Comme Géant, le livre d’Edna Ferber qui fut adapté au cinéma, le récit d’Upton Sinclair se veut le roman du pétrole, volontiers scélérat.
On ne manquera pas d’être frappé par la toute-puissance de J. Arnold Ross, ce magnat de la génération fondatrice de l’industrie pétrolière américaine, et par la soumission parfaite de son fils Bunny. Pourtant, le jeune homme va s’affranchir de cette tutelle écrasante et finir par tracer son propre sillon.
Une fresque ambitieuse sur la naissance de l’Amérique industrielle.
Mon avis :
Upton Sinclair m’avait déjà impressionnée avec son autre roman La Jungle dans lequel il dénonce les conditions de travail effroyables des ouvriers de l’industrie agro-alimentaire américaine du début du XXème siècle. Basé sur du vécu ( Upton Sinclair était journaliste d’investigation et n’a pas hésité à endosser lui-même le rôle d’ouvrier avant d’écrire son roman), le roman a fait un tel scandale à sa sortie que les autorités n’ont pas eu d’autre choix que de légiférer afin d’améliorer le quotidien des travailleurs.
Cette fois-ci, c’est au secteur du pétrole que Sinclair s’attaque. Et je peux vous dire qu’après ça, cet auteur entre définitivement au panthéon des auteurs que j’admire le plus.
Pétrole ! est un roman d’apprentissage, celui de Bunny fils et héritier de Jim Arnold Ross grand magnat du pétrole. Le père emmène le fiston partout avec lui pour lui transmettre son savoir et ses connaissances du métier. Bunny apprend toutes les « combines » et petit à petit développe un certain esprit critique qui l’amène à juger certaines des dites « combines » pas très honnêtes.
La rencontre de Bunny avec Paul va accélérer sa prise de distance avec son père. Jeune garçon rebelle à l’autorité paternelle, Paul amènera Bunny à réfléchir à la condition des ouvriers et à sympathiser avec les idées communistes.
Tiraillé entre son affection pour son père et son admiration pour Paul, Bunny se cherche entre deux mondes qui s’oppose : celui que l’on appelle « le monde » d’où est issu Bunny et qui regroupe toutes les grandes fortunes et celui des travailleurs.
Bien qu’il ait parfois des jugements assez tranchés et désagréables vis-à-vis de « la masse », le père de Bunny se révèle finalement être un patron soucieux de ses employés et qui n’hésite pas, lorsqu’il le peut, à céder aux désirs de son fils qui tente de l’infléchir dans sa direction.
Ce tiraillement entre les deux milieux transparaît également à travers la vie amoureuse de Bunny. Doit-il choisir celle qui partage son rang ou celle qui partage ses idées ?
Seulement voilà, lorsqu’on dirige une entreprise pétrolière, on ne peut pas faire tout ce qu’on veut.
Et Pétrole ! devient alors aussi un roman d’apprentissage pour le lecteur.
Nous sommes dans les années 1920 et l’industrie pétrolière en est à ses tout débuts. Le roman nous apprend dans les moindres détails comment cette industrie s’est développée. A travers la figure du père de Bunny, self-made man symbolique de la réussite à l’américaine, on voit comment un simple muletier finit par arriver à la tête d’un empire pétrolier.
Sinclair ne laisse rien de côté, des détails techniques ( comment forer un puits) à la gestion, vous saurez tout sur le fonctionnement d’une entreprise pétrolière. Rassurez-vous, les détails techniques sont très rares, pas très faciles à comprendre sans internet mais on peut facilement sauter le passage pour ceux que ça n’intéresserait pas.
Le plus intéressant et c’est ce que dénonce Sinclair, ce sont les fameuses petites « combines » : propriétaires de terrains escroqués, corruption de simples fonctionnaires d’abord puis carrément achat des candidats aux présidentielles, achat des médias, des banques, les grands du pétrole ne reculent devant aucun moyen pour parvenir à leurs fins.
On assiste aussi à la guerre entre les gros exploitants et les plus petits. La rapacité des premiers est telle qu’ils font tout pour couler les petits : on les force à adhérer à un syndicat qui leur impose une certaine réglementation. Celui qui voudrait, pour éviter la grève de ses employés, modifier la dite réglementation, se verrait automatiquement fermer les vannes par les banques (à la solde des « gros »).
Le contexte du roman, première guerre mondiale et années 1920, est important à prendre en considération. La première guerre a permis l’appropriation des ressources pétrolières par les vainqueurs, elle a surtout permis aux exploitants américains de s’implanter en dehors du territoire national.
Cette période de l’Histoire, c’est aussi les révolutions russes et l’éveil de la doctrine communiste. Sinclair dépeint alors les exactions dont étaient victimes les sympathisants bolcheviques aux Etats-Unis : une véritable chasse aux sorcières (le maccarthysme avant l’heure) dont Bunny et surtout Paul feront les frais.
Alors oui, Sinclair ne mâche pas ses mots parfois et le capitalisme dans tout ce qu’il comprend en prend pour son grade. On pourrait accuser et regarder d’un mauvais œil la sympathie évidente de Sinclair pour le communisme qui transparaît à travers ce roman mais il ne faut pas oublier que Pétrole ! a été écrit en 1926 et que le communisme en Russie n’avait pas encore connu les dérives du stalinisme.
Il faut voir Pétrole ! avant tout comme le roman qui dénonce les conditions de travail difficiles qu’étaient celles des ouvriers du début du XXème siècle.
Alors voilà, j’ai évidemment adoré ce roman coup de poing. Je n’ai pas senti les 980 pages. Les personnages sont extrêmement bien campés et très attachants, surtout Bunny et son père torturés tous deux entre devoir et conscience. J’ai parfois détesté Bunny, sans cesse en train de réclamer de l’argent à son père pour sortir ses camarades de prison. Je l’ai trouvé un peu gonflé mais bon … lui-même était gêné de cette situation. Pour les autres personnages, on a la sœur de Bunny, détestable à souhait, la petite fille de riche par excellence qui ne pense qu’à l’argent, Vernon Roscoe, associé de J. Arnold Ross, figure même du grand patron sans scrupules, Paul l’idéaliste prêt à sacrifier sa vie pour ses idées, Viola l’actrice qui charmera Bunny, Rachel la militante etc…
Un roman riche, très vivant, au style simple et parfois ironique, qui est, par sa portée, probablement au pétrole ce que Germinal est à la mine. Romans classiques très célèbres aux Etats-Unis, Pétrole ! et La Jungle restent méconnus en France et c’est vraiment dommage ! Il ne tient plus qu’à vous d’y remédier.
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