mercredi 30 novembre 2011

La mort est mon métier - Robert Merle



Biographie romancée de Rudolf Hoess, commandant du camp d’extermination d’Auschwitz, La mort est mon métier est indéniablement un chef d’œuvre et devrait être lu par tous.

C’est avec un incroyable talent que Robert Merle retrace la personnalité et la psychologie d’un des acteurs majeurs de la Shoah. Il s’est appuyé pour cela sur des compte-rendus effectués par les psychologues ayant interrogé Hoess et sur ses propres Mémoires tout en gardant une certaine distance afin de ne pas tomber dans le piège de la subjectivité inhérente à ce que sont des Mémoires.
On suit ainsi la vie et le parcours de Rudolf Lang, de son enfance à sa condamnation aux procès de Nuremberg.

Elevé par un père par trop dévôt dans la crainte, Rudolf se réfugie dans le contrôle et la maîtrise de tout ce qui l’entoure : horaires, habitudes, comptage du nombre de ses pas. On sent donc dès son plus jeune âge une certaine forme de pathologie mentale indéniablement causée par celle de son père. Cette volonté d’ordre et de maîtrise, il la retrouve au sein de l’armée puis des corps francs et enfin au sein du parti nazi.
Rudolf est une machine, il obéit aveuglement. Ses uniques valeurs sont : sa patrie l’Allemagne et son honneur qui dépend, comme le veut le slogan des SS, de sa fidélité à son chef.

J’ai perçu Rudolf comme quelqu’un de complètement dénué de sentiment, quelqu’un qui ne se pose jamais de questions, il obéit aux ordres qu’on lui donne, point barre. Que les ordres soient immoraux ne le concerne pas, il n’est pas responsable, il ne fait qu’obéir.
J’ai d’ailleurs été très amusée par le passage relatant l’entrevue entre Rudolf et Himmler au cours de laquelle Himmler lui confie le commandement du camp d’Auschwitz ainsi que la charge de mettre au point un système efficace d’élimination en masse d’êtres humains.
A la question de Rudolf « Pourquoi moi ? », Himmler lui répond qu’il a été choisi pour « ses rares qualités de conscience ». Et le plus drôle c’est que là où j’ai vu un aveu foudroyant d’Himmler sur le fait qu’il a pensé à Hoess en tant que personne assez dénuée de conscience pour ne pas rechigner à la tâche, Hoess, lui, pense tout au contraire qu’il a été choisi pour ses qualités exceptionnelles !

J’avais vu récemment un film très intéressant dans lequel est relatée une expérience tout aussi intéressante sur la capacité de l’être humain à obéir aux ordres. Cet extrait que je vous mets ici est basé sur le travail du psychologue américain Stanley Milgram.
L'expérience de Milgram est une expérience de psychologie réalisée entre 1960 et 1963 par le psychologue américain Stanley Milgram. Cette expérience cherchait à évaluer le degré d'obéissance d'un individu devant une autorité qu'il juge légitime et à analyser le processus de soumission à l'autorité, notamment quand elle induit des actions qui posent des problèmes de conscience au sujet. Les résultats font froid dans le dos !



 Un autre document essentiel sur ce thème est l’ouvrage de Christopher Browning  Des hommes ordinaires  dont voici le résumé :
A l'aube du 13 juillet 1942, les hommes du 101ème bataillon de police de réserve allemande entrent dans le village polonais de Josefow. Arrivés en Pologne quelques jours auparavant, la plupart d'entre eux sont des pères de famille trop âgés pour être envoyés au front. Dans le civil, ils étaient ouvriers, vendeurs, artisans, employés de bureau. Au soir de ce 13 juillet, ils se sont emparés des 1800 juifs de Jossefow, ont désigné 300 hommes comme "juifs de labeur", et ont abattu à bout portant, au fusil, 1500 femmes, enfants et vieillards. Ils étaient devenus adultes avant l'arrivée d'Hilter au pouvoir et n'avaient jamais été des nazis militants ni des racistes fanatiques. Pourtant en seize mois, ces hommes vont assassiner directement, d'une balle dans la tête, 38000 juifs, et en déporter 4500 autres vers les chambres à gaz de Treblinka-un total de 83000 victimes pour un bataillon de moins 500 hommes. L'auteur a utilisé les témoignages de 210 anciens de ce bataillon.
Ce livre est dans ma PAL, je ne manquerai pas de le lire prochainement et de vous en faire un compte-rendu sur ce blog.

Ce roman de Robert Merle n’est pas seulement essentiel pour apercevoir la psychologie d’un des maillons essentiels de la machine nazie, il permet également de saisir dans sa globalité toute la logistique et tout le cheminement opéré pour parvenir à l’obtention d’un système efficace d’extermination. On voit ainsi quels problèmes se sont posés à Hoess et on entre dans des détails sordides tels que comment tuer beaucoup en moins de temps possible, comment éviter que les juifs condamnés aux douches ne se doutent de ce qui les attend et ne se révoltent etc…
Tout ceci est d’un machiavélisme odieux, c’est à ne pas en croire ses yeux.

C’est dire le talent et le travail qu’il a fallu à Robert Merle pour retranscrire de façon si réaliste la psychologie de ces personnages. Le style est fluide. Ce roman se lit d’une traite, en fait on ne le lit pas, on le dévore. J'en recommande donc chaudement la lecture !

Bref, La mort est mon métier de Robert Merle est un roman incontournable à lire absolument.
Je remercie infiniment Kactusss d’avoir proposé cette LC et de m’avoir ainsi permis de découvrir cet ouvrage majeur.

mardi 29 novembre 2011

Le pavillon des cancéreux - Alexandre Soljenitsyne



4ème de couverture :

Il fallait tout le génie du grand Alexandre Soljenitsyne pour faire d’un pavillon d’hôpital pour cancéreux situé dans la petite ville de Tachkent le creuset d’un roman à la portée universelle. Car c’est bien dans ce lieu improbable, mais où il avait vécu pour y être lui-même soigné, que l’auteur d’ Une journée d’Ivan Denissovitch et de La Maison de Matriona a choisi comme théâtre du livre qui, plus que tout autre sans doute, a établi sa réputation de grand écrivain. Le lecteur s’y trouve immédiatement absorbé par une fresque intime, dramatique et pourtant pleine d’espoir qui dépeint une série de personnages pittoresques et parfois dérangeants, mais toujours émouvants. Un ancien détenu, un médecin, un ex-membre du KGB, une femme de ménage … Ils sont unis, malgré leurs différences, par l’humilité de leur humaine condition. Tout ce petit monde, qui va se débattre et trouver en soi de prodigieuses ressources de vie, est dépeint avec une puissance d’évocation, un réalisme saisissants. «  Qu’est-ce qui fait vivre les hommes ? », c’est à cette éternelle question que Soljenitsyne a voulu répondre dans ce monumental, dans cet incomparable roman.

Mon avis :

Cela faisait longtemps que je voulais lire Soljenitsyne. J’ai même Une journée d’Ivan Denissovitch qui dort dans ma PAL depuis une éternité. Il aura fallu l’occasion d’un partenariat sur Livraddict pour que je me plonge enfin dans un de ses romans.
Autant j’étais motivée au départ que je ne sais pas du tout ce qu’il s’est passé mais je suis complètement passée à côté de ce livre. J’ai mis plus de deux semaines à en venir à bout laissant filer plusieurs jours d’affilée sans l’ouvrir. Je me suis un peu ennuyée mais je crois que toute la faute n’en revient qu’à moi-même. Je pense que je n’étais pas dans les bonnes conditions pour le lire, quelques petits soucis du quotidien me turlupinant la tête …

Qu’ai-je donc retenu tout de même de ma lecture ?

Tout d’abord, l’histoire se passe dans un hôpital d’un des pays de l’ex-URSS et plus particulièrement dans la section réservée aux malades atteints du cancer. L’action (si on peut parler d’action …) se déroule en 1955 soit deux ans après la mort de Staline.
On y suit le quotidien de plusieurs personnages très différents. Au détour de ces diverses tranches de vie, Soljenitsyne nous dépeint la vie sous le stalinisme, de l’ « ennemi de l’Etat » condamné au camp puis à l’exil au fervent patriote chargé de dénoncer le moindre manquement au devoir des employés de son entreprise. Si différents et pourtant tous égaux devant la maladie, ils ont le même ennemi à combattre : le cancer.
J’ai vu dans le choix de ce contexte hospitalier la volonté de l’auteur de réaliser une métaphore assimilant le cancer au stalinisme, celui-ci étant le cancer rongeant la société soviétique. Toutefois, de la même façon que le cancer se combat et que renaît pour les malades l’espoir de la guérison, on assiste à la même époque à un renouveau de la société suite à la mort de Staline. En effet, les choses semblent commencer à changer et Soljenitsyne parvient avec talent à nous montrer cette évolution si faible puisse-t-elle être encore à ce moment-là. La métaphore se retrouve jusque dans le climat avec l’arrivée du printemps coïncidant avec la sortie de l’hôpital de mon personnage préféré Kostoglotov.

Bourru, enragé et entêté, Kostoglotov a été arrêté alors qu’il n’était encore qu’à l’université et condamné au camp pour son activité au sein d’un groupe d’étudiants soupçonné de représenter une menace pour l’Etat. Après le camp, il est exilé loin de chez lui sur une terre hostile à laquelle il finit par s’habituer et s’attacher, jusqu’à son cancer, raison pour laquelle il obtient un laissez-passer lui permettant de se rendre à l’hôpital de Tachkent. Il partage sa chambre avec plusieurs autres malades dont un certain Roussanov. Alors lui, je l’ai détesté. Imbu de lui-même, arrogant, il prétend tout savoir et se croit supérieur à tous car lui est membre du Parti. Avant d’entrer au pavillon des cancéreux, il était chargé de surveiller étroitement les employés de la société pour laquelle il travaillait et dénonçait le moindre faux-pas. Soljenitsyne nous décrit à travers ce personnage la psychologie de ceux qui ont contribué au fonctionnement du stalinisme ainsi que les procédés qu’ils employaient pour purger la société de ses « éléments dangereux ».

Certains passages m’ont en revanche profondément ennuyée, je pense notamment aux histoires de cœur de Kostoglotov que j’ai trouvées trop en décalage avec le reste du propos. Alors certes, cela propose un peu de légèreté face à la dureté et au sérieux des principaux thèmes que sont la lutte pour la survie et la critique du système mais je n’ai pas accroché du tout.
Par contre, d’autres m’ont exaltée comme le chapitre où Kostoglotov discute avec Chouloubine, un autre malade, discussion au cours de laquelle il lui expose ses remords d’avoir courbé l’échine et de s’être tu là où d’autres avaient ouvertement manifesté leur opposition et finalement terminé dans des camps. De là se pose la question, qui a raison ? Celui qui se tait et survit à tout ou celui qui dénonce, se révolte et risque sa vie ?

« Le peuple n’est pas bête mais il veut vivre. Les grands peuples ont une loi : survivre à tout et demeurer. »

Ce chapitre à lui tout seul est une merveille et fait vraiment réfléchir.
Il y a encore beaucoup d’autres choses à dire sur ce roman et je suis certainement passé à côté de nombre d’entre elles et je le regrette beaucoup.
J’espère avoir un jour l’occasion de relire ce livre et de pouvoir vraiment l’apprécier dans sa totalité et tous ses détails.

Cette lecture m’a donné envie d’en savoir plus sur l’Histoire de la Russie sous l’ère soviétique ainsi que sur l’idéologie communiste. J’ai même fait quelques emplettes livresques cet après-midi sur le sujet.

Je remercie chaleureusement le site Livraddict ainsi que les Editions Robert Laffont de m’avoir permis cette découverte de ce grand écrivain, prix Nobel en 1970 de surcroît, qu’était Soljenitsyne.

dimanche 13 novembre 2011

La petite fille qui aimait la lumière - Cyril Massarotto



4ème de couverture :

Barricadé dans sa maison au coeur d’une ville déserte, un vieil homme prend des risques fous pour recueillir une petite fille blessée.
L’enfant ne parle pas, elle ne prononce qu’un mot : Lumière, elle qui a si peur du noir. Alors le vieillard parle, il lui raconte la beauté de la vie d’avant, les petites joies du quotidien, son espoir qu’on vienne les délivrer. Il lui enseigne la possibilité d’un avenir, quand elle lui offre
de savourer le présent.
Cyril Massarotto explore avec toute la finesse et la profondeur à laquelle il nous a accoutumés depuis son premier livre, Dieu est un pote à moi, la relation filiale qui se noue entre ces deux êtres que tout oppose.


Mon avis :

Je ne connaissais pas Cyril Massarotto et ce roman fut donc ma première approche de cet auteur. Je partais alors sans aucune idée de ce qui m’attendait m’étant interdit de lire les critiques de ces précédents romans. Je voulais pouvoir me faire ma propre opinion sans aucune influence extérieure. Et je suis sortie de ma lecture les yeux brillants de bonheur et de larmes d’émotion.

La petite fille qui aimait la lumière n’est pas que le simple récit de la relation entre un vieil homme et une petite fille si différents et qui apprennent l’un de l’autre. C’est aussi un véritable petit bijou de tendresse, d’humour, de suspense, de peur, de tristesse, bref … un concentré d’émotions qui ne peut vraiment pas laisser indifférent.
Tout d’abord, Cyril Massarotto a choisi de placer son intrigue dans un contexte sombre et intriguant qui n’est pas sans rappeler celui de Je suis une légende. Nous sommes dans une ville morte, en pleine guerre, la population a été massacrée par un ennemi inconnu mais barbare et sanguinaire nommé Les autres. Ces autres rôdent toujours et le climat est à la peur et la crainte constantes à tel point que le vieil homme « Monsieur Papi » vit reclus dans sa maison de laquelle il ne sort jamais sauf pour sauver une petite fille blessée qui gît devant sa porte. Il prend alors conscience qu’il n’est pas le seul survivant et reprend espoir grâce à cette petite fille et à son poste radio duquel il guette les moindres grésillements.
A travers cette histoire de la relation entre ces deux êtres qui se découvrent et apprennent l’un de l’autre, Cyril Massarotto aborde nombre de thèmes comme la vieillesse, l’attachement familial, l’instinct de survie et s’interroge sur la capacité humaine à faire le mal : lorsque l’on tue même pour se défendre ne devient-on pas comme n’importe quel autre meurtrier ? N’y laisse-t-on pas une part de notre humanité ?

Cyril Massarotto nous rappelle aussi à quel point nous avons de la chance de ne manquer de rien. Il est vrai que ma génération et celle de mes parents n’ont pas connu la guerre, et nous avons la chance de vivre dans un pays en paix, nous ne savons pas ce que c’est que de manquer de choses aussi vitales que la nourriture, la possibilité de se laver rien qu’en tournant un robinet, nous ne savons ce que c’est que de vivre dans la peur. Et ce genre de piqûre de rappel ne fait jamais de mal. La liste des choses à faire par Lumière après la guerre nous fait prendre conscience aussi que le bonheur se trouve dans des petits plaisirs que l’on estime insignifiants sur le moment mais pourtant tellement importants.
J’ai aussi ri à certains passages assez cocasses et à certaines évocations de situation qui m’ont rappelé des souvenirs d’enfance. Le passage sur le biscuit trempé dans la chocolat m’a beaucoup émue. Ça peut paraître idiot mais j’ai adoré me remémorer mes petit-déjeuners « trempette » avec mes tentatives désespérées de récupérer mon biscuit (le fameux C…-C…) complètement délité dans mon lait.

Bref, j’ai beaucoup aimé cette diversité de sentiments, le tout raconté d’une plume légère et fluide. J’ai pris un énorme plaisir à cette lecture que j’ai trouvée non seulement intelligente mais fraîche et pleine d’espoir. Un joli coup de cœur pour moi.
Et une dernière remarque juste pour dire que j'ai trouvé la couverture très jolie et elle reflète parfaitement mon ressenti global sur ce livre.
J’ai prévu de continuer ma découverte des romans de cet auteur et j’espère y retrouver ce bonheur de lecture.

Je remercie infiniment le site Livraddict ainsi que les Editions XO pour m’avoir offert ce partenariat et permis cette très belle découverte.

mardi 8 novembre 2011

La Nuit de l'Oracle - Paul Auster



Quatrième de couverture :

Après un long séjour à l'hôpital, l'écrivain Sidney Orr est de retour chez lui. Toujours aussi amoureux de sa femme Grace, il reprend lentement goût à la vie. Mais il est accablé par l'ampleur de ses dettes et par l'angoisse de ne plus jamais retrouver l'inspiration. Un matin, alors qu'il fait quelques pas dans son quartier, il découvre une toute nouvelle papeterie, au charme irrésistible. Sidney entre, attiré par un étrange carnet bleu. Le soir même, presque dans un état second, Sidney commence à écrire dans le carnet une captivante histoire qui dépasse vite ses espérances. Sans qu'il devine où elle va le conduire. Ni que le réel lui réserve de plus dangereuses surprises... Virtuosité, puissance narrative, défi réciproque de l'improvisation et de la maîtrise, La Nuit de l'oracle précipite le lecteur au cœur des obsessions austériennes, dans un face à face entre fiction et destin. Comme si l'imaginaire n'était rien d'autre que le déroulement du temps avant la mort. Ou pire encore, son origine.


Mon avis :

Après avoir été totalement conquise par La Trilogie New-Yorkaise, j’avais hâte de renouer avec Paul Auster pour vérifier si je retrouvais mes sensations et mon plaisir à sa lecture.
Eh bien ce fût le cas avec La Nuit de l’Oracle.

Voilà encore un récit à la construction étonnante que je n’essaierai même pas de résumer.
Paul Auster a ce don incroyable de balader son lecteur à sa convenance l’emmenant dans une direction pour mieux le bousculer et l’envoyer valdinguer dans une autre.
Ici encore je me suis posée des tas de questions qui sont restées sans réponse. Auster parvient avec un talent fou à semer la zizanie dans l’esprit de son lecteur. Tout d’abord grâce à l’utilisation habile de la mise en abîme multiple. La Nuit de l’Oracle raconte l’histoire d’un écrivain qui nous raconte l’histoire d’un éditeur qui lit un livre, bref on se retrouve avec trois histoires imbriquées avec des similitudes volontaires entre les personnages au point qu’on en arrive à ne plus savoir dans quel récit on se trouve ! On retrouve là un procédé de Paul Auster qui, comme son narrateur, aime s’inspirer de lui-même pour créer ses personnages. (On retrouve d’ailleurs encore un anagramme de son nom …)

Le récit est truffé d’éléments étonnants qui éveillent la curiosité du lecteur créant ainsi une forme de suspense. Mais tout comme dans La Trilogie, pas d’issues, pas d’explications. Le lecteur ne peut que se contenter des fruits de ses suppositions et de son imagination. Je pourrais vous exposer les miens ici mais je n’en ferai rien car d’une part ce serait vous dévoiler des tas d’éléments essentiels qui, ainsi sortis de leur contexte, n’auraient non seulement pour vous aucune signification mais vous gâcherait l’effet de surprise, et d’autre part pourraient influencer votre propre interprétation de ce livre.

Je peux toutefois vous informer qu’on retrouve ici un thème cher à Auster qui est la notion de hasard. Selon lui, les évènements de la vie ne surviennent que par hasard et notre vie ne tient donc qu’à un fil. Je me demande aussi si Auster n’a pas vécu un accident sévère au cours de sa vie, peut-être est-il passé près de la mort car ce thème réapparaît assez souvent aussi. On ressent beaucoup son côté humain à travers l’évocation des camps de la mort et d’un fait divers concernant un bébé qui amène le narrateur à verser des larmes. La mort d’un bébé revient souvent dans le récit ( à 3 reprises ) est-ce du vécu aussi ?

Paul Auster décrit également très bien les questionnements relatifs au métier d’écrivain, l’inspiration subite qui permet à l’auteur d’écrire dans une totale frénésie jusqu’au blocage, la situation où l’écrivain se retrouve confronté à un obstacle qu’il ne sait pas comment résoudre. J’ai été intriguée aussi par cette notion de mots « qui tuent ». Lorsqu’un écrivain couche certaines pensées sur le papier, sont-elles amenées à se réaliser dans la réalité ? L’écrivain serait-il une sorte de medium ? J’ai lu que les horoscopes et autres prédictions de l’avenir pouvaient se révéler justes car ces prédictions conditionnent la personne et, par effet de suggestion, la poussent à agir de façon à ce que ces prédictions deviennent réalité. Serait-ce la même chose pour un écrivain ?

En dehors de tout ceci, j’ai retrouvé aussi cet objet récurrent dans l’œuvre de Paul Auster qu’est le carnet. Rouge dans La Trilogie, il est bleu dans La Nuit de l’Oracle. Pourtant une scène m’a surprise (et peut-être qu’encore une fois c’est mon imagination qui s’emballe) : le narrateur se bagarre avec un libraire car il souhaite absolument acheter un carnet rouge ( le dernier en magasin) mais le libraire refuse obstinément prétextant que le carnet rouge a déjà été réservé pour une autre personne. Je n’ai pas pu m’empêcher de penser que cette personne en question était le narrateur de La Trilogie

Ce n’était donc que ma deuxième rencontre avec Paul Auster mais à force de recherches sur lui je commence à mieux le saisir. Toujours est-il que je meurs d’envie de poursuivre ma découverte de son œuvre et qui sait … peut-être faire la connaissance d’un éventuel propriétaire de carnet vert ?
A ce propos, j’ai l’impression qu’Auster attache beaucoup d’importance aux couleurs. Je pense aux carnets mais aussi aux noms de ses personnages dans la Trilogie. Serait-ce par effet de contraste avec la grisaille du béton new-yorkais ?
Bref, comme vous voyez, cet auteur et son oeuvre m’intriguent énormément.
Je crois que je vais aller faire un tour à la librairie moi …

dimanche 6 novembre 2011

El Sexto - José Maria Arguedas



4ème de couverture :

Le jeune Gabriel est incarcéré au pénitencier El Sexto, au centre de Lima, dans le cadre de la répression des mouvements d’opposition étudiants. Là, il va rencontrer des représentants des partis politiques qui luttent contre le pouvoir despotique. Il découvre les hiérarchies de la prison, où en fonction des étages se côtoient en haut les politiques, puis les droits communs et les délinquants sexuels, et enfin, au rez-de-chaussée, les clochards. Les politiques se divisent entre partisans de l’APRA (de gauche) et communistes, considérés comme “vendus à l’étranger”.
Les droits communs font régner leur loi, distribuent la drogue et forcent les homosexuels à la prostitution. Les maîtres de cet infra-monde, Estafilade, Maravi et Rosita, l’homosexuel à la voix d’ange, luttent pour le pouvoir,  s’affrontent à mort, ce qui révèle la totale malhonnêteté des autorités légales.

Ce roman a été inspiré à l’auteur par son expérience de la prison politique en 1938. J. M. Arguedas avait manifesté en 1938 contre l’arrivée à Lima d’un représentant de Mussolini. Il définit El Sexto comme, à la fois, une école du vice et une école de la générosité.
Un grand classique de la littérature latino-américaine.

Né en 1911, José Maria Arguedas s'est suicidé en 1969 d'une balle dans la tête dans les toilettes de l'université où il enseignait. Il était l'une des figures majeures du mouvement indigéniste latino-américain, un écrivain connu pour son engagement politique et ses prises de position.


Mon avis :

Il ne faut pas lire ce roman comme on lirait n’importe quel autre roman. Celui-ci est un parfait spécimen de la littérature engagée et il faut s’y plonger en ayant bien à l’esprit le contexte politique au Pérou dans les années 30 et aussi le vécu de l’auteur.
José Maria Arguedas dénonce dans El Sexto la dictature de Benavides caché dans le roman derrière le personnage du « Général ».

El Sexto était un centre pénitencier situé au cœur de Lima, il n’existe plus à présent et on trouve à son emplacement un hôtel de luxe. Une idée plutôt de mauvais goût lorsqu’on découvre avec horreur les conditions dans lesquelles étaient enfermés les prisonniers d’El Sexto.
Les prisonniers politiques y côtoient les prisonniers de droit commun selon une hiérarchie stricte. Chaque catégorie a son étage et les relations entre ces étages sont évitées au maximum. Celui qui enfreint les règles s’expose à la colère de ses co-détenus et à d’éventuelles représailles. Ce dont Gabriel, le personnage principal, fait l’expérience. Car Gabriel est, à l’instar d’une poignée d’autres prisonniers, un électron libre. Il ne s’identifie à aucun parti et passe pour un petit bourgeois idéaliste et trop sentimental.

On retrouve à l’intérieur de la prison une sorte de reproduction de la société péruvienne de l’époque que ce soit sur le plan politique ou sur le plan social. On trouve le tyran et ses partisans, ici Estafilade et ses sbires, et les deux principaux partis qui s’opposent : l’APRA dont la doctrine n’est pas clairement définie et est soupçonnée de marcher main dans la main avec les dirigeants mais prétend revendiquer un Pérou libre débarrassé des « gringos » qui exploitent le peuple et le laissent vivre dans la misère, et le parti communiste qui souhaite lui aussi libérer le peuple de l’oppression impérialiste mais qui est accusé par les apristes d’œuvrer pour le compte d’autres impérialistes étrangers que sont les russes.
Le roman s’attarde donc sur les conflits entre les deux partis mais montre en même temps leur possible entente face à un objectif commun : éliminer le tyran. Je dis bien « possible entente » car ces deux forces en présence peuvent aussi malheureusement se neutraliser l’une l’autre. La solution peut alors venir d’ailleurs.

En lisant El Sexto, on est nous aussi enfermé dans cette prison. J’ai suffoqué en même temps que ces occupants et été dégoûtée par certaines scènes surtout quand on réalise que c’est du vécu et que ça se passait donc réellement comme ça. On assiste à la déchéance totale de l’être humain, de sa réduction à l’état de bête et même pire encore si c’est possible. J’ai été révoltée par tant d’injustice, par le cas de cet homme emprisonné uniquement par jalousie, de ce petit garçon accusé à tort de vol par sa patronne et de me rendre compte à quel point l’arbitraire règne. Les « autorités carcérales » ferment les yeux sur tout ce qui se passe à l’intérieur, excepté quelques gardes. Ouf ! Un soupçon d’humanité dans cet enfer !

Je ne m’amuserai pas à critiquer le style ni à étudier les personnages car ce n’est vraiment pas là le plus important dans ce roman. Je l’ai lu comme j’aurais lu le J’accuse de Zola. El Sexto est un cri de révolte poignant. Ignoré à sa sortie par les critiques et les intellectuels, il a circulé au sein de la population et est devenu un symbole de la littérature péruvienne et indéniablement un lieu de mémoire du patrimoine culturel péruvien.
Moi qui ne connaissait absolument rien à l’Histoire du Pérou, j’ai beaucoup appris grâce à ce livre.
A découvrir donc absolument.

Je remercie infiniment le site Newsbook et les Editions Métailié pour m'avoir offert ce partenariat.