Je vais vous raconter l'histoire d'amour de Sara et Dara. Comment s'aimer en Iran, quand toute rencontre entre les deux sexes est proscrite? Rencontre interdite à vivre comme à écrire... Voilà également mon histoire d'écrivain, une histoire d'amour avec les mots, semée d'embûches. Car dans mon pays, lorsqu'il s'agit d'amour, toujours la censure veille... Ensemble, nous allons la déjouer!
Mon avis :
J’avais déjà repéré ce titre lors de sa sortie et puis il est sorti de ma tête jusqu’à ce que je le vois en format poche sur un des étals de ma librairie. Prise de doutes, je le repose. Une fois rentrée, je fais le tour des critiques, plutôt disparates mais l’avis de Keisha achève de me convaincre et je retourne à la librairie.
Une fois le précieux bien convoité entre mes mains, je m’y plonge aussitôt.
A présent je l’ai terminé et je n’ai qu’une envie : le relire.
J’ai vraiment adoré ce roman qui concentre en quelques 400 pages tout ce que j’aime dans la littérature.
L’objectif de l’auteur à travers ce roman est de nous montrer à quels problèmes lors de l’écriture est confronté un auteur iranien qui souhaite être publié dans son pays. Pour cela, Shahriar Mandanipour va se mettre lui-même en scène ainsi que le censeur M. Petrovitch ( oui oui, le juge chargé du cas Raskolnikov dans Crime et châtiment).
Les transformations opérées dans le texte sont rendues visibles : en gras le corps de l’histoire d’amour que l’auteur veut raconter, les passages susceptibles de ne pas passer la censure sont rayés, en forme normale les interventions de l’auteur, ses dialogues avec M. Petrovitch, le roman tel qu’il aimerait le raconter, les anecdotes et des tas d’autres petites choses intéressantes.
Vous l’aurez compris, le plus intéressant dans ce livre n’est pas l’histoire d’amour en elle-même mais la façon dont elle est racontée et pourquoi elle est racontée de cette façon et pas d’une autre. Shahriar Mandanipour ponctue donc son récit de nombreuses références littéraires notamment iraniennes ce qui nous permet de la découvrir dans toute sa subtilité où la symbolique est très importante. En Iran, la religion ne permet pas la proximité homme-femme telle que nous la connaissons chez nous. Les relations amoureuses se font en cachette et dans la littérature elles se cachent sous de nombreuses formes poétiques puisant dans les registres de la nature. Ce que Shahriar Mandanipour nous démontre à merveille en analysant pour nous quelques vers célèbres, le passage est d’une ironie mordante et on ne peut s’empêcher de sourire.
Outre la littérature iranienne, c’est aussi quelques pans de l’histoire du pays mais surtout des contes de grand-mère et des légendes que l’auteur nous fait découvrir pour notre plus grand plaisir. Ainsi vous connaîtrez la légende liée aux roses de Damas et vous ferez connaissance avec Shinin et Khosrow personnages très célèbres de la littérature iranienne grâce auxquels vous comprendrez pourquoi l’Iran, au cours de sa longue histoire, s’est toujours fait envahir.
En plus d’avoir un aperçu de la richesse de la culture iranienne, En censurant un roman d’amour iranien vous emmène au cœur du pays et vous fait partager le quotidien des iraniens jamais à court d’idées pour contourner les lois qui leur interdisent tout contact avec l’Occident ( que ce soit à travers la télévision, la musique, le cinéma, la littérature…) et toujours prêts à échapper aux patrouilles de la Campagne contre la corruption sociale.
Par contre à ce sujet, je me pose quelques questions car d’après l’auteur hommes et femmes ne peuvent pas emprunter le même trottoir dans la rue, or ce n’est pas ce que j’ai vu dans les documentaires que j’ai visionnés en parallèle de ma lecture, de même j’y ai vu hommes et femmes aller dîner ensemble au fast-food…(s’il y a des iraniens parmi vous, je serai heureuse d’avoir leur point de vue sur la question).
Autre petite chose qui me rend perplexe, c’est ce fameux cadavre de nain bossu. Apparemment, il est une référence aux Mille et une nuits (il faut absolument que je les lise) mais du coup je n’ai pas compris …
Donc voilà, le récit est truffé de subtilités et de clins d’œil qu’il faut savoir repérer et décrypter pour pouvoir les apprécier. L’auteur s’amuse aussi avec son lecteur en s’adressant directement à lui et en anticipant ses réactions et ses questions. Il intervient lui-même dans son récit en interagissant avec ses personnages. Je sais bien que le procédé n’est pas nouveau mais j’adore ça quand même surtout que Shahriar Mandanipour est parvenu à me bluffer à plusieurs reprises et en particulier à la fin, une fin à laquelle je ne m’attendais absolument pas !
Bref En censurant un roman d’amour iranien est un petit bijou qui m’a fait rêver, voyager et rire aussi tellement certains passages sont comiques. L’auteur a réussi avec un grand talent à démontrer l’absurdité de la censure, système qui ignore complètement le pouvoir d’imagination du lecteur. Je me souviens d’un passage érotique que l’auteur a tenté de raconter sous plusieurs formes pour éviter la censure, certaines étaient ridicules mais une autre, tout en étant extrêmement imagée, était bien plus torride que si l’auteur avait utilisé des mots crus. Et que dire de ce que peuvent laisser croire les fameux et très utiles points de suspension …
J’ai lu que certains lecteurs avaient été gênés par le style. Il est vrai que la version française est une double traduction ( du farsi à l’anglais et de l’anglais au français). Personnellement, je tiens à saluer le travail des traducteurs car cela devait être extrêmement difficile, je n’ai pas du tout été gênée et j’ai déjà eu entre les mains des simples traductions qui, elles, étaient illisibles.
Donc voilà, un gros coup de cœur pour ce roman qui se veut récit engagé et conte oriental à la fois que je relirai très certainement ( et il en faut vraiment pour que je relise un livre !) et qui m’encourage à découvrir plus encore la littérature et la culture iranienne.
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