Je n’avais encore rien lu de Jean-Christophe Rufin. Le personnage dont il a choisi de faire le sujet de son roman était pour moi assez flou. Je savais que Jacques Cœur avait été un grand marchand de la fin du Moyen-Age et qu’il s’était considérablement enrichi mais mes connaissances s’arrêtaient là.
Jean-Christophe Rufin a su faire de cette biographie romancée une œuvre très documentée qui nous renseigne non seulement sur son sujet principal mais sur toute une période.
Jacques Cœur a vécu sous le règne de Charles VII, nous sommes donc à la fin de la guerre de Cent ans. Le monde féodal, celui des grands princes, des seigneuries, de la chevalerie s’efface pour laisser place aux prémisses du monde moderne et de la Renaissance. Le personnage de Jacques Cœur illustre parfaitement cette transition entre ces deux grandes périodes. Il incarne l’homme nouveau, le bourgeois qui peut s’élever jusqu’aux plus hautes sphères de la société et même du pouvoir par sa seule valeur, sa seule intelligence, son seul travail et non plus grâce à sa naissance et la renommée de sa famille. Il voyage beaucoup et ouvre la France sur le monde grâce au réseau constitué par son entreprise commerciale. C’est de ses voyages qu’il rapporte son goût pour les arts et qu’il introduit la pratique du mécénat. Le palais qu’il fait édifier à Bourges représente parfaitement la liaison architecturale entre Moyen-Age et Renaissance.
Palais de Bourges façade Renaissance |
Palais de Bourges façade médiévale |
De même, Charles VII annonce ce que sera le roi moderne, entouré de conseillés choisis pour leurs compétences, et de favorites officielles comme le sera Agnès Sorel.
Agnès Sorel par Jean Fouquet |
Jean-Christophe Rufin a choisi de présenter son roman sous la forme des Mémoires de Jacques Cœur. Le texte est donc rédigé à la première personne et alterne entre les instants auxquels Jacques écrit et ses souvenirs.
« Je pensais à l’Hadrien des « Mémoires » et je commençai à prendre des notes en vue d’une œuvre de la même inspiration que celle de Marguerite Yourcenar, sans prétendre égaler son génie. »
L’auteur précise bien dans une postface qu’il a rigoureusement respecté les événements de la vie de Jacques Cœur se contentant de romancer la vie privée et intime de Jacques, ses pensées, ses amours …
Le contexte politique, économique, diplomatique est scrupuleusement respecté et comme je l’ai dit très bien décrit et analysé. L’auteur montre bien la place périlleuse de Jacques coincé entre la politique et le commerce, l’un n’étant pas toujours en faveur de l’autre. Mais Jacques a fait les choix nécessaires pour redresser le pays, en faire un royaume riche et unifié, doté d’une armée de métier moderne. Il a consacré sa vie à cette tâche oubliant de vivre pour lui-même.
« Les rêves de jadis avaient porté tant de fruits qu’ils étaient désormais ensevelis sous un quotidien étouffant de papiers et d’audiences. Ce que d’autres enviaient comme un succès était pour moi une servitude. »
« J’étais un homme de confiance du roi, je contrôlais un immense réseau d’affaires. Et pourtant, je ne cessais d’espérer qu’un jour on me rendrait à moi-même. »
Le lecteur pourrait craindre une lecture monotone mais il n’en est rien. Sentiments, intrigues, suspense, la vie de Jacques a été assez riche et « romanesque » pour que le lecteur dévore ce livre avec avidité.
Je suis sortie de cette lecture très heureuse d’en avoir appris autant surtout lorsque les connaissances passent par une écriture aussi fine, précise et un ton aussi juste qui nous rendent le Grand Cœur attachant et admirable.
Moi qui en plus adore les histoires d’ascension sociale, j’ai été gâtée. Le personnage se prête bien à toute une réflexion sur le pouvoir et la réussite sociale. La conclusion est, comme bien souvent, toujours la même : le pouvoir exige des sacrifices et en premier lieu exige de sacrifier sa liberté.
Charles VII par Jean Fouquet |
Jacques Cœur a donc eu un rôle bien plus grand et important que celui qu’on lui laisse dans les manuels scolaires. Jean-Christophe Rufin a voulu effacer la fausse image d’un intrigant parvenu et « dresser un tombeau romanesque » à celui qui a su réaliser ses rêves. Et il y est brillamment parvenu.
Maison natale de Jacques Coeur à Bourges |
Un grand merci à Stellade pour cette LC.
L'avis de Stellade et celui de Licorne.
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