mardi 10 mars 2015

Un rescapé de La Méduse : mémoires du capitaine Dupont, 1775-1850




Tout le monde connaît le très célèbre tableau de Géricault Le Radeau de la Méduse. Pourtant je dois bien avouer que je connaissais très mal l’événement qui a inspiré cette toile à Géricault. C’est donc avec curiosité et grand intérêt que je me suis plongée dans les mémoires du capitaine Dupont, un des 10 rescapés du radeau.

Les mémoires se composent de deux parties. La première est consacrée aux premiers temps de la carrière militaire du capitaine Daniel Dupont. A cette époque, nous sommes au lendemain de la Révolution. Après quelques combats contre les Vendéens, Daniel est envoyé dans les Antilles. C’est à présent l’empire et la France est en guerre contre les anglais. L’un et l’autre se disputent les îles à sucre et le jeune soldat s’y illustrera brillamment.  Le fraîchement nommé capitaine Dupont sera d’ailleurs constitué prisonnier et renvoyé en captivité en Angleterre où l’on constate qu’il vaut vraiment mieux être officier que simple soldat.
J’ai trouvé cette première partie peu intéressante. L’auteur nous présentant ces mémoires nous met bien en garde sur l’évolution du style du capitaine de la 1ère partie à la 2ème. Et effectivement, la 1ère partie n’est que bribes de phrases et surtout énumération sans fin ni intérêt de tous les lieux par lesquels le jeune soldat est passé. Rares sont les informations sur son état d’esprit et sur la vie quotidienne de ces soldats même si on en a tout de même un léger aperçu. A ce propos, il faut également souligner le travail de l’auteur qui, par ses notes de bas de page, apporte beaucoup de précisions et l’essentiel des informations. Il nous gratifie également de quelques anecdotes amusantes et on apprend par exemple d’où la capitale de la Guadeloupe tire son nom.

Avec la deuxième partie, on entre dans le vif du sujet. On constate comme nous l’avait dit l’auteur que le style du capitaine s’est développé et la lecture en est grandement facilitée.
Après sa libération par les anglais, le capitaine profite d’une permission bien méritée pour revoir sa famille. Le repos est de courte durée car il est aussitôt rappelé afin d’aider à récupérer les comptoirs sénégalais rendus à la France par les anglais.
C’est donc le 17 juin 1816 que le capitaine Dupont et près de 300 passagers aussi bien militaires que civils embarquent à bord de La Méduse chargée de les transporter jusqu’au Sénégal.


 Le récit du capitaine Dupont est très humble, sincère mais pudique, il semble passer sous silence les moments les plus noirs de ce calvaire qu’ont subit les passagers du radeau. De plus, son état le laissant inconscient ne lui a laissé que des souvenirs assez vagues et confus. Ce sont ses subordonnés qui lui narrent par la suite ce qu’il s’est passé pendant ses absences. Il ne fait donc point mention ouverte et claire du cannibalisme comme ont pu le faire Savigny et  Corréard  dans leur propre témoignage. Le passage sur l’épuration reste trop flou et on ne sait pas bien quelle part il y a prise. Encore une fois, les notes de l’auteur apportent beaucoup puisqu’il met en parallèle les différences et similitudes entre les deux récits soulignant leur subjectivité inévitable et la possible influence qu’a eu le récit de Corréard et Savigny sur la rédaction postérieure des mémoires du capitaine.


L’auteur, Philippe Collonge, ne s’en est pas tenu qu’à faire rééditer les mémoires du capitaine Dupont, il a ajouté à l’édition de nombreux documents, gravures et illustrations, cartes et plan du radeau qui permettent de bien mieux s’immerger dans l’époque et de mieux visualiser la situation. On constate ainsi que le radeau de Géricault semble bien étroit en proportions lorsqu’on le compare au schéma du radeau tel qu’il était ( il faisait plus de 20 m de long et avait du transporter environ 150 des naufragés).
En fin de volume, l’auteur poursuit son travail en nous proposant des pages fort intéressantes relatant le devenir des survivants de La Méduse et l’impact qu’a eu le naufrage sur le public et la sphère politique. Philippe Collonge nous rapporte également la petite histoire du tableau de Géricault où l’on apprend que la France n’en voulait pas ! Et pour les moins éclairés sur cette période de l’Histoire comme moi, on trouve en annexes quelques pages sur le contexte historique : la Vendée en 1793 et la situation des Antilles au XVIIIème siècle. L’auteur fait également le point sur les recherches de l’épave, un véritable trésor enfoui puisque la Méduse avait à son bord près de 90000 pièces d’or !

Ouvrage très bien conçu, très riche en informations, les mémoires du capitaine Dupont présentées et commentées par Philippe Collonge constituent un témoignage et un point de vue très intéressant de cette terrible tragédie que fut le naufrage de la Méduse. Lâcheté des officiers, faim, soif, mutineries et épuration organisée ont été le calvaire des passagers du radeau pendant que ceux restés sur l’épave s’entretuaient. Sans l’œuvre de Géricault, que resterait-il aujourd’hui du tragique naufrage de la Méduse ? La mémoire des survivants et on ne peut que remercier Philippe Collonge pour son travail car il faut le reconnaître, ses notes et commentaires représentent l’essentiel de l’intérêt de l’ouvrage bien plus que les mémoires elles-mêmes où le silence de leur auteur sur certains faits et son survol d’autres nous laissent sur notre faim.

Un grand merci à Babelio et aux éditions La Découvrance.


4 commentaires:

  1. Voilà un livre qui doit faire écho à Moby Dick d'une certaine manière, non ?
    De mon côté, j'ai enfin réussi à venir à bout de mes impressions et à rédiger ma chronique pour samedi :)

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    1. Ah ah oui je baigne dans la littérature maritime en ce moment, c'est le cas de le dire ! J'ai hâte de lire ton avis, vivement samedi ! :)

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  2. C'est une période que j'aime bien et je suis attirée par l'aspect très documentée ( anotée et illustrée). C'est noté !

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    1. Pour quelqu'un comme moi qui ignorait tout de La Méduse, ce livre a été une mine d'or.

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