mercredi 17 juin 2015

Le Procès - Franz Kafka






En décembre dernier je découvrais Kafka pour la première fois avec La Métamorphose, un texte dur, froid mais qui m’avait quand même plu et beaucoup marquée.
J’ai voulu renouer avec l’auteur en lisant conjointement avec Ingannmic son autre titre Le Procès.
Et autant vous dire tout de suite que je ne vais pas m’attarder tant cette lecture m’a été pénible.

Monsieur K., modeste fondé de pouvoir dans une banque, se fait arrêter un beau matin sans aucun motif apparent. Tous, autour de lui, semblent savoir et comprendre ce qui lui est reproché, mis à part lui … et le lecteur.
K. doit alors faire face à un procès des plus étrangement mené par une machine administrative et judiciaire à l’organisation et au fonctionnement incohérents et déconcertants à la limite de l’excentricité.

Avec Le Procès, j’ai définitivement compris que l’absurde n’était pas un genre pour moi. Je n’ai rien compris à ce roman. J’ai lu des critiques et des articles pour tenter de comprendre ce qu’avait voulu faire Kafka. Il semblerait que personne ne le sache vraiment. Le roman étant inachevé ceci explique peut-être cela. J’ai aussi appris que Kafka avait refusé qu’on publie son roman dans cet état. Certes, le texte a une fin mais on sent bien qu’il y a comme des interruptions dans le fil du récit, qu’il nous manque des éléments.

Partout j’ai lu que Kafka voulait dénonçait l’absurdité d’un système judiciaire gangrené par la bureaucratie. Cette explication me semble à la fois évidente et insuffisante. Je pense que Le Procès devait être un projet de plus grande envergure. J’ai lu quelques interprétations mais une seule m’a semblé pertinente : le procès intenté à K. représenterait de façon symbolique un conflit intérieur qui rongerait K.. Les différents protagonistes, avocats, juges, gardes seraient alors les images de sa raison, de son inconscient etc…
J’avoue que cette explication est celle qui, pour moi, éclaircit le plus de points. Car j’ai vraiment eu, tout au long de ma lecture, cette impression de n’aller nulle part. Je ne savais pas ce que l’auteur voulait faire passer comme message, quelles avaient été ses intentions en écrivant ce texte et je n’aime pas ce genre de situation. Je n'aime pas ces livres qui résistent à mon entendement, qui ne veulent pas me livrer leurs secrets. Je suis allée jusqu'à me demander si K. n'était tout simplement pas fou et victime d'hallucinations ou de délire paranoïaque mais rien dans le texte ne permet vraiment de confirmer cette hypothèse ni même de se faire une opinion précise sur la question. On reste dans le flou et l'interrogation totale.

Il m’a fallu me forcer pour venir à bout de ce roman qui pourtant ne compte pas beaucoup de pages. Après l’avoir posé, je le reprenais sans aucun plaisir et c’est avec grand soulagement que j’ai tourné la dernière page. Même les quelques passages les plus notoires qui, comme celui de la cathédrale, ont su séduire certains lecteurs m’ont laissée de marbre. Je ne peux pas apprécier quelque chose que je ne comprends pas. J’ai fini par renoncer à fournir davantage d’efforts tant j’étais perplexe et perdue et j’ai préféré poursuivre ma lecture pour la terminer au plus vite et passer à autre chose.

Très déçue donc par cette lecture dont j’attendais plus de cohérence et dont j’ignorais le caractère inachevé. Je resterai donc plutôt sur le bon souvenir que m’a laissé La métamorphose.



samedi 6 juin 2015

Robinson Crusoé - Daniel De Foe





« Puisqu’il nous faut absolument des livres, il en existe un qui fournit, à mon gré, le plus heureux traité d’éducation naturelle. Ce livre sera le premier que lira mon Émile ; seul il composera durant longtemps toute sa bibliothèque, et il y tiendra toujours une place distinguée. Il sera le texte auquel tous nos entretiens sur les sciences naturelles ne serviront que de commentaire, il servira d’épreuve durant nos progrès à l’état de notre jugement ; et, tant que notre pur ne sera pas gâté, sa lecture nous plaira toujours. Quel est donc ce merveilleux livre ? Est-ce Aristote ? Est-ce Pline ? Est-ce Buffon ? Non ; c’est Robinson Crusoé. »
 Rousseau - Emile ou de l'éducation


Dès notre plus tendre enfance, notre imaginaire est nourri de contes, légendes et histoires dont on a parfois du mal à connaître l’origine mais qui finissent par nous être si familières qu’on se retrouve tout étonné, lorsque parvenus à l’âge adulte, nous redécouvrons ces personnages et aventures fabuleuses et que nous nous apercevons à quel point ces petites histoires que l’on croyait enfantines sont riches en enseignement et bien plus complexes qu’elles ne le laissent paraître.
Robinson Crusoé fait partie de ces mythes littéraires qui font la richesse de notre patrimoine culturel mondial. Précurseur d’un genre , la vie de cet aventurier fictif créé par Daniel De Foe a inspiré par la suite nombre d’autres récits, films et œuvres en tout genre que l’on a coutume de désigner sous le nom explicite de « Robinsonnades ». Les exemples sont légion mais parmi les plus célèbres on peut citer Le Robinson Suisse de Johann David Wyss, Sa Majesté des Mouches de William Golding, L’Île mystérieuse de Jules Verne et la célèbre réécriture Vendredi ou les limbes du Pacifique par Michel Tournier.

Je me souviens qu’en classe de 5ème, ma professeur de français avait choisi de nous faire étudier la version pour enfants du roman de Michel Tournier : Vendredi ou la vie sauvage. Et je me rappelle à quel point j’avais été déçue de ce choix car «  je connais déjà l’histoire euh ! Moi je veux lire Fantômette !». Plus de vingt ans après et sur les conseils insistants de mon mari, j’ai voulu revenir à la source et redécouvrir les aventures de Robinson Crusoé par Daniel De Foe.
Je sais qu’il existe une traduction toute récente du roman, néanmoins j’ai lu celle qui faisait foi depuis le XIXème siècle c’est-à-dire la traduction de Petrus Borel que j’ai beaucoup appréciée malgré quelques tournures étonnantes ( apparemment le style de De Foe n’a pas été respecté) et les quelques coquilles que comportait mon édition. A ce propos, j’ai lu une édition poche GF-Flammarion vieille de vingt ans et pourtant le livre est comme neuf, les pages sont toujours d’un blanc éclatant, je ne peux pas en dire autant de mon édition du même âge d’Une vieille maîtresse de Barbey d’Aurevilly chez Folio … ( les éditions GF-Flammarion sont définitivement mes éditions poche préférées !)

Premier constat, je me suis rendue compte que j’ignorais complètement ( ou avait complètement oublié ?) quelle avait été la vie de Robinson avant le naufrage et son arrivée sur l’île c’est-à-dire de quel milieu social il était, quelles étaient les raisons de son voyage en mer et quelles étaient les circonstances du naufrage etc … Et j’ai donc découvert un jeune homme de condition moyenne que son père souhaitait voir prendre le même chemin que lui : celui d’une vie douce et tranquille, certes modeste mais à l’abri des vicissitudes de la pauvreté et de l’ambition. Mais la jeunesse est folle et veut voir le monde, Robinson fait peu de cas des désirs et des avertissements d’un père au discours prophétique et fuit le foyer familial. Ses premiers pas chaotiques sur les ponts des navires sont bien près de le faire revenir à la raison et par là même à la maison. Mais la jeunesse est folle et surtout entêtée. Robinson persiste dans sa voie maritime, traverse moultes péripéties qui sont pour le personnage autant de mauvais présages et pour le lecteur autant d’occasions d’appréhender la mentalité de l’époque ( nous sommes au XVIIème siècle) que de s’en offusquer. Ne serait-ce qu’à travers les raisons qui poussent Robinson à effectuer le voyage au cours duquel il fera naufrage. Seul rescapé de la catastrophe, Robinson nage jusqu’à une île déserte et doit alors organiser sa survie.

Deuxième constat, j’ai réalisé à quel point Robinson Crusoé était un roman riche aux visions et interprétations multiples. Au-delà du simple récit d’aventure propre à enthousiasmer et faire rêver les enfants, le roman se pose en véritable éloge de la civilisation britannique et se fait le chantre du colonialisme à travers une allégorie de l’empire britannique qui transpire à travers différents détails.
La vision colonialiste transparaît principalement à travers la relation Robinson/Vendredi qui est une relation de dominant à dominé. Robinson ne traite pas Vendredi en égal mais bien en inférieur qu’il se doit d’amener à la civilisation. Robinson va ainsi instruire Vendredi et lui inculquer son mode de vie, sa culture, sa religion. Pas un seul instant il n’a la curiosité de s’intéresser à la vie de Vendredi qui est natif de la contrée et doit donc savoir bien mieux que Robinson comment exploiter les ressources de l’île et vivre en harmonie avec elle. Le seul passage où il y a réellement échange c’est au sujet de la religion, les questions de Vendredi sont d’ailleurs croustillantes et mettent Robinson dans l’embarras. Mais en dehors de ce point, le roman est une véritable vitrine des mentalités de son époque.

Seul sur son île, Robinson se l’approprie complètement, elle devient sa possession personnelle, son domaine en lequel il est souverain tout puissant. Vendredi est son sujet et de même sont ceux par qui viendra sa délivrance. Ne se fait-il pas d’ailleurs nommé gouverneur ? Ne fait-il pas de l’île sa colonie qu’il vient visiter une fois retourné dans le monde ? Et c’est précisément ce qui a amené certains commentateurs à faire de Robinson Crusoé une allégorie de l’empire britannique. Ainsi pour eux, la caverne que creuse Robinson afin d’y mettre ses affaires en sûreté est un rappel de l’activité minière de la Grande-Bretagne, activité à laquelle elle devra sa puissance ( argument un peu anachronique non ?)
Robinson ne manque pas non plus de louer l’humanisme britannique et la grandeur de la civilisation britannique en n’hésitant pas à pointer du doigt l’autre grande puissance de l’époque : l’Espagne. Ainsi Robinson s’offusque-t-il des massacres perpétrés sur les indiens d’Amérique par la couronne espagnole ( mais par contre la traite négrière et l’esclavagisme ne semblent pas lui poser de problèmes de conscience …).

J’ai été très surprise par les premières lignes qui décrivent les premiers pas de Robinson sur l’île. Je m’attendais à des pleurs, des lamentations et bien que De Foe nous fasse part un peu plus loin au cours du récit des états d’âme de son survivant, j’ai trouvé, au lieu d’un personnage désemparé et complètement perdu, un homme d’un flegme et d’un pragmatisme étonnants. Immédiatement, Robinson réagit, tire de l’épave du navire tout ce qui peut lui être utile, cherche un lieu où s’installer tout en étant à l’abri d’éventuels sauvages ou animaux et tout en pouvant surveiller l’horizon.
Et pendant une grande partie du roman, Robinson décrit dans les moindres détails tout ce qu’il entreprend. Bien qu’il ait pu récupérer pas mal de choses sur le navire et notamment des armes et des vivres, il doit tout de même voir plus loin et envisager le moment où ses réserves seront épuisées.
Ces pages peuvent peut-être ennuyer le lecteur par l’abondance de détails qui lui paraîtront peu intéressants. Pour ma part, ça m’a passionnée ! Parti du foyer familial en affirmant qu’il ne savait rien faire, Robinson doit tout apprendre, exercer tous les métiers. Il est gestionnaire, compte tout, vivres, munitions, poudre, le temps … Il est bucheron,charpentier, menuisier, mineur, agriculteur, chasseur, potier, tailleur, boulanger. Il y a ce passage magnifique où il fait remarquer que dans notre société confortable on ne s’imagine pas le travail qu’il y a derrière un simple morceau de pain. Et cet autre passage où il doit s’y reprendre à maintes et maintes reprises pour obtenir un simple pot en terre dans lequel conserver ses aliments ou les faire cuire. Robinson pourrait nous apparaître comme un surhomme mais il n’en est rien car il peine et commet des erreurs.
Robinson transporte ainsi la civilisation qu’il connaît sur son île. Mieux, il recréé une civilisation débarrassée du vice de l’argent et de l’ambition, il aimerait tant échanger toutes ces pièces d’or contre de simples ustensiles de cuisine ou une simple paire de chaussures. Ceci dit, tout en maugréant sur l’inutilité de l’argent sur l’île, Robinson n’en récupère et conserve pas moins tout celui qu’il trouve ! « Money It's a gas Grab that cash with both hands and make a stash »

Eloge de la civilisation et en particulier de la civilisation britannique, Robinson Crusoé est aussi un roman moral d’apprentissage aux nombreuses références religieuses et philosophiques.

Le roman prend à de nombreuses reprises modèle sur la Bible. La vie de Robinson se calque tour à tour sur celles de différents prophètes. D’une façon générale il est Job, celui qui pouvait tout avoir et mener une vie tranquille jusqu’à ce que Dieu en décide autrement, lui fasse tout perdre pour lui rendre au centuple à la fin. Dans la première partie du roman, il est Jonas, celui qui semble porter malheur à tous les navires sur lesquels il pose les pieds. Puis sur l’île, il est Adam. Dans les descriptions et la narration de De Foe, les allusions au Paradis biblique et à la Genèse sont évidentes.
Robinson, c’est celui qui ignorait Dieu et qui, par ses aventures, va progressivement « rentrer dans le droit chemin ». Robinson Crusoé, c’est aussi le récit d’une repentance, d’une expiation. La faute commise est de n’avoir pas écouté les avertissements et conseils du père, d’avoir voulu braver le destin. La révélation se fait lors d’un rêve, dès lors, Robinson se réfugie dans la religion, étudie la Bible, prie. De là, quelques belles lignes de morale chrétienne nous invitent à tempérer nos ambitions, à apprendre à nous satisfaire de ce que l’on possède déjà, de ne pas convoiter les richesses d’un plus aisé que nous, penser que notre sort est bien plus enviable que celui de certains autres et que la situation pourrait toujours être pire que ce qu’elle est.
Mais De Foe inclut également dans son texte quelques références philosophiques. J’ai surtout remarqué celles tenant aux idées de John Locke sur l’argent et la propriété : dans l’état de nature, l’homme ne recherche que ce dont il a besoin, il ne lui sert à rien d’accumuler. La situation de Robinson correspond justement à celle de l’homme dans l’état de nature : il est seul, n’a aucune concurrence pour la nourriture, il lui est donc inutile de faire des réserves de denrées amenées à se gâter et ne recueille donc que le nécessaire.
J’ai cru comprendre que De Foe s’inspirait aussi d’idées sur le travail et la vie en société, la solitude et l’isolement. Je ne peux malheureusement pas vous en parler car je n’ai pas approfondi la question et mes connaissances en philosophie sont limitées.

Sur la forme, Robinson Crusoé est écrit à la première personne, c’est donc Robinson lui-même qui nous narre ses aventures. Cette vision auto centrée participe elle aussi à mettre l’accent sur l’homme blanc, civilisé. C’est Robinson le héros. Michel Tournier prendra le contrepied de cette vision. Je vous en parlerai très bientôt car j’ai l’intention de le lire pour faire la comparaison.
Ce qui m’ a surprise c’est que à un moment donné, alors que la narration s’effectuait normalement jusque là, De Foe adopte la forme du journal. Je n’ai rien contre sauf qu’il l’abandonne complètement quelques pages plus loin. Je pense qu’il a voulu cantonner l’emploi du journal à toute cette période où Robinson est seul et effectue des tâches quotidiennes répétitives. D’ailleurs , j’ai trouvé que les répétitions se sentaient un peu trop. Mais dès que l’action reprend véritablement lorsque Robinson découvre une empreinte de pas, la forme du journal est interrompue et la narration reprise normalement. Autre défaut, la fin est complètement bâclée, je n’ai pas compris, on dirait que De Foe a cherché à se débarrasser au plus vite, c’est très étonnant.

Néanmoins, j’ai adoré cette lecture qui m’a encore fait rêver malgré que l’histoire soit connue. On peut vraiment dire que j’ai redécouvert le mythe de Robinson. C’est un roman qui, avec toute sa richesse cachée, reste un grand roman d’aventure. J’ai hâte de lire la version de Michel Tournier !

mardi 2 juin 2015

La Désobéissance - Alberto Moravia






Cela fait deux mois que je n’ai rien publié sur ce blog. Je vous rassure, je vais bien et je continue à lire mais la motivation pour écrire se fait de plus en plus rare. Mais bon, je crois que vous commencez à être habitués à mes absences prolongées et injustifiées !
Je reviens aujourd’hui avec un titre d’Alberto Moravia, auteur italien que j’affectionne beaucoup. J’avais déjà lu de lui son célèbre roman Le Mépris massacré à l’écran par Godard et ses acteurs pitoyables. Il a d’ailleurs été le sujet d’une de mes toutes premières critiques sur le blog. Et je me souviens avoir été conquise par cette première découverte de l’auteur.
Pendant l’une de mes absences, j’ai lu aussi ( mais donc pas chroniqué) un autre de ses titres  Le conformiste , roman que j’avais beaucoup apprécié et qui traitait principalement de la normalité, de la pression sociale et de son influence sur notre comportement et nos prises de décision. A travers cette deuxième lecture, j’ai pu remarquer à quel point Alberto Moravia détaillait avec minutie les états d’âme de ses personnages, il décortique et analyse brillamment leur psychologie.

Ce troisième roman n’y échappe pas et bien qu’antérieur au Conformiste et au Mépris, Alberto Moravia y fait déjà la démonstration de ses talents.
Dans La Désobéissance, il met en scène un jeune adolescent, Luca, qui refuse de continuer à obéir à tout le monde et de se soumettre à une quelconque autorité. Rejet de ses parents, rejet de l’institution scolaire, rejet de toute forme d’attachement matérialiste, Luca pousse son délire anarchiste jusqu’à renoncer à la vie.


C’est amusant de faire le parallèle avec Le conformiste dans lequel le personnage principal Marcello prend très tôt conscience de son anormalité. Et là où Luca fait tout pour s’extraire des conventions, Marcello, lui, a le comportement complètement inverse et fait tout comme tout le monde et tout ce qu’on attend de lui afin de se fondre dans la masse. Toutefois, les deux romans restent bien différents puisque La Désobéissance se cantonne vraiment à cette période difficile de l’adolescence or que Le Conformiste retrace la vie entière de son personnage.

En général, je n’aime pas trop les romans traitant de la période adolescente, c’est une période qui est loin derrière moi à présent et les préoccupations qui caractérisent cet âge ne sont plus les miennes et ne m’intéressent absolument plus.
Mais je dois bien reconnaître qu’ici Alberto Moravia m’a bluffée tant il décrit merveilleusement bien la violence qui peut accompagner le passage de l’enfance à l’âge adulte.
Pour Luca, la transition s’effectuera non sans qu’il ait risqué sa vie. Luca tombe gravement malade. Ses délires sous l’emprise de la fièvre sont l’occasion pour Moravia de nous offrir de magnifiques pages révélatrices de la transformation qui s’opère dans l’esprit du jeune garçon.
Mais c’est justement le fait d’avoir frôlé la mort de si près, d’avoir presque atteint ce but qu’il s’était fixé d’être enfin détaché de ce monde, qui va précipiter sa renaissance. Grâce aux soins zélés d’une infirmière, Luca va découvrir l’amour charnel et ainsi, telle une chrysalide se métamorphosant en papillon, devenir enfin un homme.
La justesse et la précision des sentiments, des pensées, des interrogations et des réflexions de Luca découlent peut-être de l’expérience personnelle de l’auteur qui, jeune garçon, est tombé gravement malade de la tuberculose et aura fréquenté les sanatoriums pendant de longues années.

Outre la qualité du style et de la retranscription des émotions et des idées, je trouve quand même un peu confuse la tentative de faire de l’acte sexuel l’élément déclencheur de la transition garçon/homme. Même dans le texte, je trouve que Moravia n’est pas très clair. Pour moi, faire de la première fois le « rite de passage » est un peu cliché. J’ai l’impression que c’est surtout la maladie de Luca le déclencheur et d’ailleurs le passage dans le texte décrivant le rêve/délire de Luca en est l’illustration. Je n’ai pas compris pourquoi Moravia a brusquement dévié et donné toute l’importance à l’acte sexuel. Et puis personnellement, même si les « rites de passage » existent dans toutes les formes de société, je pense que ce sont surtout les événements de la vie qui font de nous une personne adulte. 

Dans l’ensemble, j’ai quand même préféré la première partie consacrée à la désobéissance de Luca , plus forte, plus violente, plutôt que la deuxième lorsqu’il est confié aux bons soins de son infirmière, attendue mais presque décevante par sa banalité.
Alberto Moravia m’aura encore une fois conquise par sa maîtrise et sa capacité à traiter un tel sujet avec tant d’acuité et d’authenticité.

 Un grand merci à Célia et aux éditions Denoël pour cette belle réédition.

La Désobéissance - Alberto Moravia
Traduit de l'italien par Miche Arnaud
Parution le 24/04/2015
Editions Denoël - Collection Empreinte
192 pages
12 euros