jeudi 31 janvier 2013

La Foire aux Vanités - William Makepeace Thackeray



«  Vanitas vanitatum, omnia vanitas », « vanité des vanités, tout est vanité », cette locution latine qui ouvre et clôt le Livre de l’Ecclésiaste (partie de la Bible hébraïque) illustre très bien le roman de Thackeray qui d’ailleurs la mentionne dans son texte. Pourtant vanité est un mot qui comporte plusieurs sens. Celui de l’Ecclésiaste doit être compris dans le sens de ce qui est vain, futile alors que l’acception moderne du terme se rapproche plus de la notion d’orgueil. Mais finalement, La Foire aux Vanités met en scène les deux sens même si celui d’orgueil est plus évident.

Thackeray nous présente donc sa foire aux vanités comme un spectacle de marionnettes, il met en scène une multitude de personnages dont il précise bien qu’aucun n’est prépondérant. Pourtant le lecteur en retient surtout un : Rebecca Sharp alias Mistress Rawdon Crawley. Car si l’un des personnages symbolise à lui seul les deux sens du terme vanité, c’est bien celui-là. Rebecca, Becky pour les intimes, est issue du milieu populaire mais sera élevée parmi les jeunes filles de haut rang grâce à un acte de charité. Elle est destinée à devenir gouvernante mais Becky a de bien plus grandes ambitions.
Elle n’hésite sur aucun moyen, n’a aucun scrupule pour parvenir à ses fins. Séduisante, intelligente, rusée et dotée d’un excellent sens de la répartie, Rebecca tour à tour séduit, amuse et agace. Difficile pour le lecteur de se positionner dans ces conditions, on l’aime et on la déteste mais toujours est-il qu’elle ne laisse pas indifférent. Becky n’est pas non plus sans me rappeler un personnage balzacien qui regroupe à peu près les mêmes traits de caractère. Oui Becky me fait un peu l’impression d’être une version féminine de ce cher Vautrin.

« C’est à ma petite cervelle », se disait tout bas Becky, « que je dois d’en être venue où je suis. Du reste, pour rendre justice à l’humanité, il faut avouer qu’elle est bien bête. »

A côté de Becky, évoluent bien d’autres personnages que Thackeray a su dépeindre avec minutie en insistant particulièrement sur leur principal défaut : la vanité. Tous ont ce travers mais l’expriment de façons très diverses. J’ai beaucoup aimé tous ces personnages dans lesquels on retrouve forcément un peu de soi, il est donc difficile de les condamner totalement et on s’attache automatiquement à eux.

Il faut dire que Thackeray fait tout pour faire entrer son lecteur dans la danse … pardon … dans la foire. Il s’adresse directement à lui, lui donnant du « cher lecteur » ou « ami lecteur » , style qu’a employé aussi Charlotte Brontë dans Jane Eyre (dont la deuxième édition est d’ailleurs dédiée à Thackeray). Mais surtout, Thackeray ne lésine pas sur les sarcasmes, tourne en ridicule ses personnages et s’arrange toujours pour nous en montrer ce qui aurait du rester honteusement dans l’ombre. Autant dire qu’on se régale, qu’on s’amuse, qu’on rit et que ce roman est un délice de lecture.

Les chapitres sont assez courts et s’enchaînent rapidement. Selon l’évolution du récit, ils alternent entre plusieurs personnages. Chaque chapitre a un titre qui encourage bien souvent à poursuivre sa lecture avec curiosité. Par exemple :
«  Le moyen de mener grand train sans un sou de revenu » ou encore :
« Où le lecteur se trouve introduit dans la meilleure société » mais aussi :
« Charade en action qu’on donne à deviner au lecteur ».

Le contexte n’est pas non plus oublié. Contrairement à de nombreux romans de l’époque qui se contentent de faire évoluer leurs personnages dans un cadre géographique restreint et dans une sphère hermétique aux évènements extérieurs, Thackeray, lui, insère son récit dans l’Histoire et dans le monde. On assiste au retour de Napoléon sur la scène européenne, à la bataille de Waterloo, on vogue des côtes britanniques au continent, France, Belgique, Allemagne mais aussi vers les colonies. Bref, l’auteur ancre son histoire dans une époque et on la sent vivre. J’avoue avoir apprécié d’avoir le point de vue anglais sur la bataille de Waterloo et la période des Cent jours.

Thackeray parsème aussi son récit de quelques digressions consacrées à la critique de la société, à des conseils sur l’éducation des enfants, ou sur comment se comporter en société pour se faire bien voir, sur l’absurdité de la guerre, sur le devoir de charité des plus aisés envers les plus pauvres.

Thackeray m’a parfois rappelé Balzac par son plaisir à piquer là où ça fait mal mais peut-être le fait-il de façon beaucoup plus ironique en utilisant surtout l’humour et le ridicule comme armes :

« Autrement vous pourriez m'attribuer à moi les moqueries dédaigneuses de miss Sharp en présence de ces pratiques de dévotion qu'elle trouve si ridicules, son rire insolent à la vue du baronnet ivre comme le vieux Silène. Loin de là, au contraire, ce rire part d'une personne qui n'a de respect que pour l'opulence, d'admiration que pour le succès. On en voit beaucoup de cette espèce vivre et réussir dans le monde, gens auxquels il manque la foi, l'espérance et la charité. Attaquons-les, mes chers amis, sans relâche ni merci. Il y en a d'autres encore qui ont pour eux le succès, mais chez eux tout est sottise et platitude; c'est pour les combattre et les marquer qu'on nous a donné le ridicule. »

Je vous quitte sur cet extrait en vous conseillant vivement de vous lancer vous aussi dans La Foire aux Vanités. Je sais, c’est un pavé, mais qui se lit très vite et qui nous manque une fois terminé.

Je remercie mille fois Litté qui a lancé cette lecture commune et m'a permis de passer un si bon moment de lecture.

samedi 26 janvier 2013

La Chambre des Dames - Jeanne Bourin



Ce roman traînait dans ma bibliothèque depuis quelques années déjà. Pourtant j’ai une grande prédilection pour les romans historiques et je n’avais entendu que du bien au sujet de celui-ci. Mais quand bien même, il m’aura fallu l’occasion d’une lecture commune pour me décider enfin à l’ouvrir. Et je n’ai pas compris. Non, je n’ai pas compris pourquoi ce roman suscite autant l’engouement car, pour ma part, j’ai été plutôt déçue. Je déconseille donc à tous ceux qui ont adoré La Chambre des Dames de poursuivre la lecture de ce qui suit sous peine de brusques et désagréables hausses de tension nerveuse.

Nous voilà donc plongés au cœur du Moyen-Age sous le règne de Saint-Louis, nous entrons dans l’intimité d’une famille de la bourgeoisie parisienne : les Brunel. L’intrusion d’un jeune homme dans la vie de cette gentille honnête famille sans problèmes va bouleverser ce gentil petit monde.

Je me suis profondément ennuyée pendant une grande partie du livre, au moins la moitié. J’ai trouvé l’intrigue inconsistante et insipide. Elle se résume à des histoires de coucheries sans grand intérêt mettant en scène une famille dont la mère est obnubilée par le sexe ( son pauvre mari ne peut plus assumer son devoir conjugal, sait-il seulement, le malheureux, qu’il y a tout de même quantité de façons de donner du plaisir à sa femme ? ), la fille aînée se marie avec un gentil poète qu’elle trompera avec le cousin de ce dernier, la fille cadette se fait agressée, violée et séquestrée par un vilain méchant grossier personnage etc… etc…
J’ai donc eu du mal à m’attacher aux personnages. La mère avec ses airs de nymphomane me faisait rire tellement elle était ridicule, la fille aînée ne semble pas savoir ce qu’elle veut et le pire de tous : Guillaume, celui par qui le malheur arrive, que j’avais en horreur. Personnellement, je rencontre un type comme ça dans la vraie vie, je fuis en courant ! Mais ici non, toutes ces dames se pâment devant ce type têtu, violent et qui mériterait bien quelques séances chez un psy.
Cependant, l’auteur en fait l’incarnation même de la tentation et de la passion par opposition au mari vertueux, cette passion que Florie devra combattre se demandant s’il s’agit de passion amoureuse ou de simple tentation de la chair.

La plupart des rebondissements sont largement téléphonés même si on a quand même quelques surprises de temps à autre. Ça s’arrange un peu dans la seconde moitié qui a un peu plus éveillé mon intérêt et ma curiosité.
Mais dans l’ensemble, j’ai trouvé le tout niais et peu crédible. Tout tourne autour des histoires de tromperies alors qu’il y avait largement matière à donner un peu plus d’intérêt à tout ça, en exploitant un peu mieux par exemple la séquestration de Clarence et la poursuite de son agresseur (traitée trop rapidement à mon goût ), ou encore en ajoutant une intrigue annexe basée sur la profession du père ( qui est orfèvre et répond souvent à des commandes royales), ou encore en narrant les aventures du frère aîné parti en croisade.

Alors certes, cela a déjà été salué, l’auteur maîtrise parfaitement le cadre historique de son histoire et retranscrit à merveille l’atmosphère, les coutumes de l’époque. Mais malheureusement, cela est desservi par un style que j’ai trouvé indigeste. Jeanne Bourin adore les accumulations, elle nous en sort à chaque page. J’ai eu parfois l’impression de lire des inventaires. Lorsqu’elle décrit un jardin, on se croirait en train de feuilleter un catalogue horticole.

Quelques exemples :

« Les bruits de la maison dont on distinguait la façade au-delà des massifs de lauriers, de buis, d’aubépines, de fougères, disposés de façon à composer un rideau de verdure isolant le jardin des mouvements de la demeure, les échos du souper qu’on préparait à la cuisine, les voix de Jeanne et de Marie jouant auprès de leur nourrice, dans le verger voisin où elles passaient le plus clair de leur temps, les aboiements des lévriers, les cliquetis, les hennissements dont retentissaient les écuries, tissaient autour de Mathilde une rumeur éparse, familière qui l’enveloppait d’une présence rassurante. »

« Ils étaient une centaine, partis quatre jours plus tôt de Paris, à pied, à cheval, à dos d’âne ou de mulet, qui cheminaient ainsi vers le tombeau de Saint-Martin pour implorer un miracle, accomplir un vœu, ou rendre grâce d’un bienfait. Ils avaient déjà vu se succéder le soleil, la pluie, les brumes du matin, les crépuscules fauves, la tiède chaleur des derniers jours d’automne précédée et suivie de l’aigre haleine des aubes et des soirs. »

Mais stop ! Stop ! C’est lourd ! C’est trop ! Pitié !
Est-il vraiment nécessaire de faire aller verbes, noms, adjectifs par deux voire plus ? Craignent-ils donc la solitude ?

En plus de ça, l’auteur a la maladresse de placer dans ses dialogues des informations qui n’ont rien à y faire, ce qui rend ces dialogues lourds et absolument pas naturels.

Je suis quand même parvenue à aller au bout de ma lecture par curiosité mais je renonce à lire le deuxième tome. J’ai lu trop de bons romans historiques qui m’ont vraiment enthousiasmée pour pouvoir apprécier celui-ci malgré sa rigueur historique.

Les avis de : A-Little-Bit-Dramatic, Parthenia, jelydragon


mardi 22 janvier 2013

Illusions Perdues - Honoré de Balzac



Ce roman est d’une richesse incroyable, il nous brosse un tableau des plus précis de la vie aussi bien parisienne que provinciale au tout début du XIX ème siècle.
Balzac tire à boulets rouges sur la presse, le monde du spectacle, la banque, la justice et les tout débuts du système capitaliste. Et encore une fois, à travers des personnages magnifiquement bien campés, il expose aux yeux du lecteur toute l’étendue des bassesses dont l’homme est capable.
A travers le personnage de Lucien et ceux de sa famille, il illustre la question de l’ascension sociale à cette époque et nous en montre les redoutables obstacles.

Le roman se compose de 3 parties (selon mon découpage personnel). La première présente la famille de Lucien, son environnement provincial et relate son introduction dans la haute société angoumoisine. Dans la deuxième partie, Lucien vise plus haut encore et débarque dans ce Paris qui le fait tant rêver et lui semble si prometteur mais qui ne sera pour lui que désillusions. Dans la troisième partie, c’est le retour à Angoulême avec une plongée dans les affaires de la petite imprimerie familiale aux prises avec ses concurrents et l’espionnage industriel.

Ce qui rend ce roman extrêmement réaliste et vivant, c’est que Balzac s’est inspiré de sa propre expérience et qu’il y parle de ses propres désillusions. Comment ne pas faire le rapprochement entre l’auteur et Lucien qui souhaite à tout prix devenir un écrivain reconnu et qui se heurte à un milieu difficile, fermé et surtout soumis au bon-vouloir de la presse ? Même chose lorsque Lucien embrasse la profession de journaliste.
Bref on sent que Balzac maîtrise à fond son sujet nous offrant des pages incroyablement détaillées sur le monde de l’imprimerie, de la banque et de la justice ( il y est même allé un peu fort là, je n’ai rien compris du tout …)
Plus que ça encore, Balzac était quand même plutôt visionnaire. C’est incroyable de constater qu’au tout début du XIXème siècle, il a pu sentir la dimension que prendrait le pouvoir de la presse et ses propos sonnent de façon très actuelle :

« Le Journal au lieu d’être un sacerdoce est devenu un moyen pour les partis ; de moyen, il s’est fait commerce ; et comme tous les commerces, il est sans foi ni loi. Tout journal est, comme le dit Blondet, une boutique où l’on vend au public des paroles de la couleur dont il les veut. S’il existait un journal des bossus, il prouverait soir et matin la beauté, la bonté, la nécessité des bossus. Un journal n’est plus fait pour éclairer, mais pour flatter les opinions. Ainsi, tous les journaux seront dans un temps donné lâches, hypocrites, infâmes, menteurs, assassins ; ils tueront les idées, les systèmes, les hommes, et fleuriront par cela même. »

L’intrigue est magistralement menée du début à la fin, on va de rebondissements en rebondissements, on s’apitoie sur le pauvre Lucien pour mieux pester contre lui quelques pages plus loin.
Les personnages de Balzac sont véritablement représentatifs de la nature humaine, aucun n’est tout blanc ou tout noir, on les voit changer, évoluer, se comporter différemment en fonction de leur situation.
On retrouve aussi de vieilles connaissances rencontrées dans Le Père Goriot ou La Duchesse de Langeais et on réalise qu’on s’est probablement mépris sur certains d’entre eux ( n’est-ce pas Eugène ?). Une surprise attend le lecteur à la fin ( d’où l’intérêt de lire  Le Père Goriot avant) et qui me rend impatiente de savoir ce qu’il adviendra dans Splendeur et misère des courtisanes.

Beaucoup de thèmes sont donc abordés à travers ce roman qui constitue apparemment une sorte de concentré de ce que Balzac a pu écrire dans ses autres textes. Autant dire qu’on y trouve de tout et qu’on ne peut absolument pas s’ennuyer : amours déçus, trahisons, célébrité, déchéance, misère, jalousies en tout genre, égoïsme, amour familial, amitié, pardon, chantage, passion, fièvre et acharnement du chercheur et j’en oublie !
J’ai aussi adoré les descriptions de Paris ( celle de la Galerie des Bois ) où vraiment Balzac retranscrit l’atmosphère, l’ambiance du lieu à un point qu’on s’y croirait.

Voilà, je ne vois pas ce que je pourrais ajouter de plus sans trop en dévoiler. J’avais très peur de me lancer dans cette lecture, je m’imaginais un sujet plutôt austère et le nombre de pages m’intimidait aussi. Mais je suis ô combien heureuse d’avoir tenté l’aventure tout de même car Illusions perdues est, pour l’instant, le meilleur classique qu’il m’ait été donné de lire.



dimanche 20 janvier 2013

Les filles d'Allah - Nedim Gürsel



Intriguée par le titre, j’ai mis un petit moment avant de me laisser tenter par ce roman ne sachant pas trop à quoi j’aurais à faire. Les critiques lues ça et là m’ont enfin décidée à me lancer.
Nedim Gürsel nous livre là un roman en partie autobiographique dans lequel il se remémore son enfance, les contes que lui narrait sa grand-mère, la Foi que lui transmettait son grand-père, ses jeux et ses interrogations partagées avec son ami Ismaïl.
Le tout forme un roman assez complexe et riche qui nécessite une certaine curiosité envers la religion musulmane. Car en effet, le texte est parsemé de références à l’Islam, nous dévoilant quelques histoires qui se cachent derrière des sourates du Coran, nous racontant en partie la vie du prophète, sa naissance, ses mariages, la révélation, les combats contre les Mecquois. Puis, à l’occasion, l’auteur revient à ses souvenirs mais surtout à ceux de son grand-père offrant ainsi au lecteur le récit des combats des ottomans contre les anglais et les arabes soutenus par le célèbre Lawrence d’Arabie.

Le style est simple et poétique même si le genre de narration employé peut surprendre au début. L’auteur s’adresse à lui-même enfant utilisant ainsi en majorité la 2ème personne du singulier. Il fait toutefois une exception lorsqu’il s’amuse à faire parler « les filles d’Allah », ces idoles vénérées par la tribu des Qoraïch avant que Muhammad ne reçoive la Révélation.

Bien que l’idée soit originale, je n’ai pas compris pourquoi l’auteur s’y était pris de cette façon, pourquoi faire de ces statues des « filles » d’Allah que Celui-ci aurait par la suite reniées ? C’est totalement contradictoire avec le précepte fondamental sur lequel repose l’Islam : l’unicité de Dieu et le fait qu’Il n’a pas engendré ( réfutant ainsi la croyance des chrétiens en un Jésus fils de Dieu). Cette incohérence est plutôt dommage ( l’intention de l’auteur a du complètement m’échapper) car les passages relatifs à ces idoles sont plutôt amusants, on connaît leurs pensées et leurs réactions face à la progressive conversion des Qoraïch à l’Islam, tantôt séduites par le prophète au point de jalouser ses femmes, tantôt haineuses et réclamant le sang. Alors peut-être que ce sont des légendes ? Peut-être se racontait-on ces histoires ainsi ? Ou est-ce pure invention de l’auteur ? J’avoue qu’il est difficile pour le lecteur de faire la part des choses et que ça reste du coup un peu confus.

J’ai trouvé intéressant l’idée de romancer la vie du prophète, j’ai beaucoup apprécié les anecdotes relatives à ses relations avec ses femmes, les jalousies et les mesquineries dont elles étaient capables. Tout aussi intéressant est le parallèle effectué par l’auteur entre la guerre Ottomans/Arabes et la guerre Mecquois/Médinois avec toutes les interrogations que cela suscitait chez le grand-père de l’auteur : comment Arabes et Turcs pouvaient-ils se faire la guerre alors qu’ils sont frères en Islam ?

C’est donc un joli texte que nous propose Nedim Gürsel où la petite et la grande histoire se mêlent aux contes et aux légendes, où les souvenirs refont surface peut-être pour mieux souligner l’évolution d’un enfant élevé dans la Foi et devenu un adulte qui a pris ses distances avec la chose religieuse à l’image de cette Turquie actuelle qui se cherche entre tradition et modernité.

Après recherches sur la toile, j’ai appris que, à la parution de ce roman, Nedim Gürsel avait été en procès avec les autorités turques pour avoir «vilipendé publiquement les valeurs religieuses d'une partie de la population», un délit qui peut «menacer la paix sociale ». Je n’ai pas eu le détail complet de ce qui lui était reproché mais étonnamment ce n’est pas ce à quoi je m’attendais. Apparemment, le fait d’avoir romancé la vie du prophète pose problème. Je ne comprends pas pourquoi dans la mesure où ça contribue plutôt à diffuser une bonne image de lui et à mieux le faire connaître. La preuve : j’ai appris beaucoup de choses grâce à ce roman et il m’a donné envie d’en savoir encore plus.

mardi 15 janvier 2013

La Dame aux Camélias - Alexandre Dumas fils



Présentation :

Le narrateur récupère, lors de la vente aux enchères des biens d’une célèbre courtisane parisienne Marguerite Gautier, un exemplaire du roman de l’abbé Prévost Manon Lescaut. En le feuilletant, il y trouve une dédicace faite à Marguerite par un certain Armand Duval.
Ce même Armand Duval se présente peu de temps après la vente au domicile du narrateur afin de lui racheter le livre. A cette occasion, Armand lui fera le récit de son histoire avec Marguerite.

Mon avis :

Voilà une des histoires romantiques les plus célèbres car non seulement elle a donné lieu au roman dont il est question ici mais également à une pièce de théâtre et aussi au tout aussi célèbre opéra de Verdi : La Traviata. Adapté également de nombreuses fois au cinéma, ce grand classique ne pouvait pas manquer plus longtemps à ma culture littéraire.

Ce qui m’a surprise en premier lieu lors de cette lecture, ce fut sa grande simplicité dans le style d’écriture. Ici, on ne rencontre point de longues descriptions s’étalant sur des pages et effrayant bon nombre de lecteurs. Le roman est d’ailleurs assez court et se lit très vite car tout est concentré sur l’intrigue et les sentiments des personnages.
On rentre donc très rapidement dans le vif du sujet.
Ce n’est pas pour rien qu’Alexandre Dumas fils fait lui-même référence, dans son texte, à un autre grand classique de la littérature française : Manon Lescaut. Car il existe, en effet, certaines similitudes entre ces deux romans dont la première est la construction.

Tout comme dans le récit de l’abbé Prévost, La Dame aux Camélias utilise le procédé du récit dans le récit. Le lecteur fait donc tout d’abord connaissance avec le narrateur dont il ne sait finalement pas grand chose et dont il ignore même le nom. Et c’est à travers ce narrateur que le lecteur apprend petit à petit l’histoire de la relation tragique entre Armand et Marguerite.
Nous voici avec un deuxième point commun avec  Manon Lescaut : les personnages. Armand, tout comme Des Grieux, est profondément épris d’une courtisane.
Pourtant, là où j’ai beaucoup douté des sentiments de Manon pour Des Grieux, ceux de Marguerite envers Armand sont plus clairs même si je reconnais avoir eu à un endroit un léger soupçon mais très vite dissipé.

Le début du roman m’a beaucoup rappelé  Un amour de Swann de Proust dans lequel Proust détaille en profondeur les sentiments de jalousie de Swann à l’encontre d’Odette. Le jeu du chat et de la souris auquel se livrent Odette et Swann est identique à celui d’Armand et Marguerite. Les sentiments (jalousie des hommes) et les comportements (dédain des femmes) des personnages sont similaires. Les scènes se ressemblent aussi comme celle où Armand/Swann guette le retour chez elle de Marguerite/Odette.
Le parallèle entre les deux couples s’arrête là car le duo Armand/Marguerite évolue bien différemment de son « presque reflet » proustien.

La relation entre Marguerite et Armand m’a profondément touchée et émue. Alexandre Dumas a merveilleusement exprimé les pensées et sentiments de ses personnages et d’Armand en particulier.
Savoir qu’en plus, cette histoire est basée sur du réel puisqu’Alexandre Dumas s’est inspiré de sa relation avec Alphonsine Plessis, n’a fait qu’ajouter au réalisme tragique du récit, de quoi vraiment me bouleverser.
Je me suis de plus beaucoup reconnue dans la réaction d’Armand, dans son désir de vengeance. C’est fou comme l’amour, quand il est passionné, peut atteindre des extrêmes, tant dans la passion elle-même que dans son exact contraire : la haine.

Avec La Dame aux Camélias, j’ai senti une proximité et un attachement à Armand et Marguerite alors que je n’avais éprouvé que de l’antipathie à l’égard de Des Grieux et Manon.
Le dénouement est aussi tragique que dans  Manon Lescaut où il m’avait bien fallu ça pour éprouver enfin un peu de compassion pour les personnages.

Finalement bien que l’intrigue ne soit pas particulièrement originale (puisque certains des aspects sont régulièrement repris dans nombre de romans ou films sentimentaux), la force et la justesse des sentiments, le réalisme de l’histoire font que ce classique restera un de mes très bons souvenirs de lecture.



samedi 12 janvier 2013

La Duchesse de Langeais - Honoré de Balzac



Je poursuis ma découverte de Balzac. Après Le Père Goriot, j’ai jeté mon dévolu sur La Duchesse de Langeais dont j’avais lu des avis enthousiastes. Et il faut dire aussi que le jeu du « fuis-moi je te suis, suis-moi je te fuis » qui est central dans cette œuvre m’a aussi attiré.
Bien que ce roman soit très court, je l’ai pourtant trouvé bien plus dense et complexe que Le père Goriot.
Balzac a construit son récit d’une façon bien particulière. Il l’ouvre par une scène qui est en fait finale puis revient quelques pages plus tard aux événements à l’origine de cette scène. Autant dire que ça n’a fait qu’aiguiser ma curiosité.

En parlant de curiosité, il y en a une dans ce roman, restée célèbre d’ailleurs, il s’agit de la longue digression qu’y a inséré Balzac. Dans ces quelques pages où il n’est plus question de l’intrigue avec laquelle l’auteur nous avait appâté, Balzac expose ses vues sur la situation du faubourg Saint-Germain, quartier de Paris qui concentre la Noblesse, celle qui a réchappé de la Révolution. Bien que légitimiste ( partisan de la Monarchie par opposition aux libéraux, partisans de la République), Balzac n’hésite pas à faire le procès de cette catégorie de la société dénonçant les travers qui l’ont menée au désastre de la chute de la Monarchie. Mais derrière cette longue description des vices et vertus de la population de ce quartier, c’est aussi le portrait d’Antoinette, la duchesse de Langeais, que Balzac nous dresse annonçant subtilement et de façon détournée les évènements à venir.

« Les peuples, comme les femmes, aiment la force en quiconque les gouverne, et leur amour ne va pas sans le respect ; ils n’accordent point leur obéissance à qui ne l’impose pas. »

Antoinette est en effet le type même de la femme aristocratique (terme contesté par Balzac d’ailleurs), c’est une « coquette » qui se plaît à user de son charme et de son esprit pour séduire sa petite cour de prétendants. Autrement dit dans notre langage actuel, c’est une allumeuse. Et Antoinette a décidé d’exercer ses pouvoirs de séduction sur un nouveau venu dans le quartier qui fait sensation auprès des dames par ses aventures en Afrique : Armand de Montriveau. Ces deux-là jouent alors au chat et à la souris mais les événements prendront une tournure surprenante pour aboutir à une fin qui m’aura laissée choquée et perplexe.

Balzac a mis beaucoup de lui dans ce roman. Outre qu’il y présente ouvertement ses opinions sur la haute société de l’époque ( ce qui lui sera amèrement reproché tant sur le fond que sur la forme), il se serait également inspiré de ses propres déboires sentimentaux avec la marquise de Castries tout en en modifiant certains aspects, ce qui illustre que Balzac a tourné la page sur cet épisode douloureux de sa vie.
Pour toutes ces explications, je ne saurais que trop conseiller la lecture de l’excellente introduction de Constance Cagnat-Deboeuf de l’édition Livre de Poche qui apporte de nombreux éclairages sur le texte.

J’ai vraiment adoré cette lecture certes exigeante mais si bien menée et si bien écrite. Le style de Balzac est vraiment une merveille à lire et j’adore aussi la façon qu’il a d’exprimer ce qu’il pense franchement. Il a également admirablement dépeint la psychologie de ses deux personnages principaux.
Quant à la relation entre Antoinette et Armand, je me suis posée ( et me pose encore) beaucoup de questions sur la véritable nature de leurs sentiments. J’ai souvent eu l’impression que tous les deux n’agissaient que par orgueil. Cette apparente opposition entre la passion et la raison qui tourmente Antoinette et la décision extrême qu’elle finit par prendre ne permettent pourtant pas de se faire une opinion définitive sur ses réels sentiments. Et la volonté de vengeance ainsi que la réaction d’Armand à la toute fin du roman ne sont pas non plus sans interroger le lecteur. On sent la passion et les actions excessives qu’elle fait commettre mais il y a pourtant quelque chose qui sonne faux et que j’attribue à ce désir de possession de l’autre qui finalement gouverne le comportement des deux protagonistes.

C’est seulement après avoir terminé ma lecture que j’ai réalisé que La Duchesse de Langeais s’insérait dans un triptyque intitulé Histoire des Treize et que La Duchesse en était le 2ème volet ( il faut toujours que je fasse tout dans le désordre moi …). J’ai donc prévu de lire les autres volets de cette trilogie et j’en dirai donc plus sur les Treize à cette occasion.
En attendant, je ne peux que vous conseiller la lecture de ce très beau roman qui m’a beaucoup touchée et émue.

Voir aussi les avis de Marie, Jérôme et Nathalie.

vendredi 11 janvier 2013

Les chroniques de Durdane - Jack Vance



Résumé de l’éditeur :

Sur la planète Durdane existe un ensemble de communautés disparates, le Shant, sur lequel règne l'Anome, aussi surnommé l'Homme Sans Visage. Dans cette région, chaque femme, chaque homme se voit équipé à la fin de l'adolescence d'un torque explosif que l'Anome peut faire détoner à tout moment. La terreur qu'inspire ce juge et bourreau a maintenu une paix relative pendant des décennies. Mais au prix d’injustices flagrantes. Ainsi, la mère d’Etzwane est-elle réduite en quasi-esclavage par les hommes de son clan. Le jeune garçon part donc à la recherche de l’Homme Sans Visage afin de faire libérer sa mère. Il ignore que sa quête l’entraînera plus loin qu’il ne l’avait imaginé.

Mon avis :

J’ai passé un bon moment avec ce roman qui est en fait une trilogie, mon édition incluant, en un seul volume, les 3 romans dont elle est composée, même si ces 3 parties sont assez inégales en qualité.

La première partie relève plus du genre de la Fantasy. Jack Vance créé tout un monde avec ses différents peuples et leurs caractéristiques et lois propres, son gouvernement etc… Cette partie est donc principalement intéressante car l’auteur s’attache à décrire cet univers étrange que constitue la planète Durdane. On suit également le voyage d’un jeune garçon s’étant échappé de son clan pour rencontrer l’Anome, unique représentant de l’autorité ayant pouvoir de vie et de mort sur ses sujets et dont personne ne connaît l’identité.
Je connaissais la réputation de Jack Vance pour son talent dans la création et la description de civilisations exotiques et je dois reconnaître qu’elle est largement justifiée. Le dépaysement est garanti.
Double intérêt donc pour cette partie : on voyage dans un tout autre monde et on est tenu en haleine par l’intrigue. Qui est donc l’Anome ?

Contrairement à d’autres lecteurs, j’ai trouvé la deuxième partie encore plus intéressante que la précédente. Le Shant (continent de Durdane sur lequel l’Anome exerce son pouvoir) est menacé par des hordes d’êtres d’une violence et cruauté inouïe. L’Anome, incapable de gérer la situation, est renversé. Un nouveau mode de gouvernement doit être mis en place et des mesures d’urgence doivent être prises : il faut créer une armée, des industries d’armement et il faut bien sûr des personnes pour diriger tout cela. Vance dissèque les opérations d’une façon magistrale, j’ai été bluffée. Il met à jour les difficultés, pourtant évidentes mais qu’on ne voit pas toujours, que rencontrent un nouvel appareil gouvernemental qui naît en pleine crise. Le seule reproche que je lui ferai, c’est d’être tombé dans la facilité en copiant nos modèles de gouvernement bicaméraux. Mais je me dis que s’il était si facile de trouver un autre système politique efficace, ça aurait été fait depuis longtemps …
Bref la machine se met en branle tout doucement et l’inertie de l’ancien Anome s’explique peu à peu.

Dans la troisième partie que j’ai trouvée bien plus médiocre, le voile se lève sur les autres continents de Durdane ( dont on ignorait tout jusque-là) mais la déception m’attendait au tournant car l’imagination de l’auteur a semblé s’épuiser ou disons qu’elle n’était pas à la hauteur de celle dont il avait fait la démonstration dans la première partie. Les descriptions sont plus survolées que pour le Shant et l’intrigue tourne au space-opera bas de gamme pour terminer sur un dénouement qui m’aura laissée perplexe. Donc une fin qui m’a laissée sur ma faim avec une impression de soufflé qui retombe.

Mais globalement j’ai vraiment apprécié ma lecture. Jack Vance n’a pas failli à sa renommée, son style est simple, les pages se tournent rapidement, les rebondissements sont assez nombreux pour que l’intérêt et la curiosité du lecteur restent en éveil jusqu’au bout. Et j’ai été surprise d’y trouver des pistes de réflexion sur la politique car je m’attendais à un roman exclusivement « détente » ( sans connotation péjorative derrière ce mot, je précise bien).
Si vous souhaitez donc vous évader quelques heures, n’hésitez pas à vous plonger dans ces chroniques et à vous installer pour quelques temps sur la planète Durdane.


samedi 5 janvier 2013

Le Rocher de Tanios - Amin Maalouf



Présentation de l’éditeur :

"Le destin passe et repasse à travers nous, comme l'aiguille du cordonnier à travers le cuir qu'il façonne." Pour Tanios, enfant des montagnes libanaises, le destin se marque d'abord dans le mystère qui entoure sa naissance : fils de la trop belle Lamia, des murmures courent le pays sur l'identité de son vrai père. Le destin passera de nouveau, dans ces années 1830 où l'Empire ottoman, l'Egypte, l'Angleterre se disputent ce pays promis aux déchirements, le jour où l'assassinat d'un chef religieux contraindra Tanios à l'exil... Mêlant l'histoire et la légende, la sagesse et la folie des hommes, le romancier de Léon l'Africain et du Premier Siècle après Béatrice nous entraîne dans un prodigieux voyage romanesque qui lui a valu le prix Goncourt 1993.


Mon avis :

A cours de livres pendant mes vacances de fin d’année, je me suis rabattue sur la bibliothèque de mon papa qui a la merveilleuse habitude de collectionner les prix Goncourt. Ne connaissant toujours pas Amin Maalouf, j’ai donc jeté mon dévolu sur Le Rocher de Tanios.
Et je ne le regrette absolument pas !

La construction du récit est originale, la plume de l’auteur est fluide et sans fioritures et le sujet ne pouvait qu’attiser ma curiosité.
Dès les premières pages, le lecteur mord à l’hameçon que lui tend Amin Maalouf : d’où vient donc cette étrange légende qui interdit à quiconque de s’asseoir sur le rocher de Tanios sous peine de disparaître ?
C’est ce que le narrateur va chercher à savoir. S’appuyant sur la mémoire d’un ancien du village et sur des documents historiques, il fera revivre l’histoire de son village au XIXème siècle. Attention car l’auteur précise bien que ces sources historiques et la légende en question sont purement fictives bien que le récit soit basé sur un fait réel. Mais pourtant, le talent de l’auteur fait que l’on y croit malgré tout.

J’ai donc été charmée par ce roman aux allures de conte avec en toile de fond le conflit entre l’empire ottoman et l’Egypte, conflit arbitré par les puissances européennes qui cherchent leur part de gâteau. L’influence britannique et sa concrétisation sur le terrain dont Amin Maalouf nous dévoile certains aspects est particulièrement intéressante. Les enjeux de pouvoir et la lutte entre les différentes hiérarchies de la politique locale sont expliquées de façon très simple et j’ai beaucoup apprécié cette imbrication du récit fictif dans un contexte historique réel. Sous ses allures de conte , c’est donc une parcelle de l’histoire du Liban qu’illustre ce roman.

Les personnages sont attachants et tous profondément humains, l’importance accordée à l’honneur est bien mise en évidence et sert de fil rouge tout au long du récit, chaque personnage cherchant à le défendre et à garder tête haute en toutes circonstances mais est contraint malgré lui de subir son destin et les épreuves qu’il lui impose. Quête d’identité, amour et exil attendent Tanios et bien d’autres personnages. C’est donc aussi toute la mentalité d’un peuple attaché à ses croyances, à ses traditions et à sa terre qui nous est montrée que ce soit dans ses travers ou dans sa grandeur.

Le roman est court et s’engloutit rapidement. Une fois en main, j’ai eu du mal à le reposer prolongeant ma lecture jusqu’aux petites heures du matin.
Bref c’est un très beau voyage auquel nous invite Amin Maalouf et je suis prête à repartir en sa compagnie à tout moment.


vendredi 4 janvier 2013

Le Père Goriot - Honoré de Balzac



Cela fait bien plus d’un an que je suis inscrite au challenge Balzac organisé par Marie et je n’avais encore publié aucun billet. Il était temps d’y remédier même si, pour ma plus grande joie et surtout à mon plus grand soulagement, Marie a repoussé l’échéance du challenge d’un an encore.
De Balzac, je n’avais jusqu’à présent lu que quelques nouvelles, un roman La Peau de chagrin et un autre roman : Le Père Goriot, étudié au lycée pour le Bac de français. Je n’en avais gardé qu’un très vague souvenir et il ne m’avait, à l’époque, pas plus emballée que ça.
J’ai donc décidé, pour ma première participation au challenge, de relire Le Père Goriot, ce qui me permettrait ensuite d’enchaîner avec les Illusions Perdues.
Finalement, j’ai eu l’impression de découvrir ce roman pour la première fois et j’ai vraiment beaucoup apprécié ma lecture. C’est une chance que nos goûts évoluent avec l’âge !

Je comprends à présent pourquoi Le Père Goriot est considéré comme une clef de voûte de La Comédie Humaine. Ce roman dépeint à merveille les travers de la nature humaine et bien que Balzac nous fasse, à travers Goriot, le portrait d’un père aimant et tout dévoué à ses filles, l’amour extrême et démesuré de cette figure emblématique de la paternité ne fait que mettre en valeur les vices de tous les autres personnages.

Le roman est habilement construit même si les éditions successives ont peu à peu effacé le découpage initial en 4 parties du texte.
Le lecteur fait donc en début de lecture connaissance avec la propriétaire et les pensionnaires de la Maison Vauquer, pension que Balzac décrit dans les termes les mieux choisis afin d’en faire ressortir toute la misère et la pauvreté par opposition au raffinement des maisons bourgeoises de Paris qui raviront les yeux d’Eugène de Rastignac, jeune provincial bien décidé à se faire sa place dans la haute société parisienne.
Après les présentations et la mise en place du décor, le lecteur entre ensuite dans le vif du sujet ou plutôt des sujets car s’offrent à lui deux histoires liées l’une à l’autre : celle relative au père Goriot et ses filles, et celle relative à l’ascension sociale d’Eugène.

Bizarrement, j’avais gardé un souvenir assez négatif d’Eugène, je ne sais absolument pas pourquoi car je l’ai cette fois-ci trouvé véritablement charmant. Le personnage d’Eugène incarne un peu l’âme tourmentée par sa bonne et sa mauvaise conscience. La première pouvant s’incarner sous les traits du père Goriot et la seconde sous ceux de Vautrin, Goriot indiquant à Eugène le droit chemin alors que Vautrin tentera de l’en écarter et de le faire succomber au vice.
J’ai beaucoup aimé le personnage de Vautrin que j’ai trouvé très intéressant. Balzac a d’ailleurs délibérément bien choisi les termes le décrivant, tous relatifs à la figure suprême du Mal : le Diable. Plusieurs fois, Vautrin est qualifié de « tentateur », de « démon », « je ne vis que par les sentiments » dit-il et « son regard était celui de l’archange déchu qui veut toujours la guerre. » Les passages traitant de la société secrète dont Vautrin serait le chef ne sont pas non plus sans rappeler l’image d’un Satan accompagné de sa horde de démons répandus sur Terre pour y corrompre les âmes. Tout comme dans La Peau de chagrin, Balzac fait un clin d’œil au mythe de Faust, Vautrin proposant un pacte à Eugène : «  Ah ! Si vous vouliez devenir mon élève, je vous ferais arriver à tout. Vous ne formeriez pas un désir qu’il ne fût à l’instant comblé, quoique vous puissiez souhaiter : honneur, fortune, femmes. » dit-il à Eugène en lui tendant une traite à signer.
Les pensionnaires de Madame Vauquer (et elle incluse) ainsi que les autres personnages représentatifs de la société bourgeoise parisienne ne sont pas en reste. Hypocrisie, mesquinerie, ingratitude, cupidité et avarice sont largement représentées. Quelle belle image que toutes ces personnes réunies autour d’une table, se moquant sans cesse du père Goriot, souffre-douleur stoïque, y allant tous de leurs médisances, le tout orchestré par le sire Vautrin, bref, une sorte de négatif de la Cène biblique. Que dire également de la réaction des pensionnaires face à la pauvre Melle Michonneau ? J’avoue avoir été choquée et ne pas avoir compris les raisons de ce « lynchage ».

Bref, Balzac ne prend pas de gants et le portrait qu’il brosse de ses contemporains est un portrait amer et sans concessions, sans hypocrisie à l’exact opposé du caractère de la plupart de ses personnages. Il dénonce les faiblesses de l’âme humaine dans un style tantôt mordant et sarcastique, tantôt moqueur et humoristique qui ne laisse pas indifférent. Autant dire que Balzac n’a pas sa langue dans sa poche.

L’avantage avec La Comédie Humaine, c’est qu’on a la chance de pouvoir retrouver les mêmes personnages dans d’autres romans et d’y avoir dans le détail les explications de certains passages juste évoqués ici. Je me fais donc une joie de continuer ma lecture de ce grand auteur.