique et Pays-Bas). Si les noms de Charles Quint, Duc d’Albe, Gueux de mer, des comtes d’Egmont et Hornes ne vous disent rien, vous risquez d’être rapidement perdu.
Je suis très contente d’avoir eu la question des guerres de religion à étudier pour le capes il y a quelques années. Sans ces connaissances, tout me serait resté affreusement obscur. Je pense en particulier à l’épisode de Münster que Marguerite Yourcenar fait revivre par sa plume bien que nos sources historiques ne nous permettent pas de savoir dans le détail ce qu’il s’est passé.

C’est donc un cadre historique très précis et très complexe qui accueille le personnage principal Zénon. Zénon est un esprit libre de l’époque s’intéressant et touchant à de nombreux domaines comme la médecine, les sciences techniques, l’astronomie, l’alchimie etc… Il concentre en lui nombre des traits de personnages ayant réellement existé et dont Yourcenar s’est inspirée : Erasme, Ambroise Paré, Léonard de Vinci, Paracelse… Marguerite Yourcenar s’amuse parfois à faire de Zénon un visionnaire  rêvant à des progrès techniques qui permettraient à l’homme d’évoluer dans les airs et sous la mer et, à l’instar de ceux qui l’ont inspirée pour la création de son personnage, elle lui attribue des idées très modernes.
On retrouve donc en Zénon un peu de tous ces esprits éclairés qui ont marqué l’époque moderne.

L’œuvre au Noir se découpe en 3 parties. La première s’attache à relater l’histoire de la famille de Zénon, on apprend aussi certaines choses sur Zénon lui-même mais uniquement par ouï-dire, on l’aurait vu à tel ou tel endroit. Sa réputation est déjà faite, on le soupçonne de nourrir des idées subversives et de sympathiser avec l’ennemi « mahométan ». Zénon voyage beaucoup et cette première partie est liée à cette époque de sa vie : l’errance au cours de laquelle il se forge son esprit et acquiert de solides connaissances. Il côtoie les plus grands en tant que conseiller ou précepteur.
Puis Zénon décide de se fixer. Il rentre à Bruges, sa ville d’origine. Ayant publié des écrits contrevenant à l’ordre établi, Zénon est recherché et doit donc utiliser une personnalité d’emprunt. Il se réinvente une vie et décide de consacrer son temps à soigner les malades et les plus pauvres au sein d’un établissement ecclésiastique. Des événements feront que Zénon sera démasqué.
La troisième partie est alors consacrée à son procès et son séjour en prison.

Tout au long du roman, Marguerite Yourcenar analyse les mentalités de l’époque à travers l’esprit critique de Zénon. Elle le fait rencontrer des personnages tantôt tolérants, tantôt obtus. S’ensuivent alors de savoureux dialogues. Savoureux par le style, par le sens, bien qu’il ne soit pas toujours évident d’en saisir toutes les subtilités. Le texte est truffé de références bien précises et certainement pas anodines, références à la mythologie, à la Bible, à des écrits des penseurs de l’époque. Lorsque comme moi, on a une culture assez pauvre dans ces trois domaines, c’est assez frustrant …mais pas gênant. Pas gênant parce que, sur le coup, on ne s’en aperçoit pas. Mais c’est une fois ma lecture achevée et ayant effectué quelques recherches que je suis tombée sur un document précisant toutes ces références et que je me suis alors rendue compte de tout ce qui m’avait échappé. C’est pourquoi je pense qu’une relecture s’impose. De plus, de nombreux thèmes sont abordés, tolérance, liberté d’expression et de culte, homosexualité, torture, l’innovation scientifique et ses conséquences, le pouvoir, l’inégale répartition des richesses... Et on se rend compte que les questionnements de l’époque ne sont pas si éloignés des nôtres. Ce qui en fait un texte étonnamment contemporain par certaines des problématiques soulevées.

Un dernier mot concernant le titre :
L’œuvre au noir est la première étape du processus alchimique censé aboutir au Grand Œuvre c’est-à-dire à la pierre philosophale apportant immortalité et permettant de transformer les métaux en or. Ce processus compte 4 étapes : l’œuvre au noir, l’œuvre au blanc, l’œuvre au jaune et enfin l’œuvre au rouge.
L’étape de l’œuvre au noir « désigne dans les traités alchimiques la phase de séparation et de dissolution de la substance qui était, dit-on, la part la plus difficile du Grand Œuvre. On discute encore si cette expression s'appliquait à d'audacieuses expériences sur la matière elle-même ou s'entendait symboliquement des épreuves de l'esprit se libérant des routines et des préjugés. Sans doute a-t-elle signifié tour à tour ou à la fois l'un et l'autre. » (tiré des notes de l’auteur)
Tout le roman illustre parfaitement, à travers Zénon, l’acception symbolique de la définition de l’œuvre au noir donnée par Marguerite Yourcenar.

L’œuvre au Noir est donc une lecture très exigeante et qui nécessite un solide bagage culturel. C’est une œuvre très riche, magnifiquement écrite, qui décrit parfaitement toute une époque et ses mentalités et qui m’aura donné du fil à retordre pour écrire cette chronique. Néanmoins, ça en valait la peine tellement cette œuvre m’a éblouie par ses qualités littéraires et son érudition.


mercredi 29 août 2012

Les Chutes - Joyce Carol Oates



4ème de couverture :

Au matin de sa nuit de noces, Ariah Littrell découvre que son époux s’est jeté dans les chutes du Niagara. Durant sept jours et sept nuits, elle erre au bord du gouffre, à la recherche de son destin brisé. Celle que l’on surnomme désormais « la Veuve blanche des Chutes » attire pourtant l’attention d’un brillant avocat. Une passion aussi improbable qu’absolue les entraîne, mais la malédiction rôde…

Mon avis :

C’était ma première rencontre avec Joyce Carol Oates et je suis sortie de ma lecture complètement charmée par son écriture.
Pourtant je partais avec de gros aprioris. J’ai toujours tendance à me méfier des auteurs prolifiques.
Je ne savais donc pas trop à quoi m’attendre, je craignais un peu le roman à l’eau de rose au vu de la 4ème de couverture mais pas du tout. J’ai été agréablement surprise et surtout conquise !

Les Chutes m’ont complètement transportée à une autre époque et dans un autre lieu. Pendant les deux jours qui m’ont été nécessaires pour le lire, j’étais là-bas à NiagaraFalls et j’ai vécu ces trois décennies avec Ariah et sa famille.
Les descriptions de Joyce Carol Oates sont si minutieuses, si détaillées qu’on est totalement happé et qu’on plonge sans retenue dans les Chutes.
Non seulement le décor et l’atmosphère sont brillamment travaillés mais également les personnages. J’ai rarement lu un roman qui approfondisse aussi bien la psychologie des protagonistes. J’avais presque l’impression de les avoir toujours connus, de faire partie de la famille.
Joyce Carol Oates nous fait entrer dans la tête de ses personnages, nous révèle toutes leurs pensées, leurs craintes, la fusion est parfois totale. L’auteur varie les points de vue, change de narrateur, on passe de la troisième à la première personne. On a vraiment la sensation de tout savoir, de pénétrer totalement leurs esprits.

Le personnage central du roman Ariah m’a, au début, beaucoup touchée. Le récit de la nuit de noces est absolument poignant. Joyce Carol Oates nous décrit cette nuit du point de vue d’Ariah puis de son mari. C’est dur, très dur, l’auteur ne nous épargne rien.
Par la suite, on apprend à la connaître de mieux en mieux et j’ai fini par la trouver franchement antipathique. J’ai souvent eu du mal à comprendre certaines de ses réactions.
Son deuxième mariage apporte également son lot de surprises et de moments durs. Ariah les aborde à sa façon mais reste pour moi un mystère. Essayer de comprendre Ariah, c’est comme d’essayer de nager une fois tombé dans les chutes. Elle est à leur image, indomptable, elle suit sa route et contourne les obstacles.
J’ai trouvé ses enfants beaucoup plus sympathiques.

A travers l’histoire de cette famille, Joyce Carol Oates nous raconte une partie de l’histoire des Etats-Unis, à une époque où la mafia, la corruption et les industriels sans scrupules avaient tout pouvoir. Elle nous brosse le portrait de la société américaine des années 50-60 et 70, les mentalités et les mœurs de l’époque. A plusieurs reprises, elle nous montre la lutte de certains contre les mentalités dominantes : Ariah et Dirk contre leurs familles respectives, Dirk et la population des quartiers pauvres contre l’élite de la ville …
La dimension dramatique de ce roman est très forte et se ressent énormément, certains passages sont marquants et bouleversent le lecteur.

Tout le roman est sous-tendu par un thème omniprésent mais sous différentes formes : la fuite, fuir une vie dont on ne veut pas. L’auteur en explore divers moyens : fuir tout simplement en partant, fuir en s’isolant du monde auquel on veut échapper, fuir en mettant fin à ses jours. Chaque personnage du roman est confronté à un moment ou à un autre à une de ces variantes. La fuite se répète donc et passé le fameux point de non-retour comme pour le fleuve, il n’y a plus d’échappatoire possible et il faut accepter son destin.
Beaucoup de questions sont soulevées dans ce roman, beaucoup de mystères subsistent.

C’est un grand roman très riche, très complet, très fin et j’enrage de ne pas savoir mieux exprimer mon enthousiasme car ce roman a été un vrai coup de cœur pour moi et je vous conseille de vous laisser, vous aussi, emporter et fasciner par les Chutes.


lundi 27 août 2012

Histoires extraordinaires - Edgar Allan Poe



Mon avis :

Après les références faites aux nouvelles de Poe par Bradbury dans les Chroniques martiennes, je mourrais d’envie de faire enfin connaissance avec cet auteur incontournable.
J’ai commencé ma découverte par ce recueil des Histoires extraordinaires.
Je ne pense pas que c’était un choix judicieux et je vais vous expliquer pourquoi :

Poe a écrit nombre de nouvelles qu’on trouve dans différents recueils. Les Histoires extraordinaires et les Nouvelles Histoires extraordinaires en regroupent la majorité, toutes traduites par Charles Baudelaire. Les nouvelles ne sont pas présentées par ordre chronologique d’écriture mais sont plutôt disposées de façon à conserver un lien logique d’une nouvelle à l’autre. On retrouvera les mêmes thèmes, les mêmes problématiques, les mêmes ficelles. Ce qui peut expliquer que certains lecteurs aient eu l’impression de lire à chaque fois la même histoire. Si vous craignez cette sensation de répétition, premier conseil : lisez les nouvelles dans le désordre.

Le recueil des Histoires extraordinaires regroupe 13 nouvelles que j’ai trouvées inégales en qualité (selon mes propres goûts qui ne seront donc pas forcément les vôtres). Voici le détail de mes impressions pour chacune d’entre elles :

Double assassinat dans la rue Morgue :
Une des nouvelles les plus célèbres de l’auteur, elle s’inscrit dans le pur roman policier où l’accent est surtout mis sur le sens de l’observation et sur l’esprit de déduction. Elle met en scène le lieu d’un crime et deux personnages qui vont s’essayer à résoudre l’affaire : M.Dupin et le narrateur. Ces deux personnages et leur façon de procéder ont clairement inspiré Sir Arthur Conan Doyle et ses célèbres Sherlock Holmes et Dr Watson.
Intéressante par le fait qu’elle soit une source d’inspiration, cette nouvelle ne m’a particulièrement emballée.

La lettre volée :
On reprend les mêmes personnages et on recommence. Cette fois-ci, nos deux détectives amateurs recherchent une lettre assez compromettante.
Ici aussi, le dénouement n’est pas particulièrement époustouflant. Il faut dire qu’à notre époque, les ficelles sont usées jusqu’à la corde mais je reconnais que ça a du avoir un caractère très novateur pour l’époque de Poe.

Le Scarabée d’or :
Une nouvelle étrange où on oscille entre fantastique (par le décor, la psychologie des personnages) et l’aventure. Elle a peut-être pu inspirer Stevenson. On y trouve aussi un cours d’initiation à la cryptographie (science que Poe adorait). J’ai bien aimé mais sans plus.

Le canard au ballon :
L’histoire et le contexte d’écriture de cette nouvelle sont plus intéressants que la nouvelle elle-même. Il s’agit à l’origine d’un canular paru dans un journal. Poe y raconte l’exploit réalisé par une poignée de savants ayant réussi la traversée de l’Atlantique en ballon (à savoir que ceci n’a été réalisé pour la première fois qu’en 1978 !). Poe agence son récit de manière à rendre l’événement crédible, on a ainsi droit à plusieurs pages de descriptions techniques relatives au ballon et à son fonctionnement. Le reste relate la traversée.

Aventure sans pareille d’un certain Hans Pfaal :
Ma préférée du recueil ! J’ai vraiment adoré cette nouvelle. Elle devait elle aussi être un canular à l’origine et paraître dans un journal seulement Poe s’est fait griller la politesse par un astronome ayant eu apparemment la même idée. Laquelle ? Faire croire qu’un homme était parvenu sur la lune où il y découvrait une civilisation extra-terrestre. Poe a remanié son texte pour en faire la nouvelle que l’on peut lire. Elle raconte donc l’histoire d’un marchand qui, pour échapper à la misère et à ses créanciers, décide d’aller vivre sur la lune. Pour cela, il construit un ballon et prévoit tout le nécessaire pour qu’il puisse atteindre la lune. Le texte est parfois très technique et scientifique ce qui le rend très crédible. Bien entendu, certains détails sont incohérents, je mettais ces incohérences sur le dos de l’état des connaissances de l’époque alors qu’en fait elles sont délibérément incluses dans le texte par l’auteur en guise d’indices pour déceler le canular. Néanmoins, le réalisme de l’expérience est tel que je me suis laissée aller à y croire et à sourire à la fin.

Manuscrit trouvé dans une bouteille :
Je suis passée à côté de cette nouvelle qui se veut fantastique et où on vogue à bord d’un mystérieux navire. Je n’ai pas tout compris et je ne sais pas s’il y avait quelque chose à comprendre.

Une descente dans le maelstrom :
J’ai bien aimé ce récit, écrit de façon très réaliste et où j’ai ressenti plus de sensations que dans les autres nouvelles. Jusque là, j’avais trouvé l’écriture de Poe assez froide, je n’arrivais pas à ressentir quoique ce soit mais celle-ci sort du lot.

La vérité sur le cas de M.Valdemar :
On entre dans le paranormal avec cette nouvelle et les suivantes. Le narrateur est magnétiseur et va maintenir un homme entre la vie et la mort en le magnétisant. On sent que Poe a du s’intéresser à ce genre de « science » sans y croire si on se fie à certains de ses commentaires à ce sujet. Etant hermétique à ce genre de pratiques, je n’ai pas vraiment apprécié cette nouvelle.

Révélation magnétique :
Le narrateur est là aussi magnétiseur. Il rapporte le dialogue qu’il a eu avec l’un de ses « patients ». Poe utilise ce moyen pour exprimer certaines considérations d’ordre philosophique concernant l’existence d’une divinité matérielle ou spirituelle. Je n’ai pas terminé ma lecture de cette nouvelle, je n’y comprenais rien et je n’avais pas envie de lire ce genre de choses.

Souvenirs de M.Auguste Bedloe :
Encore du magnétisme excepté que cette fois la relation entre magnétisé et magnétiseur est si forte que le magnétisé semble vivre la vie d’un autre à travers les souvenirs qu’a le magnétiseur de cet autre. Toutefois, Poe maintient le doute concernant cette explication et en suggère une autre : la réincarnation.
J’ai bien aimé mais sans plus encore une fois.

Morella :
On retrouve le thème de la réincarnation. Cette nouvelle aurait pu être bien plus angoissante mais ça n’est pas passé.

Ligeia :
Une belle histoire de fantôme, classique me direz-vous mais j’ai bien aimé.

Metzengerstein :
Deux familles voisines se haïssent. Lorsqu’il semblerait que l’une des deux soit anéantie, elle parvient quand même à détruire sa rivale par le biais d’un mystérieux cheval. J’ai bien aimé l’idée, ce que Poe voulait faire mais encore une fois je n’ai pas été convaincue et j’ai bien du mal à expliquer pourquoi. Peut-être le style …



Donc voilà, mon avis d’ensemble sur ce recueil est plutôt mitigé. Je m’attendais à plus de frissons et je pense que la déception m’a empêchée de savourer ces histoires comme il l’aurait fallu. Le genre de la nouvelle ne facilite pas non plus les choses.
J’ai trouvé le style de Poe trop dénué d’émotions, c’était froid et je n’arrivais pas à être touchée. La traduction de Baudelaire n’y a rien fait. J’ai retenu quand même de ce recueil que Poe était un homme très intelligent et très cultivé. Il était assez sûr de sa supériorité intellectuelle et ça se ressent par moment. Il s’intéressait à des domaines très variés et semblait de plus très bien les maîtriser.
Je suis admirative de cette maîtrise mais aussi de son imagination. On sait que Poe a posé les bases du roman policier, il sait aussi écrire de la science-fiction, du fantastique, de l’aventure. Il touche à presque tous les genres. Il est ainsi une source d’inspiration pour de nombreux auteurs : Conan Doyle, Stevenson, Jules Verne etc…
Je n’ai donc pas voulu m’arrêter à ce recueil et j’ai poursuivi avec les Nouvelles Histoires extraordinaires où, là, on découvre le véritable génie de Poe.
Donc un conseil, si vous souhaitez découvrir Poe, commencez par les Nouvelles Histoires.

samedi 25 août 2012

Les Liaisons dangereuses - Pierre Choderlos de Laclos



Résumé :

La jeune Cécile Volanges quitte son couvent pour faire l’apprentissage du monde et épouser le comte de Gercourt, mais une de ses parentes, la marquise de Merteuil, entend profiter de ce projet de mariage pour se venger d’une infidélité que lui a faite autrefois Gercourt. Elle charge donc son complice, le vicomte de Valmont, de pervertir Cécile avant ses noces. Mais loin de Paris, dans le château de sa vieille tante, Valmont s’est de son côté mis en tête de séduire la dévote présidente de Tourvel, et une idylle bientôt se noue entre la « petite Volanges » et le jeune Danceny.

Mon avis :

Je connaissais certes déjà l’histoire de ces liaisons dangereuses pour en avoir vu l’adaptation ciné version classique de Frears et celle plus moderne « Sexe intentions ». Toutefois, je ne me souvenais plus trop des détails ni de la fin. La lecture de l’œuvre originale aura comblé ces lacunes.

J’ai eu du mal pendant la première moitié du livre. J’ai trouvé que c’était long à se mettre en place même si c’était nécessaire, et de plus, certaines lettres m’ont ennuyée et agacée. Je pense à celles que s’échangent Valmont et Mme de Tourvel.
Heureusement, tout s’accélère dans la deuxième moitié pour finir en apothéose ce qui me fait ressortir de cette lecture avec un seul mot à la bouche : Grandiose !

XVIIIème siècle oblige, j’ai adoré le style. Voilà la belle langue française dans toute sa splendeur. Le talent de Laclos a été en plus de savoir varier les tons en fonction de ses personnages. On reconnaît aisément le style léger et naïf de Cécile, celui incisif et sûr de lui-même de la Marquise, celui vaniteux et exagéré de Valmont etc… Laclos est ainsi parvenu à faire ressortir la personnalité de chacun à travers ces lettres avec tant de réalisme que je ne m’étonne pas qu’à l’époque on ait pu croire qu’elles étaient véridiques.

J’ai donc trouvé tous les personnages très crédibles et intéressants. Mais je dois quand même reconnaître que l’intérêt principal de cette œuvre réside, selon moi, principalement dans l’histoire entre Valmont et la Présidente de Tourvel ou, en tout cas, c’est cette relation qui a le plus attiré mon attention.
J’avoue que je n’ai pas su quoi penser de Valmont. Je l’ai haï et admiré à la fois. Son histoire avec la Présidente m’a toute retournée. Il m’a mis le doute sans arrêt, ses lettres à la Présidente  me paraissaient parfois exagérées et pas naturelles (d’où parfois mon agacement), mais ce qu’il disait après à la Marquise me faisait vraiment douter ( tout comme elle d’ailleurs). Mme de Tourvel m’a parfois énervée, elle savait pourtant à qui elle avait à faire mais ses sentiments ont été les plus forts.
Bref j’ai été très touchée par cette relation d’amour destructrice, par cette force de l’amour qu’on sent dans les lettres de la Présidente où elle essaie de lutter entre cœur et raison.
La fin m’a bien entendu bouleversée et m’a fait penser à cette pièce de Musset : « on ne badine pas avec l’amour » dont je trouve le titre tout à fait approprié ici aussi.

La Marquise de Merteuil est elle aussi très intéressante. Elle brille par son intelligence, son machiavélisme et ses talents de manipulatrice. C’est une femme qui a réussi à s’affranchir du statut que son sexe lui réservait. Elle a une très forte personnalité et réussit vraiment à en imposer. Malgré son côté exécrable, je ne peux pas m’empêcher de l’admirer un peu.
Néanmoins, j’ai réellement jubilé lorsque Valmont, tout aussi intelligent et manipulateur qu’elle, la prend en défaut et se retourne contre elle.

Je ne m’attarderai pas sur les autres personnages qui, selon moi, n’existent que pour servir le « trio de tête » et qui finissent en « dommages collatéraux ». Je déplore seulement l’absence de figures masculines de type paternelle. Il y a beaucoup de femmes dans ce roman, les maris sont à la guerre ou morts, ce qui fait qu’en dehors de Valmont et de jeunes « étourneaux », la gente masculine est assez mal représentée.
De la main de l’auteur lui-même, cette œuvre servirait d’avertissement et de leçon aux jeunes femmes, un peu à l’image du célèbre conte de Charles Perrault « Le petit chaperon rouge » où je verrais bien la Présidente et Cécile dans le rôle du chaperon, la Marquise et Valmont dans le rôle du vilain méchant loup et enfin Mme de Volanges et Mme de Rosemonde dans le rôle de la Mère-grand.
Il fallait donc que survivre dans ce milieu soit bien difficile pour que des auteurs ressentent le besoin de prendre la plume pour mettre ainsi en garde les demoiselles.

Car plus qu’une œuvre de fiction, Les Liaisons dangereuses sont aussi un parfait témoignage des mœurs de la haute société de l’époque, de l’éducation au couvent des jeunes demoiselles qui les laisse dans l’ignorance du monde extérieur qu’elles auront à affronter, du dévouement sans scrupules des domestiques jusqu’aux soirées libertines, Laclos nous dévoile l’envers caché du décor. Derrière les courbettes de façade, ce sont souvent médisances et manipulations, il est si facile de briser une réputation. Au cours de ma lecture, j’ai beaucoup pensé au film de Patrice Leconte « Ridicule » qui montre, lui aussi, la perversité et la sournoiserie de ce milieu.
N’est pas or tout ce qui brille.

Enfin, Les Liaisons dangereuses sont aussi une étude sur l’amour et le couple, on y trouve des réflexions sur les différents types de relation, les mariages arrangés, les véritables passions amoureuses, les relations libertines. J’ai beaucoup aimé la lettre de la Marquise de Merteuil dans laquelle elle raconte son parcours, y expose ses vues et sa conception de l’amour et où elle prône l’hédonisme. Elle refuse le carcan que la société de l’époque lui impose et décide de jouir librement de sa vie et de son corps. Elle rejette aussi l’emprise que peuvent exercer les hommes sur les femmes à travers l’amour. J’ai beau ne pas être d’accord, j’ai pourtant trouvé ses arguments très justes et compréhensibles.
De même, j’ai aimé le dilemme qui s’est posé à Mme de Volanges au sujet de sa fille. Devait-elle la laisser vivre son amour avec les risques que cela comporte ou lui assurer une situation ? Le sort de la Présidente illustre la réponse.
Mais pour ma part, je préfère prendre le risque de finir comme elle…


mardi 21 août 2012

Le cycle des Robots tome 1 : les Robots - Isaac Asimov



Résumé :

Susan Calvin est robopsychologue à l'United States Robots, Inc. Née en 1982, elle a aujourd'hui 75 ans. Ce livre relate ses souvenirs sur l'évolution du robot dans l'histoire humaine, depuis Robbie qui, en 1996, fut vendu comme bonne d'enfants, jusqu'à Byerley qui devint Président de la Fédération Mondiale terrestre en 2044.
A travers ces récits, on voit comment le robot, d'abord esclave soumis à l'homme, parvint peu à peu à être son égal, avant de devenir son maître. Les souvenirs du Dr Calvin forment un livre au charme désuet qui fait revivre l'aube du XXIè siècle, époque où l'homme existait encore indépendamment de son compagnon de métal, le robot.


Mon avis :

Ayant commencé le cycle Fondation et ayant appris que les 2 cycles d’Asimov étaient liés, je me devais de lire le cycle des Robots.

J’ai été surprise par ce tome qu’on m’avait annoncé comme étant un simple recueil de nouvelles. Mais ces nouvelles s’inscrivent dans un récit continu que constitue l’interview du docteur Susan Calvin, robopsychologue de renom. A travers cet interview, elle retrace l’histoire des avancées dans le domaine de la robotique et nous relate les principaux événements l’ayant marquée et principalement ceux liés aux dysfonctionnements des robots.

La conception et le fonctionnement d’un robot restent bornés par trois lois dites de la robotique :
- Un robot ne peut porter atteinte à un être humain ni, restant passif, laisser cet être humain exposé au danger.
- Un robot doit obéir aux ordres donnés par les êtres humains, sauf si de tels ordres entrent en contradiction avec la Première Loi.
- Un robot doit protéger son existence dans la mesure où cette protection n’entre pas en contradiction avec la Première ou la Deuxième Loi.
Chaque dysfonctionnement illustre un dilemme mettant en jeu ces 3 lois. Asimov nous fait alors de brillantes démonstrations de déduction logique. Son esprit scientifique et mathématique s’illustre à merveille, encore plus que dans Fondation.

Toutefois, un des épisodes échappe à ce schéma et m’a sincèrement fait sourire. En effet, un des robots commence à raisonner par lui-même et à réfléchir à ses origines. Il remet alors en cause sa création par les êtres humains qu’il estime trop inférieurs à lui-même pour avoir pu le créer. Chaque argument présenté par les hommes pour le convaincre est réfuté. Le robot se trouve alors un créateur et lance une religion à laquelle il convertit ses semblables.

Bref, j’ai adoré ces différents récits menés à la façon d’enquêtes policières où la logique et la déduction sont les vedettes. Un ouvrage intelligent à la sauce Asimov qui permet une large réflexion sur l’intelligence artificielle et ses dangers.

lundi 20 août 2012

Cent ans de solitude - Gabriel Garcia Marquez



Mon avis :

Avec Cent ans de solitude, Gabriel Garcia Marquez nous conte l’histoire de la famille Buendia et du village de Macondo dont on suit l’évolution durant un siècle. Les générations se succèdent mais leur histoire se répète de façon cyclique, la famille est prisonnière d’un cercle vicieux qui les exclut du reste du monde et ne leur laisse que la solitude pour seule compagne.
Gabriel Garcia Marquez a soigneusement construit son récit afin de mettre en exergue ce schéma répétitif, tout d’abord à travers les prénoms des personnages : José Arcadio, Aureliano qui reviennent à chaque génération et auxquels sont attribuées des personnalités bien précises, les retours périodiques des gitans ou d’un nouvel élément provenant de l’extérieur, l’obstination des José Arcadio à déchiffrer les manuscrits de Melquiades, les obsessions de chacun, les retours des membres de la famille ayant tenté de quitter le village etc…

Gabriel Garcia Marquez nous dépeint cette fresque familiale à la façon d’un conte. Le ton et le style employé, les éléments magiques contribuent à donner l’impression que l’auteur nous raconte une histoire. Objets étonnants, tapis volants, lévitation et autres surprises parsèment le récit.
Pourtant derrière ce qui pourrait n’être qu’une fable, se dessine l’histoire de la Colombie, les querelles politiques entre conservateurs et libéraux, les nombreuses guerres civiles, les progrès techniques, l’implantation des compagnies fruitières et le massacre dit des bananeraies où l’armée tira sur des grévistes. L’obsession de Aureliano au sujet du train transportant les corps des victimes afin de les jeter à la mer se réfère à une rumeur qui circula à l’époque.
Voilà pourquoi cette œuvre est emblématique de ce que l’on appelle le réalisme magique.

Le thème de la solitude apparaît et est développé sous toutes ses formes possibles, à travers l’isolement du village, à travers le manque d’amour, à travers l’expérience du pouvoir lorsqu’Arcadio joue au tyran de Macondo,  à travers le repli sur soi de Aureliano chef de guerre, et des José Arcadio qui s’enferment dans leur cabinet d’étude etc…
Seule Ursula m’a semblé lutter contre cette solitude, elle qui tenait à toujours laisser la maison grande ouverte, qui utilisait tous ses sens pour ne pas laisser sa cécité l’isoler, qui a tout fait pour combattre le destin et la solitude de ses enfants.
Ce qui m’a le plus frappé, c’est cette absence d’amour. Le style neutre et la prise de distance de l’auteur ôtent au lecteur toute possibilité de ressentir des émotions et en particulier l’amour. On ne ressent aucun amour, ni des parents vers les enfants, ni des couples entre eux, ou alors il reste purement physique et souvent incestueux.

Pour moi Cent ans de solitude est une curiosité. Cette lecture m’a étonnée et transportée dans un autre univers, je me suis laissée bercer par cette histoire partiellement rocambolesque. Ce n’est pas un coup de cœur mais en tout cas une belle aventure.

Un mot sur le format : j’ai eu la chance de pouvoir lire cette œuvre au format point2 que j’ai trouvé très pratique, très léger. Seul bémol : la finesse des pages qui les rend difficile à tourner.

Je remercie beaucoup Livraddict ainsi que les éditions Point2 pour m’avoir accordé ce partenariat.



lundi 30 juillet 2012

Spin - Robert Charles Wilson



4ème de couverture :

Une nuit d'octobre, Tyler Dupree, douze ans, et ses deux meilleurs amis, Jason et Diane Lawton, quatorze ans, assistent à la disparition soudaine des étoiles. Bientôt, l'humanité s'aperçoit que la Terre est entourée d'une barrière à l'extérieur de laquelle le temps s'écoule des millions de fois plus vite. La Lune a disparu, le Soleil est un simulacre, les satellites artificiels sont retombés sur terre. Mais le plus grave, c'est qu'à la vitesse à laquelle vieillit désormais le véritable Soleil, l'humanité n'a plus que quelques décennies à vivre...
Qui a emprisonné la Terre derrière le Bouclier d'Octobre? Et s'il s'agit d'extraterrestres, pourquoi ont-ils agi ainsi ?

Mon avis :

Voilà qu’encore une fois j’ai voulu suivre la majorité et j’ai été déçue.
Car oui, à en lire les critiques sur ce livre, il serait un « must », une perle de la SF digne des plus grands.
Euh… un « must » de l’ennui mortel je dirais plutôt …
Ce roman est long, très long, le côté SF ne sert que de décor et de prétexte à une histoire banale et sans intérêt entre trois personnes toutes aussi banales et sans intérêt.
C’est dommage, l’idée était originale et la 4ème de couverture est assez alléchante. Et pourtant ça traîne en longueur, il faut vraiment attendre les cent dernières pages pour avoir le fin mot de l’histoire.
J’ai trouvé que ce roman abordait des tas d’aspects intéressants mais en ne faisant que les survoler et tout ça pour s’engluer dans le récit ennuyeux de la vie de trois amis que l’on suit de l’enfance à l’âge adulte avec pour toile de fond cette histoire de bouclier.
Même le côté apocalyptique est bâclé, les réactions des gens face à cette fin du monde si proche sont survolées, le récit reste trop centré sur le personnage principal et en oublie les deux autres, surtout la sœur qui, pourtant, aurait pu amener à une véritable description des élans mystiques et religieux dans ce contexte particulier. De plus, tous les autres aspects possibles des réactions humaines, hormis le suicide, ont été écartés. Quant à la psychologie des personnages, elle est brossée de façon très grossière et peu approfondie.
Je ne sais donc absolument pas ce qu’a voulu faire l’auteur ni où il a voulu en venir. Je suis bien incapable de dégager une « morale » ou même un axe de réflexion suite à cette lecture.
Certains passages scientifiques m’ont agacée, j’ai eu l’impression que l’auteur cherchait à faire de l’étalage de connaissances et à impressionner son lecteur. Le parti pris pro-américain de Wilson est aussi trop voyant, comme par hasard, à chaque fois qu’un lancement de fusées connaît des problèmes, c’est toujours du côté des français. J’ai trouvé que le reste du monde était un peu trop effacé également. Désolée, mon côté chauvin s’insurge !
Donc voilà, je n’ai pas du tout aimé ce roman, long, ennuyeux et surtout aucune profondeur dans les thèmes abordés.
Quand je lis un roman de SF , j’ai besoin de rêver, qu’on me fasse voyager, qu’on me surprenne et qu’on me fasse réfléchir. Et ça n’a pas été du tout le cas ici.