L'île où se déroule cette histoire est depuis toujours soumise à un étrange phénomène : les choses et les êtres semblent promis à une sorte d'effacement diaboliquement orchestré. Quand un matin les oiseaux disparaissent à jamais, la jeune narratrice de ce livre ne s'épanche pas sur cet événement dramatique, le souvenir du chant d'un oiseau s'est évanoui tout comme celui de l'émotion que provoquaient en elle la beauté d'une fleur, la délicatesse d'un parfum, la mort d'un être cher. Après les animaux, les roses, les photographies, les calendriers et les livres, les humains semblent touchés : une partie de leur corps va les abandonner.
En ces lieux demeurent pourtant de singuliers personnages. Habités de souvenirs, en proie à la nostalgie, ces êtres sont en danger. Traqués par les chasseurs de mémoires, ils font l'objet de rafles terrifiantes...
Un magnifique roman, angoissant, kafkaïen. Une subtile métaphore des régimes totalitaires, à travers laquelle Yoko Ogawa explore les ravages de la peur et ceux de l'insidieux phénomène d'effacement des images, des souvenirs, qui peut conduire à accepter le pire.
Mon avis :
Je ne lis pas souvent des auteurs japonais, je ne sais pas pourquoi mais la littérature nippone ne m’attire pas particulièrement. C’est à l’occasion d’une lecture commune que je me suis penchée sur ce roman de Yoko Ogawa, le résumé me plaisait et puis … dès que je vois les mots « régime totalitaire » je suis obligatoirement intéressée.
Bizarrement, je n’ai pas vu dans ce roman qu’une métaphore de régime totalitaire, j’ai trouvé que le message allait au-delà.
En effet, le régime mis en place et les phénomènes d’effacement qui touchent cette île inconnue participent à la progressive perte d’identité de tous les habitants. D’ailleurs les personnages ne sont jamais nommés, ils sont distingués soit par leur initiale (« R »), soit par d’autres moyens ( « le grand-père », « l’ex-chapelier » …). Les lieux aussi sont inconnus, nous sommes sur une île mais aucune autre indication géographique n’est donnée. Aucune indication de temps également. On se doute de la similitude avec le Japon ( par la mention d’autres îles à proximité, par le tsunami) mais on reste avec cette impression d’être dans un univers parallèle, dans une autre dimension.
Au fur et à mesure des disparitions, la mémoire des habitants de l’île s’efface, ils oublient l’objet disparu et tout ce qui s’y rattache. Parfois, les conséquences sont anodines mais lorsque les romans disparaissent et avec eux l’usage de l’écriture puis de l’expression, lorsque les membres même du corps humain sont oubliés de leur possesseur, la perte d’identité, l’effacement de l’individu deviennent entiers.
Le parallèle avec les régimes totalitaires que l’on connaît et leur mode de fonctionnement est évident. Police secrète, des dissidents traqués, la méfiance et la peur de la délation, une économie qui s’effondre, la faim, le marché noir, un système qui s’autodétruit, le contrôle des individus et la résignation de ces derniers.
Mais en même temps, ce roman est une belle réflexion sur ce qui est le fondement de notre identité, sur l’importance de nos souvenirs sur ce que nous sommes. Yoko Ogawa montre à merveille les dégâts que peuvent causer la perte de la mémoire, transformant une personne en une autre … étrangère. Les proches des malades atteints de la maladie d’Alzheimer et de toute forme d’amnésie en savent quelque chose.
La narratrice étant écrivain, Cristallisation secrète est aussi un roman dans le roman. Cette deuxième histoire est même encore plus perturbante que l’intrigue principale. Toujours en exploitant le thème de la disparition, elle montre les effets pervers qui peuvent en découler.
Le tout est assez bien mené même si on repère quelques incohérences et si l’univers créé par l’auteur est un peu bancal. On ne peut s’empêcher de se poser des questions d’ordre « pratique » que l’auteur a laissé complètement de côté.
Mais l’idée était assez originale et n’était pas très évidente à traiter. Yoko Ogawa a su habilement mêler l’onirique et l’angoissant. On ressent à la fois toute la poésie du texte et toute l’atmosphère lourde et malsaine relative à la situation.
Pas un coup de cœur mais une belle lecture riche en réflexion que je recommande.
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