mercredi 25 juin 2014

Les cavaliers afghans - Louis Meunier



Les voyages forment la jeunesse.

Nous sommes en 2002. Fraîchement diplômé de son école de commerce, Louis Meunier n’est pas pressé d’intégrer le marché du travail. Il décide de faire une pause et de s’engager dans une ONG. Le voilà prêt à partir en Afghanistan. La veille de son départ, un ami lui conseille la lecture des Cavaliers de Joseph Kessel. Et avant même d’avoir mis les pieds sur le sol afghan, voilà notre jeune aventurier déjà sous le charme de la culture et des paysages qui l’attendent. Une idée fixe germe en lui : partir sur les traces d’Ouroz et devenir tchopendoz.
Quiconque aura lu Les cavaliers de Kessel ne pourra que comprendre Louis et sa soif de découverte. C’était mon cas et j’étais très curieuse de suivre Louis dans son périple et de pouvoir vivre à travers lui ce fabuleux voyage dont m’avait fait rêver Joseph Kessel.

Louis Meunier se rendra à plusieurs reprises en Afghanistan. Chaque partie du récit est dédiée à un voyage. Le premier concerne sa mission au sein de l’ONG et raconte ses premiers pas dans le pays, ses premières difficultés, ses premières rencontres. Il fait connaissance avec le monde du buzkashi et ses tchopendoz, se familiarise avec la culture équestre locale.
Sa mission terminée, Louis rentre en France mais l’appel des contrées sauvages le taraude. Il repart avec un projet bien précis en tête : effectuer, à l’instar d’Ouroz, une expédition à cheval à travers une partie du pays. Muni de laissez-passer, Louis part accompagné de son guide Shams et de 3 chevaux.extrême richesse et diversité des peuples afghans, leur culture, leur mentalité, leur mode de vie au quotidien. Par exemple, il est étonnant de constater les différences du statut des femmes d’une ethnie à l’autre. La curiosité des autochtones envers Louis donne aussi lieu à des situations et des dialogues plutôt cocasses.
Le voyage n’est pas sans risques. Les talibans et des bandits rôdent dans les parages. Les rencontres sont diverses, souvent positives, parfois décevantes et inquiétantes. Mais c’est l’occasion de découvrir l’

Bien que pour un étranger, cette diversité soit perçue comme une richesse, du point de vue local, cette situation créé autant d’occasions de confrontations et est source de racisme. La hiérarchie sociale est très marquée et cloisonnée. La loi du talion et la vendetta règnent, signes de l’absence d’autorité suprême reconnue et capable d’unification.
Louis Meunier explique ainsi l’impact de l’intervention des occidentaux sur la politique et l’économie locale, bouleversant les relations sociales, les coutumes et la tradition. Vus dans un premier temps comme des libérateurs après que les armées occidentales aient renversé le régime taliban, les étrangers sont peu à peu jugés responsables des désordres et ne sont plus désirés. La méfiance voire la haine supplantent la règle d’hospitalité afghane qui veut que la présence d’un étranger soit un honneur pour celui qui le reçoit.
Cette dérive est très visible dans le récit de Louis comme le montre par la suite un grave incident survenu à son guide.

Malheureusement, l’expédition de Louis ne peut être menée à son terme. La vie dans les grands espaces a un prix. Louis doit être expatrié en urgence pour revenir aussitôt comme employé dans une entreprise implantée à Kaboul. Dégoûté de la vie superficielle et consumériste menée en occident, il est bien décidé à réaliser son rêve et devenir tchopendoz. Il intègre alors la première équipe de buzkashi de Kaboul.


Plus qu’un simple récit de voyage, Les cavaliers afghans est le résultat d’une expérience humaine incroyable, celle de s’être immergé au sein d’une population extrêmement diversifiée que seuls l’islam, le cheval et le jeu du buzkashi semblent souder et d’un pays qui n’a connu que la guerre depuis 50 ans. Les différentes rencontres de Louis permettent de connaître le véritable visage de l’Afghanistan à travers des témoignages personnels et des échanges enrichissants. On apprend énormément. J’ai beaucoup aimé vivre cette aventure par procuration, retrouver ces paysages à couper le souffle parsemés des vestiges de l’époque soviétique et des traces de la misère et du trafic d’opium souvent seule alternative pour les paysans appauvris.
Je déplore seulement le peu de détails sur la carte en fin d’ouvrage et l’absence totale de photographies.
Néanmoins, je conseille fortement cette lecture à tous les amoureux de grands espaces, tous les lecteurs éblouis de Kessel et tous ceux qui sont curieux de savoir comment un étranger peut vivre dans un pays en guerre.
Un récit dépaysant et très enrichissant à découvrir !

Un grand merci à Babelio et aux éditions KERO !

L'avis tout aussi enthousiaste de Jérôme.



 Photos : http://www.worldtrailrides.com/carnetsdevoyage/afghanistan-louis-meunier.htm et wikipédia

                                               

Vallée de Bamyan   
Minaret de Jam


samedi 21 juin 2014

Le peintre d'éventail - Hubert Haddad



« La vie est un chemin de rosée dont la mémoire se perd. »

Qui se souviendra de nous lorsque nous nous serons éteints, si nous ne laissons derrière nous aucune famille, aucun ami, aucun héritage, aucune trace ?
Préserver la mémoire et l’œuvre de son maître, tel a été le souci de Matabei après l’événement.
Lui-même hanté par ses souvenirs, Matabei se réfugie à la pension de dame Hison, asile de tous ceux qui cherchent à fuir le monde, à s’isoler et mener une vie discrète et libre.
Le cadre est enchanteur. Le jardin, soigneusement entretenu par le maître puis par Matabei, offre un petit aperçu terrestre du Paradis.
Mais cette vie édenienne prendra fin, tout comme dans l’histoire biblique, dès lors que le péché aura été commis. Plus qu’à une chute, c’est à l’apocalypse que Matabei soit survivre.

Hubert Haddad parvient talentueusement à immerger son lecteur dans l’atmosphère douce du Japon. A l’instar des pensionnaires de dame Hison, le lecteur se sent hors du temps et se laisse bercer par la plume délicate et poétique de l’auteur. De nombreuses descriptions sont tout autant d’hommages à la nature luxuriante et pleine de vie de ce coin de l’archipel nippon. Les lecteurs de Pays de neige de Kawabata ressentiront comme un air familier à la fois par l’intrigue liant les personnages et par cette préséance accordée à l’environnement. Cette lecture onirique peut toutefois gêner par la surabondance de ces descriptions qui provoque à terme un effet répétitif et lassant.

Heureusement, la dure réalité se rappelle inopinément aux personnages et au lecteur. La lecture s’accélère, la rupture avec ce qui précède est évidente et radicale. La nature luxuriante cède sa place à un paysage de mort et de désolation. Après l’insouciance et la douceur de vivre, c’est l’errance et la tentative de retrouver ce qu’on a perdu. Mais il est plutôt temps de laisser les fantômes s’éloigner et de songer à la trace que l’on veut laisser de notre passage sur Terre. Matabei tente d’exorciser ses vieux démons en restaurant les éventails abîmés de son maître afin de transmettre ce patrimoine et d’encrer dans le papier de riz ses liens intimes et solides entre maître et élève, liens de substitution aux liens parentaux brisés ou perdus.

Le peintre d’éventail est un roman contemplatif d’une grande beauté. On y retrouve des traits communs à d’autres œuvres d’Hubert Haddad : la solitude, la perte de ses parents, la trahison, la nature, les conséquences désastreuses des actions humaines. Après la guerre dans Opium Poppy, c’est la dangerosité de la science qu’Hubert Haddad pointe du doigt en insérant le fictionnel dans la réalité par l’évocation du drame de Fukushima.
Le drame est matériel, environnemental, humain mais aussi sentimental, les personnages subissent le choc et le lecteur n’est pas épargné. En tout cas, ma sensibilité a fait qu’un détail inattendu de l’intrigue entre les personnages m’a à ce point surprise et attristée que j’en ai versé une larme.
L’Homme est dangereux pour la nature, la nature est dangereuse pour l’Homme. Face à sa puissance, nous ne sommes que grains de poussière aussitôt balayés d’un coup d’éventail.

Un grand merci à Anna et aux éditions Folio.


dimanche 8 juin 2014

Dans la bibliothèque privée d'Hitler - Timothy W. Ryback



Dis-moi ce que tu lis je te dirai qui tu es.
Je ne sais pas si cet adage se vérifie. Néanmoins, Timothy Ryback a eu l’idée d’étudier le fond de la bibliothèque privée d’Hitler et d’essayer de voir et comprendre en quoi ses lectures ont pu l’influencer.
Hitler était un grand lecteur. Il souffrait pourtant d’un complexe d’infériorité du à sa courte scolarité. Autodidacte, il se forme par les livres. Mais loin de vouloir accumuler des connaissances, il se cherche surtout des appuis, des modèles intellectuels capables d’alimenter et enrichir ses propres idées. En farfouillant ainsi dans les ouvrages qu’a possédé le dictateur, c’est l’origine de l’idéologie nazie que l’on aperçoit.

La bibliothèque d’Hitler n’est pas consultable dans son intégralité. A l’époque, elle était dispersée en plusieurs lieux régulièrement fréquentés par Hitler. Une bonne partie qui était entreposée au bunker est à présent éparpillée aux quatre coins du monde. Heureusement, de nombreux volumes sont aujourd’hui conservés à la bibliothèque du Congrès aux Etats-Unis. C’est ce fond documentaire que Timothy Ryback a étudié.
Le seul examen de ce fond manquerait d’intérêt si Timothy Ryback n’avait pas enrichi son travail en l’inscrivant dans l’histoire personnelle d’Hitler et celle du parti nazi. De même, il fait régulièrement intervenir dans son texte les propos du philosophe et critique littéraire  Walter Benjamin afin d’éclairer le comportement d’Hitler en tant que lecteur.

Les premiers chapitres de l’ouvrage de Timothy Ryback traitent de la vie au front d’Hitler pendant la première guerre. L’auteur évoque ses quelques lectures ( des guides touristiques et des ouvrages d’architecture ) mais surtout sa vie et sa personnalité. Son premier et principal mentor, Dietrich Eckart, est également évoqué à travers les lectures qu’il a offertes à Hitler ainsi qu’en lui faisant part de ses idées antisémites. C’est l’époque où Hitler harangue les foules à la brasserie de Munich. Timothy Ryback revient alors sur les querelles qui ont présidé au choix de celui qui serait à la tête du parti, notamment sur celle qui opposa Hitler à Otto Dickel, intellectuel affirmé et auteur de Résurgence de l’Occident. Cet ouvrage, pendant optimiste du Déclin de l’Occident d’Oswald Spengler, affirme qu’un nationalisme exacerbé associé à un antisémitisme déclaré permettrait à l’Europe de remonter la pente.

On apprend également qu’Hitler était un grand admirateur de Shakespeare. Bien que sa bibliothèque contint très peu de romans fictions, on compte parmi ses préférés essentiellement des romans d’aventure comme celle de Robinson Crusoé, des romans de Fenimore Cooper et de Karl May. A côté de ces quelques fictions, Hitler possédait également les grands classiques de la littérature de guerre : l’ouvrage de Clausewitz, des récits de guerre dont celui de Lüdendorff, des manuels d’histoire, des biographies de grands dirigeants ( Alexandre le Grand, Pierre le Grand, Jules César …). On a également pu retrouver un document rassemblant les titres empruntés par Hitler à la bibliothèque d’un institut d’extrême-droite de Munich. Les lectures choisies sont très éclectiques : œuvres historiques ( sur les révolutions russes par exemple), œuvres sur la religion et la mythologie, œuvres philosophiques ( Kant, Fichte, Rousseau, Machiavel …). Tous les ouvrages antisémites y sont passés et notamment le tristement célèbre Juif international : le problème du monde d’Henri Ford et bien d’autres encore.
Timothy Ryback nous épate aussi en nous montrant la liste des lectures recommandés à tout bon nazi digne de ce nom, liste d’ouvrages qui était remise à tout nouveau membre du parti. On y trouve bien sûr les livres d’Henri Ford, de Dietrich Eckart …

Timothy Ryback revient aussi, dans les chapitres suivants, sur la période d’emprisonnement d’Hitler, ses conditions de détention, ses lectures de l’époque mais principalement sur la rédaction de Mein Kampf, relevant, à l’aide des manuscrits originaux, les hésitations et les corrections apportées au texte par Hitler au fur et à mesure de la rédaction. Il apporte aussi un éclairage intéressant sur la rédaction de ce texte en expliquant quelles lectures faites par Hitler à cette époque ont influencé les idées contenues dans Mein Kampf à l’image de Typologie raciale du peuple allemand de Hans F. K. Günther.
Timothy Ryback s’attarde également sur les difficultés de publication, la réception et l’accueil réservé à Mein Kampf lors de sa sortie puis comment il est devenu un « best-seller ».
On apprend également que Mein Kampf comportait deux autres volumes dont un n’a jamais été édité et dont on a jamais retrouvé le manuscrit.

Ma plus grosse surprise à la lecture de cet ouvrage fut de découvrir qu’Hitler avait emprunté ses idées eugénistes aux américains ! En effet, l’eugénisme est une idéologie qui existait chez les américains bien avant les nazis. Le représentant de ce courant, Madison Grant, a écrit La fin de la grande race en 1916 dans lequel il met en garde le peuple américain contre les dangers de l’immigration et le risque d’extinction de la race blanche, préconisant la stérilisation des éléments inférieurs de la société et autres horreurs du même genre. Timothy Ryback rapporte d’ailleurs que Hitler était entré en relation directe avec Leon Whitney de la société américaine d’eugénisme pour lui réclamer des ouvrages sur la stérilisation etc…

Autres faits évoqués, c’est cette guerre des livres et la tentative d’un ecclésiastique pour diviser les nazis qui m’ont particulièrement intéressée. En effet, en 1933, le chef idéologue du parti nazi Alfred Rosenberg rédige un ouvrage Le mythe du XXème siècle qui déclenche la colère de l’Eglise. Apologie de la polygamie et de la stérilisation forcée, le livre est porté sur les listes d’ouvrages recommandés de l’éducation nationale. Le livre de Rosenberg est mis à l’Index. Enorme publicité ! Le livre explose les records de vente. C’est alors qu’un évêque autrichien a une idée. Remarquant la division des nazis au sujet du livre de Rosenberg, il profite de l’occasion pour tenter de provoquer une véritable scission. Alois Hudal rédige alors Fondements du national-socialisme préconisant d’unir les idéologies nazie et catholique contre un ennemi commun : le bolchevisme. L’effet désiré est obtenu, les nazis sont divisés, la majorité penche en faveur d’Hudal mais les heurts entre les deux factions sont de plus en plus violents et s’étalent publiquement. Hitler doit intervenir et affirmer définitivement sa position.

Plus qu’une simple analyse de l’influence des lectures d’Hitler sur l’idéologie nazie, Dans la bibliothèque privée d’Hitler, c’est aussi l’histoire du parti nazi à travers les livres. La démarche est originale et intelligente et le résultat passionnant. Se basant sur la présence, l’absence, la nature des traces et annotations écrites d’Hitler sur ses livres, Timothy Ryback est à même de proposer une autre histoire de cette époque. Bien qu’il soit souvent contraint à la conjecture plus qu’à l’affirmation, il nous apprend énormément de choses et invite, grâce au renfort de Walter Benjamin, à réfléchir à l’utilité de la littérature. Un ouvrage à découvrir !