En France, on connaît surtout la guerre du Vietnam à travers
le cinéma et les nombreux films cultes qui lui ont été dédié mais on connaît
beaucoup moins la littérature romanesque sur le sujet. C’est d’autant plus
dommage qu’elle est souvent le fait des vétérans et de ceux qui ont vécu cette
guerre en son cœur. Sympathy for the
devil est de ceux-là. Son auteur Kent Anderson était sergent-chef au sein
des Forces Spéciales, il se base sur sa propre expérience pour donner vie à son
personnage principal et alter ego Hanson et écrire ce roman en partie
autobiographique.
Kent Anderson retrace alors le parcours de Hanson depuis son
incorporation. Fraîchement sorti du lycée, Hanson est plutôt un intellectuel,
il aime particulièrement la littérature et la philosophie. Mais son tempérament
et sa robustesse physique lui permettent de passer sans dommages l’étape des
classes là où d’autres subissent un véritable calvaire. La première sélection
est impitoyable, il n’y a pas de place ni de répit pour les faibles soumis à l’humiliation
et les persécutions de leurs camarades.
Hanson prend rapidement goût à l’art du combat. Il se
découvre même une passion pour la discipline au point de rejoindre l’entraînement
spécial réservé aux Bérets Verts : le voilà à présent membre des Forces
Spéciales.
« Hanson ignorait encore qu’il venait de décider de faire ce que l’armée attend précisément de certains de ses hommes, des meilleurs des siens – tenter de la battre à son propre jeu. Guerre était le nom de ce jeu et, lorsqu’on frôle la guerre de trop près, qu’on la regarde au fond des yeux, elle peut vous entraîner tout entier, muscles, cervelle et sang, jusqu’au plus profond de son cœur, et jamais plus vous ne trouverez la joie en dehors d’elle. Hors d’elle, amour, travail et amitié ne sont plus que déboires. »
L’année de préparation s’achève et c’est l’heure d’affronter
le terrain et les tirs à balles réelles.
Kent Anderson nous décrit alors l’arrivée de Hanson au
Vietnam. D’abord destiné à être affecté au renseignement ( donc dans un
bureau), Hanson se débrouille pour y échapper et obtient d’aller au feu. Car c’est
cela qu’il veut, faire la guerre pour de vrai et combattre. L’accueil qui lui
est réservé n’est pas des plus chaleureux. Considéré comme un des innombrables
bleus sans expérience catapulté ici par une armée peu regardante sur la
psychologie et les facultés de ses recrues, Hanson doit faire ses preuves mais
obtient rapidement la considération et le respect de ses camarades.
Son baptême du feu et sa première sortie en intervention le
font douter, la peur est si violente qu’il pense à renoncer. Mais il persiste,
l’adrénaline le dope et il commence à y prendre goût.
Son premier retour au pays est un désastre. Il se rend
compte qu’il est à présent inadapté et en décalage complet avec la vie et les
préoccupations des civils. Conditionné pendant son séjour à la guerre, habitué
à être sans cesse sur ses gardes, à survivre, il prend chaque interaction avec
un autre être humain comme une agression.
« Tout en marchant, ses yeux furetaient, de droite et de gauche, et de haut en bas, épiant le moindre mouvement. Simultanément, il repérait toutes les planques possibles susceptibles de le mettre à couvert. […] Son regard cherchait des objets qui pourraient lui servir d’arme : pierres, briques, poubelles, tessons de bouteille […] Lorsqu’il croisait quelqu’un sur le trottoir, sa main se refermait en poing, le long de son flanc, prête à frapper. »
Cette peur le pousse à la violence, elle est instinctive et il
n’hésite pas à cogner à la moindre occasion.
« Alors voyons voir. Cette raison », dit-il, la sueur dégoulinant sur ses joues. Il engloba la salle d’un bref coup d’œil circulaire. « Je me réveille la trouille au bide, poursuivit-il, baissant la voix et se rapprochant du gosse, et d’avoir la trouille me fout en rogne, si bien que je crève d’envie de botter son cul à quelqu’un. Je ne fais plus la différence entre avoir la trouille et être en rogne. Tout est lié, tout communique. »
Le constat est sans appel : il aime se battre, il aime
tuer. A présent, une unique chose compte pour lui : retourner au combat.
La guerre le rend heureux, elle est devenue son unique raison de vivre.
« Hanson avait été entraîné à tuer, c’était là le grand art qu’avait su maîtriser sa jeune vie et, lorsqu’il se sentait bien, une partie de lui-même aspirait à tuer quelqu’un, comme d’autres mouraient d’envie de courir, de skier, de danser ou de déclencher une bagarre dans une rade. »
Kent Anderson nous explique clairement dans quel état d’esprit
sont les jeunes soldats envoyés au casse-pipe. Toutefois, il faut quand même reconnaître que Hanson était un cas particulier et donc pas forcément
représentatif mais Anderson passe en revue les différentes catégories d'hommes qu'on retrouvait au sein des rangs de l'US army. L’auteur nous détaille également tout le processus de recrutement
et de préparation, les relations avec les autres recrues et avec les
instructeurs, les exercices et les différentes méthodes de combat enseignées,
les trucs et astuces indispensables pour assurer sa survie. Sur le terrain,
tout se passe comme on peut le voir dans les films mais Kent Anderson insiste
surtout sur la rancœur des soldats, d’abord la haine envers l’ennemi puis le
mépris et la colère envers les civils, le gouvernement et les gradés qui ne cherchent
qu’à satisfaire leurs propres ambitions et intérêts.
« Les gradés et les officiers généraux de l’armée régulière qui souhaitaient voir mettre fin à toutes les activités des Forces Spéciales – ils constituaient la majorité, l’armée régulière s’étant toujours méfiée des unités d’élite – se heurtaient aux mêmes difficultés que les sénateurs. N’ayant qu’une seule année à passer au Vietnam, il leur fallait consacrer la quasi-totalité de leur temps à l’improvisation d’une tactique suffisamment nouvelle et brillante pour justifier leur promotion, ou bien orchestrer une opération assez sanglante et spectaculaire pour faire la une de tous les journaux, leur garantissant ainsi, dans le même temps, promotion et décoration. »
Il dénonce aussi sans détours l’hypocrisie d’un gouvernement
qui prône un certain discours tout en faisant le contraire sur le terrain. La
moralité n’est qu’une préoccupation de façade et si par malheur un manquement
vient à leur être reproché, on s’empresse d’en détourner la responsabilité.
Il faut renvoyer au monde une image propre et vertueuse de l’Amérique.
Sympathy for the devil
est le roman de ces soldats, simples jouets de politiques irresponsables, d’une
guerre qui aura abattu la confiance et le sentiment de supériorité d’une nation
qui n’avait encore jamais connu un tel échec. Kent Anderson a su nous
transmettre son vécu et son sentiment avec une grande force, odeurs, couleurs,
bruits, il retranscrit tout avec précision, on s’y croirait. Son amour pour la
littérature et la culture transparaît à travers son style, tour à tour cru à l’image
du langage vulgaire des combattants et poétique dans son évocation des paysages
et des sensations. On y trouve même une référence au contrat social de
Rousseau. A la guerre, le droit et les lois qui fondent une société n’existent
plus, c’est le retour à l’état de nature : seule compte la survie.
On peut parfois être horrifié par le manque de moralité dans
ce récit mais la grande force de Kent Anderson est d’être parvenu à nous faire
comprendre la mentalité de ses soldats et toute l’absurdité d’une guerre qui n’est
pas la leur.
C’est dans l’écriture que Kent Anderson a réussi son retour
à la vie civile. Il est dommage de constater que son expérience, son témoignage
et celui de nombreux vétérans n’aient pas servi de leçon.
L'avis d'Ingannmic que je remercie de m'avoir accompagnée pour cette lecture.
En effet, nos avis sont très similaires...
RépondreSupprimerBravo pour cette belle note très détaillée, je suis ravie que cette LC ait été l'occasion d'une lecture fructueuse pour toutes les deux !
Très détaillée, voire même un peu trop. Je me demande si je ne spoile pas un peu ( beaucoup ? ) là ... Je n'arrive pas à être plus concise et efficace, il faut toujours que j'en mette des tartines. Il faut que je repense ma façon d'écrire mes billets. Quelque part, j'ai envie d'écrire pour moi et donc de garder une trace d'un maximum de choses mais malheureusement c'est au détriment du lecteur. En même temps, des lecteurs je n'en ai pas énormément donc je ne sais pas trop. Qu'en penses-tu ?
SupprimerSinon, j'espère que Le Procès nous réservera autant de plaisir !
Je pense que tu peux te rassurer : les lecteurs de blogs sont assez grands pour filtrer ce qui les intéresse dans les critiques. Moi, par exemple, je commence en général par les lire à partir de la fin, parce que c'est souvent là que le rédacteur donne son avis et son ressenti, et je parcours le résumé en diagonale (sauf si c'est un titre que j'ai déjà lu, auquel cas, je parcoure, dans l'ordre, tout le billet) !
SupprimerDe plus je me rends compte qu'avec le temps, on oublie, souvent, même les livres qui nous ont marqués lors de la lecture, et l'un des intérêts de tenir un blog est effectivement -enfin, pour moi, en tous cas- d'en garder une trace...
Donc, continue !
Et j'espère moi aussi que La Procès sera une belle expérience, bien que sûrement très différente de celle-ci...
Tu as raison, c'est vrai que moi-même j'ai tendance à lire la partie résumé en diagonale pour passer plus rapidement à l'avis.
SupprimerEn tout cas, merci beaucoup Ingannmic, ça me rassure :)
Personne n'a retenu la leçon quand on constate que la même chose se passe avec les soldats revenus d'Irak... Le sujet m'intéresse beaucoup donc je m'empresse de noter cette belle découverte !
RépondreSupprimerOui les américains ont la tête dure puisqu'ils ne cessent de remettre le couvert, c'est triste pour tous ces jeunes envoyés au front. J'avais une très mauvaise image d'eux avant cette lecture, je les voyais comme des têtes brûlées jouant aux cow-boys mais ce livre m'a fait revenir sur mon jugement et je les comprends beaucoup mieux.
SupprimerEn tout cas, je suis sûre que ce livre te plaira !
rho la la, dis donc qu'est ce que ça a l'air dur comme sujet et comme traitement. Je crains que ce soit vraiment trop désespéré pour moi comme roman (mais peut-on vraiment parler de roman, c'est plus un récit non? voire un témoignage). Je sais que ces ouvrages sont nécessaires, mais je n'ai pas envie de cela pour l 'instant.
RépondreSupprimerC'est un texte dur en effet, il s'agit plus d'un roman mais fortement basé sur l'expérience personnelle de l'auteur ( à vrai dire on ne sait pas exactement où se situe la frontière entre ce qui relève de son imagination et ce qui relève de son vécu). Je comprends tes réticences, moi-même il m'a fallu du temps pour le lire et j'ai eu quelques difficultés à vraiment entrer dedans.
SupprimerC'est une lecture qui semble aller de pair avec la polémique soulevée par le film de clint Eastwood même si ce n'est pas la même guerre, mais pour sa réfléxion sur les soldats. Je note ce titre
RépondreSupprimerIl faut que je voie ce film surtout que je ne suis jamais déçue quand c'est Clint Eastwood qui est aux commandes.
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