Il y a 4 ans, je préparais le concours du Capes en histoire
et la question au programme d’histoire contemporaine portait sur l’empire
britannique. En étudiant un tel sujet, on ne peut pas passer à côté de la
colonisation de l’Inde et d’un événement marquant de cette période : la
révolte des cipayes de 1857.
Cette mutinerie des soldats indigènes engagés aux côtés des
britanniques fut une des premières manifestations du rejet de l’occupant et un
fait précurseur dans le développement du mouvement nationaliste indien . Trois
raisons sont généralement invoquées pour expliquer la rébellion des
soldats : l’envoi de certains d’entre eux outre-mer ( en contradiction
avec le système de caste pour les Hindous), l’annexion d’une région dont
d’autres étaient originaires et enfin l’utilisation d’un nouveau fusil
obligeant les cipayes à retirer les cartouches avec leurs dents alors que
celles-ci sont enduites de graisse animale.
Mais bien avant ces faits déclencheurs, le ver était déjà
dans le fruit. Le mécontentement grondait déjà au sein des rangs. En effet,
nombre d’entre eux étaient des survivants de la première guerre anglo-afghane
de 1839-1842 qui fut un véritable désastre tant en pertes humaines qu’en
prestige pour l’empire. Dans les manuels de concours, cette guerre n’était
que très brièvement évoquée comme si elle n’était qu’un événement annexe et
secondaire.
Je suis stupéfaite, après ma lecture du récit époustouflant
de William Dalrymple, de constater à quel point cette guerre était très loin
d’être une petite opération sans importance mais un véritable revers pour la
politique, la diplomatie et la grandeur de l’empire !
En 1809, le Shah Shuja qui règne sur ce qui n’est alors que
le royaume de Kaboul ( et non encore l’Afghanistan tel qu’on le connaît) est
chassé de son trône par Dost Muhammad Khan représentant de la famille rivale à
celle régnante. Le Shah s’abrite d’abord au royaume Sikh dont le roi le
dépouille de ses biens avant de l’emprisonner. Shah Shuja parvient tout de même
à s’enfuir et se réfugie sous la protection des britanniques alors bien
installés en Inde. En Asie, la Russie et la Grande-Bretagne sont donc les deux
puissances dominantes. L’influence des russes à la cour persane inquiète les
britanniques, ils croient leurs possessions asiatiques menacées. Commence alors
le Grand Jeu.
Le Shah de Kaboul est une aubaine pour les britanniques qui
voient là le moyen de faire de l’Afghanistan un état-tampon qui les protégerait
d’éventuelles attaques russes. Sous la pression de fausses rumeurs propageant
l’idée que l’armée russe va marcher sur Kaboul, le gouverneur en poste de la
compagnie des Indes, George Auckland, prend alors la décision d’aider Shah
Shuja à retrouver son trône, le roi afghan devenant ainsi une marionnette aux
mains de ses protecteurs. Mais Auckland ne sait pas encore dans quel bourbier
il est allé se fourrer !
Dans Le retour d’un roi, William Dalrymple fait de
cette première guerre anglo-afghane une grande fresque historique absolument
passionnante et richement documentée. Il inclut dans son récit des extraits de
correspondances, de mémoires, de journaux, de chroniques, aussi bien
britanniques qu’afghanes. En effet, William Dalrymple est historien. Pour
écrire ce récit, il s’est rendu sur place et a trouvé au fin fond d’une
librairie une série de sources afghanes oubliées de l’historiographie
occidentale jusqu’alors essentiellement orientée du point de vue britannique.
Ces nouvelles sources ont permis de mieux connaître la vision afghane du
conflit, de mieux comprendre les motifs et enjeux de la rébellion. Lorsque les
multiples versions d’un fait divergent, il les présente toutes en les
critiquant et en proposant celle qui lui paraît être la plus pertinente.
L’ouvrage est également agrémenté de cartes, plans, illustrations, de
biographies et d’une longue et riche bibliographie. Il ne s’agit donc pas d’un
roman mais bien d’un récit basé sur des faits vérifiés, aucun détail n’est
fictionnel et pourtant le tout se lit comme un roman :
“The aim is to get something that, while strictly non-fiction, from what is strictly in the archives, reads like fiction.”“You can't say 'It was a sunny day' unless something in the archives says that the sun was shining on that particular day.”
Le récit est donc constitué de nombreux extraits de ces
archives plongeant le lecteur au coeur de l’événement. William Dalrymple rend
ainsi la vie à tous ces protagonistes en nous faisant partager leurs pensées et
sentiments les plus intimes ainsi que leur vision des faits auxquels ils
assistent et participent.
La passe de Bolan |
Après avoir lu Le retour d’un roi, il est difficile
de ne pas voir en cette guerre entre britanniques et afghans un précédent de
celle survenue récemment. Dans son dernier chapitre, William Dalrymple revient
sur les similitudes et les différences entre ces deux conflits. Mais à travers
l’histoire de ce pays, une constante se dégage : celle d’un peuple qui
refuse obstinément et à raison une ingérence étrangère dans les affaires de son
pays. Les caractéristiques extrêmes de son relief, de sa géographie, de ses populations
sont un avantage indéniable pour ses dernières qui maîtrisent très bien le
terrain. La méconnaissance des us et coutumes, de la vie des habitants et tout
simplement du pays est un lourd handicap souvent déterminant. Ce qui a fait
dire au major Broadfoot : « Nous échouons par ignorance. »
Par ignorance mais aussi par excès d’orgueil et
d’incompétence. J’ai été sidérée de voir à quel point le pouvoir britannique a
accumulé les erreurs stratégiques. Les officiers les plus compétents étaient
écartés au profit d’autres totalement incapables et ignorants des questions
afghanes. Ces mêmes officiers ont conduit l’armée britannique à la déroute la
plus complète par leur obstination à ne pas écouter les conseils de leur
entourage et notamment ceux de Shah Shuja qu’ils estimaient faible et inapte à
gouverner. Pourtant le monarque s’est révélé bien plus perspicace que prévu.
Après avoir lu Le retour d’un roi et effrayé par sa
lecture et les analogies entre sa situation et celle de son prédécesseur, le
président Hamid Karzai invita William Dalrymple à Kaboul :
"Karzai called me to Kabul during Ramadan last year to talk to him about his forbear, Shah Shuja""Karzai refuses to be the West's puppet as he's determined not to repeat the mistakes of his ancestor"
Le plus extraordinaire est de constater l’impact qu’a eu
cette lecture sur le président. William Dalrymple a même été contacté par
l’ambassadeur britannique en place à Kaboul pour l’informer du durcissement des
relations. A la suite de sa lecture, le président Karzai était devenu plus
intransigeant.
William Dalrymple nous apprend également que cette guerre
est restée très vivace dans les mémoires afghanes. Tout afghan connaît le nom
des principaux protagonistes là où les britanniques les ont jetés aux
oubliettes. Le chef spirituel des talibans, le mollah Omar, a d’ailleurs
entériné sa prise de pouvoir par un geste identique à celui de Dost Mohammad
Khan dans les mêmes conditions. Un autre aspect étonnant et qui conforte la
ressemblance entre les deux situations est la configuration tribale de
l’Afghanistan qui est sensiblement identique aux deux époques. D’ailleurs le
mollah Omar est rattaché à la famille des Ghilzai, belle-famille de Dost
Mohammad Khan tandis que le président Karzai est, lui, descendant du Shah Shuja.
On comprend d’autant plus l’effet qu’a pu avoir l’histoire du Shah sur lui.
Le retour d’un roi est donc le résultat d’un travail
de recherche et confrontation des archives remarquable et rigoureux . Ce
récit historique magistral offre pour la première fois un regard inédit et
complet sur la première guerre anglo-afghane qui régalera tous les amateurs de
grandes fresques historiques ainsi que tous ceux qui s’interrogent sur
l’Afghanistan.
Un immense merci à Babelio et aux éditions Noir sur Blanc pour cette fabuleuse lecture enrichissante !
Et bravo aux éditions Noir sur Blanc pour le travail d'édition remarquable. Le livre est magnifique avec un papier de qualité et un encart central contenant de très belles illustrations.
http://vimeo.com/98909818
intervention de William Dalrymple au festival Etonnants Voyageurs 2014
Très joli ton nouveau blog, beaucoup plus clair et aéré :)
RépondreSupprimerMerci et bienvenue !
SupprimerJe commence à m'intéresser sérieusement aux essais, études et romans historiques mais le retour d'un roi me semble tout de même très pointu ! Je note pour plus tard. PS : bien contente de te voir continuer l'aventures bloguesque et ton nouveau blog est très bien !
RépondreSupprimerIl paraît très pointu parce qu'il est très détaillé et fouillé sur un événement bien précis mais il ne nécessite pas de connaissances préalables car William Dalrymple explique tout de façon très simple et claire.
SupprimerMerci maggie !
Congrats pour ce nouveau blog ! Je suis aussi très contente que tu continues ton blog. J'aurais été triste de ne plus lire tes articles =)
RépondreSupprimerTrès bonne continuation avec celui ci ^^
Merci Alison , c'est très gentil. J'espère que celui-ci durera plus longtemps que le précédent :)
SupprimerTrès sympa ton nouveau chez toi! J'aime beaucoup!!
RépondreSupprimerMerci Céline et bienvenue dans ma nouvelle demeure ! :)
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