vendredi 16 décembre 2011

Le Turquetto - Metin Arditi



Présentation :

« NOTE AU LECTEUR :

Il existe au musée du Louvre un portrait attribué à Titien, intitulé L’Homme au gant, qui présente une curiosité.
La signature apposée au bas de la toile, TICIANUS, toute en majuscules, semble peinte de deux couleurs différentes. Le visiteur attentif peut constater, pour peu qu’il approche son regard du tableau, que le T est peint en gris foncé, alors que le reste du nom, ICIANUS, est en gris-bleu. »

L’Homme au gant ne serait pas de la main du Titien mais d’un mystérieux peintre dont toute l’œuvre aurait disparu sauf cette unique toile que Titien aurait sauvée en y apposant sa signature.
Metin Arditi fait revivre pour nous ce peintre talentueux, prisé du tout Venise, le Turquetto.
Né juif à Constantinople, Elie se révèle très doué pour le dessin. Malheureusement, sa religion lui interdit toute représentation des créatures de Dieu. A la mort de son père, Elie s’embarque pour Venise et entre au service du Maître. Il devient alors l’artiste le plus recherché de la cité utilisé dans les rivalités de pouvoir entre confréries et Grands de Venise.

Mon avis :

J’avais lu de nombreuses critiques élogieuses sur ce roman et la mienne n’y dérogera pas.
Moi qui suis passionnée d’Histoire, d’Art et de peinture en particulier, je ne pouvais pas passer à côté de ce livre. Qui est donc ce Turquetto ? L’Homme au gant ne serait donc pas de Titien ?
C’est en se basant sur cette particularité de cette toile que Metin Arditi construit tout son roman. Et il le fait si bien que j’ai vraiment cru à l’existence du Turquetto. Pourtant tout cela reste entièrement hypothétique même si certains éléments troublants et réels viennent cautionner la thèse de l’auteur.

J’ai adoré ce roman, intelligent, bien construit et très bien écrit. Rien n’est superflu dans ce récit, les dialogues sont magnifiques. Je pourrais juste reprocher le manque de descriptions qui m’auraient permis de me sentir encore plus dans l’ambiance de l’époque. En revanche, les personnages sont méticuleusement travaillés, leur personnalité est décrite de façon à les rendre vraiment vivants. Curieusement, j’ai même trouvé que les personnages secondaires étaient plus précis que le personnage principal lui-même ce qui ne fait qu’ajouter au mystère qui l’entoure.

Un des thèmes abordés traite du lien filial à travers la relation entre Elie et son père. Elie a honte de son père et de sa condition. Le père a honte de son fils qu’il voit comme un traître aux « Siens » sous-entendu au peuple juif. Pourtant cette relation est l’axe central du roman et vous ne pourrez plus ensuite regarder le tableau de L’Homme au gant de la même façon.

Metin Arditi a su aussi reconstituer avec talent les luttes de pouvoir à Venise et le rôle de l’Eglise dans ces conflits. L’action se place en plein XVIème siècle, nous sommes à l’époque de la Réforme et donc de l’émergence du protestantisme. L’Eglise catholique doit réagir face à l’hérésie et doit pratiquer un retour à la pureté des Anciens, surtout dans une ville décadente livrée à tous les vices comme Venise. C’est là qu’intervient l’Art comme outil de propagande, l’Art se met au service du pouvoir et l’auteur explique à merveille les liens entre artistes et Grands du monde qui cherchent par là un moyen de se mettre en valeur et d’assurer leur gloire. Les candidats au capes d’Histoire auront là un très bel exemple illustratif de leurs cours sur Le Prince et les Arts (même si c’est fictionnel c’est toujours intéressant).
Le Turquetto va donc se retrouver pris dans ces questions de rivalités et va vouloir utiliser son art comme moyen d’expression pour révéler son lourd secret.
Car Elie, à l’image de son prénom, est à la croisée des trois religions, juive, chrétienne et musulmane et devient, sous la plume de Metin Arditi, tout un symbole.
Mais dans une époque et un contexte de guerre de religions, l’intolérance et le fanatisme ambiants le conduiront à sa perte.

Un gros coup de cœur donc pour ce superbe roman à ne pas manquer. Il ne me reste plus maintenant qu’à aller faire un tour au Louvre.
En attendant, pour les curieux, le voici : (inutile de vous arracher les yeux à regarder la signature, on ne voit rien, il faut voir l’original pour ça !)


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