« Dieu n’est pas là, Sabiroux ! »
Nietzsche nous annonçait la mort de Dieu. Bernanos nous
apprend qu’il s’est effacé au profit du Diable.
« - Prince du monde ; voilà le mot décisif. Il est
prince de ce monde, il l’a dans ses mains, il en est roi.
… Nous sommes sous les pieds de Satan, reprend-il après un
silence. Vous, moi plus que vous, avec une certitude désespérée. Nous sommes
débordés, noyés, recouverts. Il ne prend même pas la peine de nous écarter,
chétifs, il fait de nous ses instruments ; il se sert de nous,
Sabiroux. »
Alors que rien ne laissait augurer de ses capacités à
endosser efficacement la charge de prêtre, l’abbé Donissan semble soudainement
touché par la grâce divine et se construit peu à peu une réputation de Saint.
Pourtant, Sous le soleil de Satan est loin d’être le
récit d’une ascension mais bien plutôt celui d’une chute, celle de l’abbé
Donissan qui, après avoir cru en Dieu, se laissera envahir par le désespoir lié
à son impuissance dans la lutte contre le péché, contre Satan.
Le roman se découpe en 3 parties.
La première est consacrée à Mouchette, une jeune fille de 16
ans, très jolie. Mouchette plaît beaucoup aux hommes mais comme de nombreuses
femmes, elle cherche surtout un homme capable de l’aimer sincèrement et qui ne
verra pas en elle qu’une occasion de se donner du plaisir. Malheureusement,
elle ne rencontre que des amants peu sérieux. Sa haine et sa rage vont
croissants et la poussent à commettre l’irréparable.
Dans la deuxième partie, nous faisons la connaissance de
l’abbé Donissan et du prêtre chargé de son instruction. D’abord peu convaincu
par les aptitudes de son protégé, il cherchera par la suite à le mettre en
garde et le conseiller afin de faire face à sa nouvelle et sainte destinée. En
effet, l’abbé Donissan se révèle être touché par la grâce divine. Emporté par
de grands élans mystiques, l’abbé pousse sa ferveur à l’extrême jusqu’à mettre
sa santé en péril : jeûnes prolongés et répétés, auto-flagellations, port
du cilice et autres mortifications destinées à l’expiation de ses fautes. La
rencontre entre l’abbé Donissan et l’Ange Déchu en personne convainc le jeune
prêtre dans sa détermination à lutter pour le salut des âmes que Dieu lui a
confiées.
Dans la troisième partie, il se rend compte de la
supériorité écrasante de son adversaire. Il ne va pas jusqu’à renier Dieu mais
comme le fera remarquer un de ses visiteurs :
« Quel dommage […] qu’un tel homme puisse croire au
Diable ! »
La sainteté de l’abbé Donissan ne repose finalement sur pas
grand-chose. De lui semble irradier une sorte d’aura, il a vu le Diable, il a
eu quelques visions mais tous ses efforts pour faire le Bien semblent vains. Il
s’épuise même à la tâche.
« Son extérieur est d’un saint, et quelque chose en
lui, pourtant, repousse, met sur la défensive… Il lui manque la joie… »
L’abbé Donissan m’a fait l’effet d’un prophète en négatif
plutôt que celui d’un saint. Sa rencontre nocturne avec Satan alors qu’il est
perdu dans la campagne déserte m’a rappelé Moïse et le Buisson Ardent. La façon
dont Bernanos évoque ses mortifications invite au parallèle avec Jésus, à de
nombreuses reprises d’ailleurs, il mentionne la croix portée par l’abbé. La
tentative de résurrection du jeune garçon s’y rattache également. A la
différence que chez l’abbé Donissan, tout bascule du mauvais côté.
Son mysticisme, qui est censé le transcender et lui procurer
la force et la joie, ne s’accompagne que de désespoir et d’épuisement.
Bergson, dans son ouvrage Les deux sources de la morale
et de la religion, définit ainsi le mysticisme :
« C'est, désormais, pour l'âme, une surabondance de
vie. C'est un immense élan. C'est une poussée irrésistible qui la jette dans
les plus vastes entreprises. Une exaltation calme de toutes ses facultés fait
qu'elle voit grand et, si faible soit-elle, réalise puissamment. Surtout elle
voit simple, et cette simplicité, qui frappe aussi bien dans ses paroles et
dans sa conduite, la guide à travers des complications qu'elle semble ne pas
même apercevoir. Une science innée, ou plutôt une innocence acquise, lui
suggère ainsi du premier coup la démarche utile, l'acte décisif, le mot sans
réplique . L'effort reste pourtant indispensable, et aussi l'endurance et la
persévérance. Mais ils viennent tout seuls, ils se déploient d'eux-mêmes dans
une âme à la fois agissante et agie , dont la liberté coïncide avec l'activité
divine. Ils représentent une énorme dépense d'énergie, mais cette énergie est
fournie en même temps que requise, car la surabondance de vitalité qu'elle
réclame coule d'une source qui est celle même de la vie. »
Chez Donissan, c’est l’effet complètement inverse. Non pas
une surabondance de vie ni un immense élan mais plutôt un lourd fardeau, une
croix démesurée à porter. L’exaltation n’est pas calme, elle est furieuse et
paniquée. Il aperçoit clairement les complications et plie sous leur poids.
Même s’il trouve souvent les mots justes, l’énergie que cet exercice exige de
lui le fatigue au point que ses paroles finissent par ne plus atteindre leur
but. Ainsi, il ne parvient pas même à sauver l’âme de Mouchette.
C’est un abbé écrasé par la puissance non pas divine mais
satanique. Lutter contre Satan est impossible. Pour cela, il faudrait faire
preuve de ruse et la ruse n’est-elle pas un des attributs du Diable ?
Lutter contre lui, c’est déjà lui faire allégeance. Le défier, comme l’a fait
l’abbé, un sursaut d’orgueil et donc aussi un péché. Il semble même être venu à
penser que Dieu lui-même est désarmé face à celui qui lui a désobéi. Dieu se
serait alors retranché dans une forteresse dont il a fait des hommes les
remparts. Ils absorbent tout le Mal dispensé par le Diable en commettant péchés
sur péchés pour ensuite les déverser et s’en décharger au confessionnal. Face à
ces déferlantes ininterrompues, l’abbé tombe dans un profond désespoir. La lutte
est inégale et Satan n’a que faire de troubler le commun des mortels, il
s’attaque aux meilleurs d’entre eux :
« Pourquoi disputerait-il tant d’hommes à la terre sur
laquelle ils rampent comme des bêtes, en attendant qu’elle les recouvre
demain ? Ce troupeau obscur va tout seul à sa destinée … Sa haine s’est
réservé les saints. »
« Où l’enfer trouve sa meilleure aubaine, ce n’est pas
dans le troupeau des agités qui étonnent le monde de forfaits retentissants.
Les plus grands saints ne sont pas toujours les saints à miracles, car le
contemplatif vit et meurt le plus souvent ignoré. Or l’enfer aussi a ses
cloîtres. »
Voilà ce que j’ai compris de ce roman. Je suis peut-être
totalement à côté de la plaque. Je ne vous cache pas que ma lecture a été
laborieuse et que moi aussi j’ai du lutter pour en venir à bout. Ce texte de
Bernanos a la réputation d’être assez difficile et je comprends maintenant
pourquoi. Bernanos parsème son récit de longs passages qui me sont restés
complètement abstrus. J’ai eu l’impression qu’il exprimait quelque chose de
très intime, peut-être vécu mais en tout cas très personnel et donc impossible
à comprendre sans être dans sa tête. En tant que lecteur, on reste totalement à
l’écart, en spectateur perplexe. Le style m’a parfois aussi posé problème. Non
pas que ce soit mal écrit, il y a des lignes magnifiques, mais j’ai du m’y
reprendre à plusieurs fois sur certaines phrases, la construction syntaxique
m’échappant totalement.
Pourtant ce roman est magistral par sa thématique et l’intrigue
mais j’ai trouvé le traitement terne. On ne ressent absolument pas la tension
dramatique à laquelle pourtant le sujet se prête bien volontiers. Ça manque de
puissance d’évocation, de force.
Sous le soleil de Satan est un roman très complexe et
difficile d’accès selon moi ( je ne suis peut-être pas assez armée pour
l’aborder ). J’ai le sentiment qu’il dit beaucoup de choses mais qu’elles
m’échappent. Par exemple, il me semble que Bernanos a voulu dire quelque chose
au sujet de la vieillesse, il insiste beaucoup là-dessus mais je n’ai pas
compris où il voulait en venir.
Cependant je ne suis pas complètement fâchée avec Bernanos
bien qu’il n’ait pas su me séduire cette fois-ci. J’ai cru comprendre que Le
journal d’un curé de campagne était plus accessible et transcendant. Je lui
redonnerai donc sa chance.
Si vous avez lu Sous le soleil de Satan et que vous
avez des éclaircissements à m’apporter, n’hésitez surtout pas à m’en faire
part.
« - Un Saint ! Vous avez tous ce mot dans la
bouche. Des saints ! Savez-vous ce que c’est ? Et vous-même,
Sabiroux, retenez ceci ! Le péché entre en nous rarement par force mais
par ruse. Il s’insinue comme l’air. Il n’a ni forme, ni couleur, ni saveur qui
lui soit propre, mais il les prend toutes. Il nous use par-dedans. Pour
quelques misérables qu’il dévore vifs et dont les cris nous épouvantent, que
d’autres sont déjà froids, et qui ne sont même plus des morts, mais des
sépulcres vides. Notre-Seigneur l’a dit : quelle parole, Sabiroux !
L’Ennemi des hommes vole tout, même la mort, et puis il s’envole en
riant. »
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Dante et Virgile - William Bouguereau |