Les « vaches de Staline », c’est ainsi que les Estoniens déportés désignèrent les maigres chèvres qu’ils trouvèrent sur les terres de Sibérie, dans une sorte de pied de nez adressé à la propagande soviétique qui affirmait que ce régime produisait des vaches exceptionnelles. C’est aussi le titre du premier roman de Sofi Oksanen, dont l’héroïne, Anna, est une jeune Finlandaise née dans les années 1970, qui souffre de troubles alimentaires profonds. La mère de celle-ci est estonienne, et afin d’être acceptée, cette femme a tenté d’effacer toute trace de ses origines, et de taire les peurs et les souffrances vécues sous l’ère soviétique. Ne serait-ce pas ce passé qui hante encore le corps de sa fille ?
Sofi Oksanen fait preuve d’une grande puissance d’évocation quand elle décrit les obsessions de ces deux femmes. Il y a la voix d’Anna qui tente de tout contrôler, son corps, les hommes, et le récit plus distant de la mère qui se souvient de la rencontre avec « le Finlandais », à Tallinn, dans les années 1970, sous un régime de terreur et de surveillance.
L’avis de Aaliz :
Pour vous donner un léger aperçu du style déroutant dans lequel est écrit ce roman, Aaliz va, de façon un peu exagérée, tenter de l’imiter. Pour cela, Aaliz va parler d’elle à la troisième personne. Rassurez-vous, Aaliz n’a pas pris la grosse tête. Aaliz va seulement essayer de vous montrer à quel point elle a pu être agacée par le personnage principal du roman Les vaches de Staline de Sofi Oksanen : Anna.
Anna est une jeune femme qui souffre de boulimarexie (boulimie et anorexie). Mais Anna est superficielle et prétentieuse. En plus de sa boulimarexie, Anna est donc victime de ce qu’on pourrait appeler le « syndrôme Alain Delon ». Anna se croit plus intelligente et plus belle que tout le monde. Anna croit qu’elle comprend tout là où les autres ne comprennent rien. Anna croit tout savoir. Et pour bien montrer cette facette de sa personnalité, l’auteur a lourdement insisté sur la récurrence du prénom Anna.
En fait, Sofi Oksanen utilise plusieurs narrateurs. Les chapitres sont courts, 7 pages maximum, et alternent entre la vie d’Anna, celle de sa mère lorsqu’elle était jeune, celle de sa famille à l’arrivée des Russes en Estonie.
La majorité des chapitres sont écrits à la troisième personne. Seuls ceux concernant Anna et sa maladie le sont à la première. Ce qui n’empêche pas quelques incursions de la troisième personne dans ces chapitres-là. D’où l’agacement de Aaliz. Car Aaliz n’aime pas les gens qui parlent d’eux à la troisième personne et Aaliz sent qu’elle ne va pas aimer sa chronique tout comme elle a eu du mal à aimer Anna.
La construction est, quant à elle, intéressante bien qu’étrange. Les chapitres sont regroupés en 3 parties totalement inégales en taille. La première est la plus longue et construite de façon à boucler la boucle en ce qui concerne la famille et plus particulièrement la mère d’Anna. Les deux parties suivantes ne comptent qu’une dizaine de pages et ne se concentrent que sur Anna.
Aaliz a beaucoup apprécié les chapitres sur la famille d’Anna. Aaliz a aimé que Sofi Oksanen lui apprenne des choses sur la vie quotidienne en Estonie pendant la période soviétique et qu’elle fasse la comparaison entre les modes de vie occidental (à travers la Finlande) et oriental (à travers l’Estonie). Beaucoup de détails sont donnés non seulement sur la réalité vécue par les Estoniens mais aussi sur la vie des déportés de Sibérie. La transition et le passage à l’économie capitaliste suite à l’effondrement du bloc soviétique sont aussi remarquablement décrits.
A l’inverse, Aaliz a trouvé la lecture des chapitres sur Anna et sa boulimarexie très pénibles. Non seulement par l’emploi de ce style particulier mais surtout par le sujet. Anna est à l’image du régime soviétique. De même que le régime communiste mis en place en URSS veut tout contrôler et avoir tout pouvoir sur tout, Anna veut tout contrôler aussi dans sa vie et principalement son corps mais aussi ses relations avec les autres. Anna se conduit comme une gamine capricieuse avec son petit ami. On la sent froide et insensible. Pour cacher ce qu’elle est réellement, Anna mise tout sur son corps. On ne doit plus voir que lui. D’où son obsession. Une jolie façade pour cacher l’inavouable. Tout comme le pouvoir communiste cachait ses crimes par une propagande et une image positives qu’il affichait en apparence. Aaliz a perçue Anna comme déshumanisée, comme dépouillée de sa personnalité, comme le reflet des conséquences résumées en une personne des horreurs et des mensonges de l’époque soviétique.
En même temps, Anna a des excuses : victime d’attouchements sexuels dans son enfance, tiraillée entre deux pays dont sa préférence va à celui qu’elle a du quitter, contrainte par sa mère de dissimuler ses origines estoniennes, un père absent et infidèle, une vie sous surveillance des services secrets … Il y a de quoi fragiliser le plus solide des caractères.
Alors voilà, Aaliz est agacée mais en même temps horrifiée. Sofi Oksanen ne ménage pas son lecteur. La maladie d’Anna et comment elle la vit sont racontés en détails et de façon poignante. On se retrouve désemparé, choqué et impuissant. Sentiments très désagréables.
En conclusion, si vous n’aimez pas les aller-retours incessants entre différentes époques et différents espaces, si vous avez une tendance à la déprime, si vous n’aimez pas l’utilisation de narrateurs multiples, rebroussez chemin.
Dans le cas contraire, foncez.
D’une façon globale (et là j’abandonne Alain Delon, il est trop lourd pour moi), j’ai trouvé ce roman dérangeant et éprouvant, ce fut une lecture qui m’a mise mal à l’aise. Malgré les aspects positifs que j’ai déjà mentionnés, j’ai ressenti trop d’antipathie pour le personnage d’Anna et le style m’a vraiment paru trop pénible. Certains passages m’ont semblé longs surtout sur la fin et j’ai tourné la dernière page avec soulagement.
Je n’avais pas lu Purge et ne peux donc pas faire la comparaison. Et de toutes façons, je ne pense pas que je le lirai.
J’espère néanmoins que mon avis ne vous découragera pas trop car je ne regrette nullement ma lecture, ce fut une expérience très intéressante.
Un extrait :
« En s’habillant à la finlandaise derrière la frontière orientale, Anna se sent de plus en plus bizarre. Là-bas aussi elle veut garder ses habits, ceux dans lesquels on se retourne sur elle pour sa propre forme […] Et une fois qu’elle s’est habituée, derrière la frontière, à être suivie et regardée sans cesse, comme une princesse finlandaise, elle ne peut plus se passer de ces regards dans la petite ville finno-finlandaise. […] C’est pourquoi Anna doit se faire un corps de princesse qui retourne les têtes, mais qui puisse en même temps servir de protection, comme le fait d’être finlandaise derrière la frontière, le genre de protection qui empêche les gens de voir à l’intérieur du corps d’Anna, de voir Anna elle-même. Anna échappe donc à l’invisibilité et à l’inexistence sans pour autant propager l’information interdite – son sang étranger - , simplement en se procurant ce qu’il y a de plus précieux : un corps féminin parfait.
Anna ne retournera plus jamais dans ce corps qui attirait l’attention pour une autre raison que sa beauté charnelle.
Un an n’a pas encore passé qu’Anna a déjà atteint son objectif : la visibilité. S’étant fait un nouveau corps, Anna l’idolâtre et s’en occupe à grand renfort de masques, crèmes et huiles. Quand éclosent les boutons des autres filles, Anna a déjà un maintien de femme adulte, et elle ne trébuche plus sur ses membres dépareillés. »
Je remercie infiniment le site Priceminister qui, grâce à l'opération des Matchs de la Rentrée Littéraire, m'a permis cette découverte.
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