Je ne sais pas si cet adage se vérifie. Néanmoins, Timothy Ryback a eu l’idée d’étudier le fond de la bibliothèque privée d’Hitler et d’essayer de voir et comprendre en quoi ses lectures ont pu l’influencer.
Hitler était un grand lecteur. Il souffrait pourtant d’un complexe d’infériorité du à sa courte scolarité. Autodidacte, il se forme par les livres. Mais loin de vouloir accumuler des connaissances, il se cherche surtout des appuis, des modèles intellectuels capables d’alimenter et enrichir ses propres idées. En farfouillant ainsi dans les ouvrages qu’a possédé le dictateur, c’est l’origine de l’idéologie nazie que l’on aperçoit.
La bibliothèque d’Hitler n’est pas consultable dans son intégralité. A l’époque, elle était dispersée en plusieurs lieux régulièrement fréquentés par Hitler. Une bonne partie qui était entreposée au bunker est à présent éparpillée aux quatre coins du monde. Heureusement, de nombreux volumes sont aujourd’hui conservés à la bibliothèque du Congrès aux Etats-Unis. C’est ce fond documentaire que Timothy Ryback a étudié.
Le seul examen de ce fond manquerait d’intérêt si Timothy Ryback n’avait pas enrichi son travail en l’inscrivant dans l’histoire personnelle d’Hitler et celle du parti nazi. De même, il fait régulièrement intervenir dans son texte les propos du philosophe et critique littéraire Walter Benjamin afin d’éclairer le comportement d’Hitler en tant que lecteur.
Les premiers chapitres de l’ouvrage de Timothy Ryback traitent de la vie au front d’Hitler pendant la première guerre. L’auteur évoque ses quelques lectures ( des guides touristiques et des ouvrages d’architecture ) mais surtout sa vie et sa personnalité. Son premier et principal mentor, Dietrich Eckart, est également évoqué à travers les lectures qu’il a offertes à Hitler ainsi qu’en lui faisant part de ses idées antisémites. C’est l’époque où Hitler harangue les foules à la brasserie de Munich. Timothy Ryback revient alors sur les querelles qui ont présidé au choix de celui qui serait à la tête du parti, notamment sur celle qui opposa Hitler à Otto Dickel, intellectuel affirmé et auteur de Résurgence de l’Occident. Cet ouvrage, pendant optimiste du Déclin de l’Occident d’Oswald Spengler, affirme qu’un nationalisme exacerbé associé à un antisémitisme déclaré permettrait à l’Europe de remonter la pente.
On apprend également qu’Hitler était un grand admirateur de Shakespeare. Bien que sa bibliothèque contint très peu de romans fictions, on compte parmi ses préférés essentiellement des romans d’aventure comme celle de Robinson Crusoé, des romans de Fenimore Cooper et de Karl May. A côté de ces quelques fictions, Hitler possédait également les grands classiques de la littérature de guerre : l’ouvrage de Clausewitz, des récits de guerre dont celui de Lüdendorff, des manuels d’histoire, des biographies de grands dirigeants ( Alexandre le Grand, Pierre le Grand, Jules César …). On a également pu retrouver un document rassemblant les titres empruntés par Hitler à la bibliothèque d’un institut d’extrême-droite de Munich. Les lectures choisies sont très éclectiques : œuvres historiques ( sur les révolutions russes par exemple), œuvres sur la religion et la mythologie, œuvres philosophiques ( Kant, Fichte, Rousseau, Machiavel …). Tous les ouvrages antisémites y sont passés et notamment le tristement célèbre Juif international : le problème du monde d’Henri Ford et bien d’autres encore.
Timothy Ryback nous épate aussi en nous montrant la liste des lectures recommandés à tout bon nazi digne de ce nom, liste d’ouvrages qui était remise à tout nouveau membre du parti. On y trouve bien sûr les livres d’Henri Ford, de Dietrich Eckart …
Timothy Ryback revient aussi, dans les chapitres suivants, sur la période d’emprisonnement d’Hitler, ses conditions de détention, ses lectures de l’époque mais principalement sur la rédaction de Mein Kampf, relevant, à l’aide des manuscrits originaux, les hésitations et les corrections apportées au texte par Hitler au fur et à mesure de la rédaction. Il apporte aussi un éclairage intéressant sur la rédaction de ce texte en expliquant quelles lectures faites par Hitler à cette époque ont influencé les idées contenues dans Mein Kampf à l’image de Typologie raciale du peuple allemand de Hans F. K. Günther.
Timothy Ryback s’attarde également sur les difficultés de publication, la réception et l’accueil réservé à Mein Kampf lors de sa sortie puis comment il est devenu un « best-seller ».
On apprend également que Mein Kampf comportait deux autres volumes dont un n’a jamais été édité et dont on a jamais retrouvé le manuscrit.
Ma plus grosse surprise à la lecture de cet ouvrage fut de découvrir qu’Hitler avait emprunté ses idées eugénistes aux américains ! En effet, l’eugénisme est une idéologie qui existait chez les américains bien avant les nazis. Le représentant de ce courant, Madison Grant, a écrit La fin de la grande race en 1916 dans lequel il met en garde le peuple américain contre les dangers de l’immigration et le risque d’extinction de la race blanche, préconisant la stérilisation des éléments inférieurs de la société et autres horreurs du même genre. Timothy Ryback rapporte d’ailleurs que Hitler était entré en relation directe avec Leon Whitney de la société américaine d’eugénisme pour lui réclamer des ouvrages sur la stérilisation etc…
Autres faits évoqués, c’est cette guerre des livres et la tentative d’un ecclésiastique pour diviser les nazis qui m’ont particulièrement intéressée. En effet, en 1933, le chef idéologue du parti nazi Alfred Rosenberg rédige un ouvrage Le mythe du XXème siècle qui déclenche la colère de l’Eglise. Apologie de la polygamie et de la stérilisation forcée, le livre est porté sur les listes d’ouvrages recommandés de l’éducation nationale. Le livre de Rosenberg est mis à l’Index. Enorme publicité ! Le livre explose les records de vente. C’est alors qu’un évêque autrichien a une idée. Remarquant la division des nazis au sujet du livre de Rosenberg, il profite de l’occasion pour tenter de provoquer une véritable scission. Alois Hudal rédige alors Fondements du national-socialisme préconisant d’unir les idéologies nazie et catholique contre un ennemi commun : le bolchevisme. L’effet désiré est obtenu, les nazis sont divisés, la majorité penche en faveur d’Hudal mais les heurts entre les deux factions sont de plus en plus violents et s’étalent publiquement. Hitler doit intervenir et affirmer définitivement sa position.
Plus qu’une simple analyse de l’influence des lectures d’Hitler sur l’idéologie nazie, Dans la bibliothèque privée d’Hitler, c’est aussi l’histoire du parti nazi à travers les livres. La démarche est originale et intelligente et le résultat passionnant. Se basant sur la présence, l’absence, la nature des traces et annotations écrites d’Hitler sur ses livres, Timothy Ryback est à même de proposer une autre histoire de cette époque. Bien qu’il soit souvent contraint à la conjecture plus qu’à l’affirmation, il nous apprend énormément de choses et invite, grâce au renfort de Walter Benjamin, à réfléchir à l’utilité de la littérature. Un ouvrage à découvrir !
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