jeudi 19 avril 2012

Journal 1955-1962 - Mouloud Feraoun



Cinquantenaire de l’indépendance de l’Algérie oblige, je me suis replongée dans cette période douloureuse de notre Histoire.
Nombre de magazines ont consacré un numéro spécial ou un hors-série à la guerre d’indépendance pour l’occasion et j’ai particulièrement apprécié la démarche du magazine L’Histoire qui a été plus loin encore en proposant de retracer toute l’histoire de l’Algérie, des Berbères à l’indépendance. Je conseille d’ailleurs vivement ce numéro.

Après m’être donc rafraîchie la mémoire grâce à ces revues, j’ai entamé la lecture d’un ouvrage très bien fait lui aussi : Histoire de la guerre d’indépendance algérienne de Sylvie Thénault. Un ouvrage fort utile car non seulement il retrace les principaux événements mais il fait aussi le point sur la recherche et l’historiographie relatives à ce sujet épineux. En effet, à chaque fois que je lis quelque chose sur la guerre d’Algérie, je me pose sans cesse la question de savoir si c’est réellement objectif. A l’heure actuelle, on peut penser que oui mais il y a peu de temps encore, les soldats français n’avaient qu’entendu parler de la torture mais ne l’avaient jamais vue. Comprendre : la torture n’avait été qu’un fait occasionnel, un dérapage. Or, la recherche a depuis montré que la torture avait fait partie du quotidien des combattants d’Algérie.
Afin de pouvoir me faire une opinion sans avoir à subir la vision franco-française, je me suis tournée vers un algérien, un écrivain algérien de grand talent dont j’ai déjà lu un des titres (chroniqué ici), Mouloud Feraoun.
Mouloud Feraoun a écrit un journal dans lequel il relate ce qu’il voit, ce qu’il lit, ce qu’il entend pendant cette période de guerre.
Avoir le point de vue d’un témoin des événements et voir comment il les a vécus et interprétés, voilà ce que j’attendais de ce journal.

Mouloud Feraoun était instituteur, il faisait partie de ces algériens qui ont eu la chance d’occuper un poste « à égalité » avec les colonisateurs. Dans ce journal, il raconte donc son quotidien d’enseignant dans une petite école de Kabylie puis à Alger jusqu’à son assassinat par un commando de l’OAS deux jours avant le cessez-le-feu du 17 mars 1962.
A travers son journal, on découvre un homme sans aucune haine à l’encontre des français mais comme tout algérien, il est évidemment pour l’indépendance de son pays et contre cette domination injuste qu’ont exercée les français depuis leur arrivée sur le sol algérien. Bien qu’ayant eu lui-même une position privilégiée en tant qu’instituteur, tous ses compatriotes étaient loin d’être logés à la même enseigne.

Et c’est un homme un peu tiraillé entre deux camps qui se déchirent qui se livre à nous. A travers sa plume, on assiste au quotidien des habitants de Fort-National, aux après-midis aux rues désertes, aux portes de la ville fermées, aux fouilles, aux soldats qui tirent sur ceux qui s’enfuient, aux gens qui se cachent le cœur battant derrière leurs volets clos.
Dans les petits villages de Kabylie, on craint leur arrivée. Français ou combattants du FLN, on les craint tous. Ce que les uns laissent, les autres le prennent. Du côté FLN, la loyauté se paye en nourrissant et en hébergeant les partisans. Au risque de représailles. Quand la nuit tombe, on retient son souffle, on ne dort pas, on a peur d’entendre frapper à la porte. Et si on se fait attraper, on parle, on avoue tout, des actes dont on a même pas entendu parler, on avoue.
Au matin, lorsqu’on sort de chez soi, on peut tomber sur un ou plusieurs cadavres. En général, on les connaît. On se demande « à quand mon tour ? ».

Le FLN ordonne à tous ceux qui travaillent avec les français de ne plus se présenter à leur poste. Que faire ? Qui craindre le plus ? Finalement, on se range du côté des siens.
« Oui, je me battrai parce que j’ai vécu dans ce pays que je crois être le mien. »
Ce qu’on pense du FLN ?
« Tout le monde comprend que « les frères » ne sont pas infaillibles, ne sont pas courageux, ne sont pas des héros. Mais on sait aussi qu’ils sont cruels et hypocrites. Ils ne peuvent donner que la mort mais, eux, il faut tout leur donner. Ils continuent de rançonner, de réquisitionner, de détruire. Ils continuent de parler religion, d’interdire tout ce qu’ils ont pris l’habitude d’interdire et ce qu’il leur chante de nouveau d’interdire. Il faut les appeler « frères » et les vénérer comme des dieux.[…]
Il arrive parfois qu’un pauvre bougre, dont les nerfs lâchent subitement, soit atteint d’une espèce de folie lucide et se mette à parler, parler, parler. A la djema, au café, partout, il dit ce qu’il pense de ses « frères ». Et les gens le regardent effarés et apitoyés, car ils savent qu’il n’y a plus rien à faire pour qu’il se taise. Et dans un sens, ils ont plaisir à l’écouter puisque, ce qu’il dit, il le lit dans leur cœur. »

En lisant le journal de Mouloud Feraoun, c’est un témoignage plein d’humanité servi par une plume magnifique que l’on lit et grâce auquel on comprend que les algériens ne cherchaient que deux choses : avoir les mêmes droits que tout le monde et vivre en paix.
J'espère, avec cette chronique, avoir su rendre hommage, même modestement,  à cet écrivain de talent et cet homme que j'admire énormément.
Un document et un auteur à découvrir absolument.


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