vendredi 13 mars 2015

Moby Dick - Herman Melville





C’est l’histoire du capitaine François qui, s’embarquant à bord du navire France, décide de consacrer le reste de sa vie non seulement à couler son navire mais aussi à se venger de l’affront commis par un pigeon.
Il décide de réunir son équipage et leur déclare :

« Moi Capitaine, je veux sauvegarder mon honneur et celui de la France. Ce satané pigeon m’a chié dessus. C’est inadmissible. La nature ne peut pas tout se permettre. Mais où vit-on ? Je promets un compte en Suisse bien garni et une exemption d’impôts à celui qui repérera le premier ce fichu volatile. Vous ne pouvez pas le rater, le suspect est blanc et a l’œil fourbe et vicieux.

-       - Êtes-vous bien certain qu’il soit blanc, mon Capitaine ? Ne serait-ce pas l’un de ces pigeons voyageurs venus de Méditerranée ? l’interrogea  l’un des seconds du navire Zay Moore.

   - Mais Capitaine, Zay Moore a raison, il y a très peu de « white » parmi la population des colombinés, s’avance El Blanco le premier second du navire, un pigeon blanc ne serait-ce pas plutôt ce que l’on appelle vulgairement une colombe ?

S’ensuivent alors quatre longues heures d’exposé au cours desquelles François s’échine à répertorier et expliquer les variations anatomiques et morphologiques entre le pigeon et la colombe.
 
Le lendemain, pour être bien certain que son équipage travaille en toute connaissance de cause, François leur narre l’histoire de la chasse au pigeon et leur présente un magnifique panorama de la représentation du pigeon dans l’Art. La dure journée est sanctionnée par un test d’évaluation sur le matériel indispensable à la chasse au pigeon.
Exténué, le second El Blanco demande à voir le capitaine :

  - Mais Capitaine c’est folie que de vouloir ainsi se venger d’un pigeon, c’est un animal qui n’a point conscience de ce qu’il fait.

-     - Oh ne vous y trompez pas, mon cher Blanco , le pigeon est sournois. Combien étions-nous à cette manifestation ? Et il a fallu qu’il me choisisse, moi ! Pourquoi n’a-t-il pas chié sur Angela ou Benyamin ? Non, vous dis-je, il l’a fait délibérément ! Il a été l’instrument d’une volonté divine ! C’est la main de Dieu lui-même ! Sa blancheur même est un signe. Mais je ne m’en laisserai pas compter ! Moi Capitaine, je défie Dieu et ses fientes de destruction massive !

François et son équipage parviendront-ils à retrouver et tuer le pigeon blanc ? Qu’adviendra-t-il du navire France ?
Vous le saurez en lisant la fabuleuse histoire de Maudit Bec !

Garneray - Pêche du cachalot

 Bon, plus sérieusement, Moby Dick n’a vraiment pas été une lecture facile et j’ai peiné pour en venir à bout. Les interminables et trop nombreuses pages de description, bien que passionnantes, ont failli avoir raison de moi. Et Moby Dick n’est pas du tout le roman d’aventure épique auquel on aurait tendance à s’attendre. Pour vous donner une idée de mon juste sentiment au sortir de cette lecture, je vais me permettre une comparaison toute simple. Visiter le musée du Louvre : c’est grandiose, on reste humble et abasourdi devant tant de beauté, de culture, de talent. Mais au bout d’un moment, on fatigue parce qu’il y a beaucoup à voir. Eh bien lire Moby Dick m’a fait le même effet. Je suis admirative devant le talent d’Herman Melville, devant tout ce travail de recherche et de documentation, devant toute cette réflexion sur le rapport de l’homme à Dieu, du bien au mal, devant ce style. Mais voilà, ça faisait vraiment beaucoup, trop même parce qu’au final la volonté d’exhaustivité de Melville empiète sur le message qu’il veut faire passer. Les interprétations sont d’ailleurs nombreuses. Pour ma part, je rejoins ceux qui ont vu en Moby Dick l’incarnation de Dieu, Achab étant cet homme refusant sa position de simple créature soumise aux caprices divins et qui cherche à en défier la toute-puissance.

Les références religieuses sont légion dans le roman. Ne serait-ce qu’à travers le nom des personnages : le narrateur Ismaël ( le fils aîné d’Abraham), Elijah le prophète et le capitaine Achab du nom de ce roi impie d’Israel … mais encore à travers l’histoire même de la baleine, le Léviathan biblique, et du prophète Jonas qui donne lieu au superbe sermon du père Mapple au début du roman.
Le personnage de Queequeg est aussi un symbole à lui tout seul, mythe du « bon sauvage », cannibale repenti. Mais bien qu’il vénère d’autres divinités, Queequeg semble être paré de toutes les vertus et nous paraît être finalement le plus sage et le plus humain de tous, ignorant des différences sociales et n’hésitant pas une seconde à se jeter à l’eau pour sauver une vie, qu’il s’agisse d’une bonne ou d’une mauvaise personne.

Les effets stylistiques de Melville sont aussi remarquables. Certains chapitres sont en effet construits comme des scènes de théâtre et Melville n’hésite pas à enchaîner un chapitre digne d’un essai scientifique avec un autre digne d’une tragédie grecque. Le roman même s’ouvre sur un catalogue de citations et de références littéraires traitant du Léviathan et de la baleine. L’humour n’est pas non plus absent, en témoigne l’épisode de la bouée de secours qui m’a fait mourir de rire.

En résumé, Moby Dick n’est pas sans raison un monument littéraire à l’influence considérable tant en littérature qu’au cinéma  (et aussi en musique !) mais il est clair que pour moi ses passages confinant au traité de cétologie ont considérablement refroidi mon enthousiasme. Une chose est sûre, je ne confondrai plus jamais baleine et cachalot.

Garneray - Pêche du cachalot


Retrouvez également l'avis de Moglug qui m'a tenu compagnie pour cette lecture commune.

mardi 10 mars 2015

Un rescapé de La Méduse : mémoires du capitaine Dupont, 1775-1850




Tout le monde connaît le très célèbre tableau de Géricault Le Radeau de la Méduse. Pourtant je dois bien avouer que je connaissais très mal l’événement qui a inspiré cette toile à Géricault. C’est donc avec curiosité et grand intérêt que je me suis plongée dans les mémoires du capitaine Dupont, un des 10 rescapés du radeau.

Les mémoires se composent de deux parties. La première est consacrée aux premiers temps de la carrière militaire du capitaine Daniel Dupont. A cette époque, nous sommes au lendemain de la Révolution. Après quelques combats contre les Vendéens, Daniel est envoyé dans les Antilles. C’est à présent l’empire et la France est en guerre contre les anglais. L’un et l’autre se disputent les îles à sucre et le jeune soldat s’y illustrera brillamment.  Le fraîchement nommé capitaine Dupont sera d’ailleurs constitué prisonnier et renvoyé en captivité en Angleterre où l’on constate qu’il vaut vraiment mieux être officier que simple soldat.
J’ai trouvé cette première partie peu intéressante. L’auteur nous présentant ces mémoires nous met bien en garde sur l’évolution du style du capitaine de la 1ère partie à la 2ème. Et effectivement, la 1ère partie n’est que bribes de phrases et surtout énumération sans fin ni intérêt de tous les lieux par lesquels le jeune soldat est passé. Rares sont les informations sur son état d’esprit et sur la vie quotidienne de ces soldats même si on en a tout de même un léger aperçu. A ce propos, il faut également souligner le travail de l’auteur qui, par ses notes de bas de page, apporte beaucoup de précisions et l’essentiel des informations. Il nous gratifie également de quelques anecdotes amusantes et on apprend par exemple d’où la capitale de la Guadeloupe tire son nom.

Avec la deuxième partie, on entre dans le vif du sujet. On constate comme nous l’avait dit l’auteur que le style du capitaine s’est développé et la lecture en est grandement facilitée.
Après sa libération par les anglais, le capitaine profite d’une permission bien méritée pour revoir sa famille. Le repos est de courte durée car il est aussitôt rappelé afin d’aider à récupérer les comptoirs sénégalais rendus à la France par les anglais.
C’est donc le 17 juin 1816 que le capitaine Dupont et près de 300 passagers aussi bien militaires que civils embarquent à bord de La Méduse chargée de les transporter jusqu’au Sénégal.


 Le récit du capitaine Dupont est très humble, sincère mais pudique, il semble passer sous silence les moments les plus noirs de ce calvaire qu’ont subit les passagers du radeau. De plus, son état le laissant inconscient ne lui a laissé que des souvenirs assez vagues et confus. Ce sont ses subordonnés qui lui narrent par la suite ce qu’il s’est passé pendant ses absences. Il ne fait donc point mention ouverte et claire du cannibalisme comme ont pu le faire Savigny et  Corréard  dans leur propre témoignage. Le passage sur l’épuration reste trop flou et on ne sait pas bien quelle part il y a prise. Encore une fois, les notes de l’auteur apportent beaucoup puisqu’il met en parallèle les différences et similitudes entre les deux récits soulignant leur subjectivité inévitable et la possible influence qu’a eu le récit de Corréard et Savigny sur la rédaction postérieure des mémoires du capitaine.


L’auteur, Philippe Collonge, ne s’en est pas tenu qu’à faire rééditer les mémoires du capitaine Dupont, il a ajouté à l’édition de nombreux documents, gravures et illustrations, cartes et plan du radeau qui permettent de bien mieux s’immerger dans l’époque et de mieux visualiser la situation. On constate ainsi que le radeau de Géricault semble bien étroit en proportions lorsqu’on le compare au schéma du radeau tel qu’il était ( il faisait plus de 20 m de long et avait du transporter environ 150 des naufragés).
En fin de volume, l’auteur poursuit son travail en nous proposant des pages fort intéressantes relatant le devenir des survivants de La Méduse et l’impact qu’a eu le naufrage sur le public et la sphère politique. Philippe Collonge nous rapporte également la petite histoire du tableau de Géricault où l’on apprend que la France n’en voulait pas ! Et pour les moins éclairés sur cette période de l’Histoire comme moi, on trouve en annexes quelques pages sur le contexte historique : la Vendée en 1793 et la situation des Antilles au XVIIIème siècle. L’auteur fait également le point sur les recherches de l’épave, un véritable trésor enfoui puisque la Méduse avait à son bord près de 90000 pièces d’or !

Ouvrage très bien conçu, très riche en informations, les mémoires du capitaine Dupont présentées et commentées par Philippe Collonge constituent un témoignage et un point de vue très intéressant de cette terrible tragédie que fut le naufrage de la Méduse. Lâcheté des officiers, faim, soif, mutineries et épuration organisée ont été le calvaire des passagers du radeau pendant que ceux restés sur l’épave s’entretuaient. Sans l’œuvre de Géricault, que resterait-il aujourd’hui du tragique naufrage de la Méduse ? La mémoire des survivants et on ne peut que remercier Philippe Collonge pour son travail car il faut le reconnaître, ses notes et commentaires représentent l’essentiel de l’intérêt de l’ouvrage bien plus que les mémoires elles-mêmes où le silence de leur auteur sur certains faits et son survol d’autres nous laissent sur notre faim.

Un grand merci à Babelio et aux éditions La Découvrance.


lundi 2 mars 2015

Sympathy for the Devil - Kent Anderson





En France, on connaît surtout la guerre du Vietnam à travers le cinéma et les nombreux films cultes qui lui ont été dédié mais on connaît beaucoup moins la littérature romanesque sur le sujet. C’est d’autant plus dommage qu’elle est souvent le fait des vétérans et de ceux qui ont vécu cette guerre en son cœur. Sympathy for the devil est de ceux-là. Son auteur Kent Anderson était sergent-chef au sein des Forces Spéciales, il se base sur sa propre expérience pour donner vie à son personnage principal et alter ego Hanson et écrire ce roman en partie autobiographique.

Kent Anderson retrace alors le parcours de Hanson depuis son incorporation. Fraîchement sorti du lycée, Hanson est plutôt un intellectuel, il aime particulièrement la littérature et la philosophie. Mais son tempérament et sa robustesse physique lui permettent de passer sans dommages l’étape des classes là où d’autres subissent un véritable calvaire. La première sélection est impitoyable, il n’y a pas de place ni de répit pour les faibles soumis à l’humiliation et les persécutions de leurs camarades.
Hanson prend rapidement goût à l’art du combat. Il se découvre même une passion pour la discipline au point de rejoindre l’entraînement spécial réservé aux Bérets Verts : le voilà à présent membre des Forces Spéciales.

«  Hanson ignorait encore qu’il venait de décider de faire ce que l’armée attend précisément de certains de ses hommes, des meilleurs des siens – tenter de la battre à son propre jeu. Guerre était le nom de ce jeu et, lorsqu’on frôle la guerre de trop près, qu’on la regarde au fond des yeux, elle peut vous entraîner tout entier, muscles, cervelle et sang, jusqu’au plus profond de son cœur, et jamais plus vous ne trouverez la joie en dehors d’elle. Hors d’elle, amour, travail et amitié ne sont plus que déboires. »



L’année de préparation s’achève et c’est l’heure d’affronter le terrain et les tirs à balles réelles.
Kent Anderson nous décrit alors l’arrivée de Hanson au Vietnam. D’abord destiné à être affecté au renseignement ( donc dans un bureau), Hanson se débrouille pour y échapper et obtient d’aller au feu. Car c’est cela qu’il veut, faire la guerre pour de vrai et combattre. L’accueil qui lui est réservé n’est pas des plus chaleureux. Considéré comme un des innombrables bleus sans expérience catapulté ici par une armée peu regardante sur la psychologie et les facultés de ses recrues, Hanson doit faire ses preuves mais obtient rapidement la considération et le respect de ses camarades.
Son baptême du feu et sa première sortie en intervention le font douter, la peur est si violente qu’il pense à renoncer. Mais il persiste, l’adrénaline le dope et il commence à y prendre goût.
Son premier retour au pays est un désastre. Il se rend compte qu’il est à présent inadapté et en décalage complet avec la vie et les préoccupations des civils. Conditionné pendant son séjour à la guerre, habitué à être sans cesse sur ses gardes, à survivre, il prend chaque interaction avec un autre être humain comme une agression.

« Tout en marchant, ses yeux furetaient, de droite et de gauche, et de haut en bas, épiant le moindre mouvement. Simultanément, il repérait toutes les planques possibles susceptibles de le mettre à couvert. […] Son regard cherchait des objets qui pourraient lui servir d’arme : pierres, briques, poubelles, tessons de bouteille […] Lorsqu’il croisait quelqu’un sur le trottoir, sa main se refermait en poing, le long de son flanc, prête à frapper. »

Cette peur le pousse à la violence, elle est instinctive et il n’hésite pas à cogner à la moindre occasion.

« Alors voyons voir. Cette raison », dit-il, la sueur dégoulinant sur ses joues. Il engloba la salle d’un bref coup d’œil circulaire. « Je me réveille la trouille au bide, poursuivit-il, baissant la voix et se rapprochant du gosse, et d’avoir la trouille me fout en rogne, si bien que je crève d’envie de botter son cul à quelqu’un. Je ne fais plus la différence entre avoir la trouille et être en rogne. Tout est lié, tout communique. »

Le constat est sans appel : il aime se battre, il aime tuer. A présent, une unique chose compte pour lui : retourner au combat. La guerre le rend heureux, elle est devenue son unique raison de vivre.

« Hanson avait été entraîné à tuer, c’était là le grand art qu’avait su maîtriser sa jeune vie et, lorsqu’il se sentait bien, une partie de lui-même aspirait à tuer quelqu’un, comme d’autres mouraient d’envie de courir, de skier, de danser ou de déclencher une bagarre dans une rade. »



Kent Anderson nous explique clairement dans quel état d’esprit sont les jeunes soldats envoyés au casse-pipe. Toutefois, il faut quand même reconnaître que Hanson était un cas particulier et donc pas forcément représentatif mais Anderson passe en revue les différentes catégories d'hommes qu'on retrouvait au sein des rangs de l'US army. L’auteur nous détaille également tout le processus de recrutement et de préparation, les relations avec les autres recrues et avec les instructeurs, les exercices et les différentes méthodes de combat enseignées, les trucs et astuces indispensables pour assurer sa survie. Sur le terrain, tout se passe comme on peut le voir dans les films mais Kent Anderson insiste surtout sur la rancœur des soldats, d’abord la haine envers l’ennemi puis le mépris et la colère envers les civils, le gouvernement et les gradés qui ne cherchent qu’à satisfaire leurs propres ambitions et intérêts.

« Les gradés et les officiers généraux de l’armée régulière qui souhaitaient voir mettre fin à toutes les activités des Forces Spéciales – ils constituaient la majorité, l’armée régulière s’étant toujours méfiée des unités d’élite – se heurtaient aux mêmes difficultés que les sénateurs. N’ayant qu’une seule année à passer au Vietnam, il leur fallait consacrer la quasi-totalité de leur temps à l’improvisation d’une tactique suffisamment nouvelle et brillante pour justifier leur promotion, ou bien orchestrer une opération assez sanglante et spectaculaire pour faire la une de tous les journaux, leur garantissant ainsi, dans le même temps, promotion et décoration. »

Il dénonce aussi sans détours l’hypocrisie d’un gouvernement qui prône un certain discours tout en faisant le contraire sur le terrain. La moralité n’est qu’une préoccupation de façade et si par malheur un manquement vient à leur être reproché, on s’empresse d’en détourner la responsabilité. Il faut renvoyer au monde une image propre et vertueuse de l’Amérique.

Sympathy for the devil est le roman de ces soldats, simples jouets de politiques irresponsables, d’une guerre qui aura abattu la confiance et le sentiment de supériorité d’une nation qui n’avait encore jamais connu un tel échec. Kent Anderson a su nous transmettre son vécu et son sentiment avec une grande force, odeurs, couleurs, bruits, il retranscrit tout avec précision, on s’y croirait. Son amour pour la littérature et la culture transparaît à travers son style, tour à tour cru à l’image du langage vulgaire des combattants et poétique dans son évocation des paysages et des sensations. On y trouve même une référence au contrat social de Rousseau. A la guerre, le droit et les lois qui fondent une société n’existent plus, c’est le retour à l’état de nature : seule compte la survie.
On peut parfois être horrifié par le manque de moralité dans ce récit mais la grande force de Kent Anderson est d’être parvenu à nous faire comprendre la mentalité de ses soldats et toute l’absurdité d’une guerre qui n’est pas la leur.
C’est dans l’écriture que Kent Anderson a réussi son retour à la vie civile. Il est dommage de constater que son expérience, son témoignage et celui de nombreux vétérans n’aient pas servi de leçon.


L'avis d'Ingannmic que je remercie de m'avoir accompagnée pour cette lecture.