mardi 31 mai 2016

L'Art de lire et l'Art de bloguer



Voilà près d’un an que je n’ai rien publié sur ce blog ni donné signe de vie. La raison en est que j’ai passé mon année à préparer un diplôme qui nécessite normalement 2 ans de préparation. Autant vous dire que le rythme était intense et que pendant un an ma vie sociale a disparu, je n’ai pu lire que deux ou trois livres et je n’ai pas honoré certains de mes engagements. A ce propos, je tiens à présenter mes sincères excuses à :

  • Tous les participants au challenge tout risque que j’ai lâchement abandonnés sans aucune explication.

  • Ingannmic avec qui j’avais programmé une lecture commune sur Don Quichotte de Cervantès, lecture commune que je n’ai pas honorée ( j’ai bien lu l’œuvre mais n’ai pas écrit de billet). Je n’ai même pas répondu à son dernier mail. Ingannmic, si tu passes par ici, je te demande pardon à genoux.
  • Tous ceux qui ont laissé des commentaires sur ce blog ou m’ont envoyé des mails et auxquels je n’ai pas répondu.

Aujourd’hui, je reviens, maintenant que j’en ai presque terminé avec mes examens et que j’ai pu reprendre mon activité préférée : la lecture.
Mais la question se pose concernant la reprise de ce blog. Je me souviens qu’avant même de commencer ma formation, mes billets se faisaient de plus en plus rares et je me posais déjà la question de continuer ou non à bloguer.
En effet, mon approche personnelle de la lecture s’est modifiée et donc l’intérêt que je peux avoir à  bloguer également. J’ai envie d’en discuter avec vous et d’avoir votre avis sur ces questions. Pour cela, je vous propose un petit texte extrait de Un Art de vivre d’André Maurois concernant l’art de lire. 


« … La lecture est active. Lit pour son plaisir l'amateur de romans qui cherche dans les livres, soit des impressions de beauté, soit un réveil et une exaltation de ses propres sentiments, soit des aventures que lui refuse la vie. Lit pour son plaisir celui qui aime à retrouver dans les moralistes et les poètes, plus parfaitement exprimées, les observations qu'il a faites lui-même, ou les sensations qu'il a éprouvées. Lit pour son plaisir enfin celui qui, sans étudier telle période définie de l'histoire, se plaît à constater l'identité, au cours des siècles, des tourments humains. Mais la lecture a ses règles. Indiquons-en quelques unes.
La première c'est qu'il vaut mieux connaître parfaitement quelques écrivains et quelques sujets que superficiellement un grand nombre d'auteurs. Les beautés d'une œuvre apparaissent toujours mal à la première lecture. Il faut, dans la jeunesse, aller parmi les livres comme on va dans le monde, pour y chercher des amis, mais ces amis trouvés, choisis, adoptés, il faut, avec eux, faire retraite. Être le familier de Montaigne, de Saint-Simon, de Retz, de Balzac ou de Proust, suffit pour enrichir une vie.
La seconde est de faire, dans ses lectures, une grande place au grand texte. Bien sûr, il est nécessaire, autant que naturel de s'intéresser aux écrivains de son temps; c'est parmi eux que nous avons chance de pouvoir trouver des amis ayant les mêmes soucis et les mêmes besoins que nous. Mais ne nous laissons pas submerger par le flot de petits livres. Le nombre des chefs-d’œuvre est déjà tel que nous ne les connaîtrons jamais tous. Faisons confiance au choix des siècles. Un homme se trompe ; une génération se trompe ; l'humanité ne se trompe pas. Homère, Tacite, Shakespeare, Molière, sont certainement dignes de leur gloire. Nous leur donneront quelques préférences sur ce qui n'a pas subit l'épreuve du temps.
La troisième, c'est de bien choisir sa nourriture. A chaque esprit conviennent des aliments qui lui sont propre. Apprenons à reconnaître ceux qui sont NOS auteurs. Ils seront fort différents de ceux de nos amis. En littérature, comme en amour on est surpris par le choix des autres. Soyons fidèle à ce qui nous convient. Nous sommes en cela les meilleurs juges.
La quatrième, c'est de mettre autour de nos lectures, toutes les fois que cela est possible, l'atmosphère de recueillement et de respect qui entoure un beau concert, une noble cérémonie. Ce n'est pas lire que de parcourir une page, de s'interrompre pour répondre au téléphone, de reprendre le livre alors que l'esprit est ailleurs, de l'abandonner jusqu'au lendemain. Le vrai lecteur se ménage de longues soirées solitaires ; il réserve, pour tel écrivain très aimé, l'après-midi d'un dimanche d'hiver ; il est reconnaissant au voyage en chemin de fer de lui donner l'occasion de relire tout d'un trait un roman de Balzac, de Stendhal, ou les Mémoires d'Outre-Tombe. Il trouve un plaisir aussi vif à retrouver telle phrase, tel passage qu'il aime (dans Proust, les aubépines ou la petite madeleine, dans Tolstoï, les fiançailles de Levine), que l'amateur de musique a guetté, dans le Petrouchka de Strawinsky, le thème du magicien.
Enfin la cinquième règle, c'est de se rendre digne des grands livres, car il en est de la lecture comme des auberges espagnoles, et de l'amour : on y trouve ce qu'on y apporte. La peinture des sentiments n'intéresse que ceux qui les ont éprouvés, ou ceux qui, jeunes encore, en attendent l'éclosion avec espoir et angoisse. Rien de plus émouvant que de voir une jeune personne qui, l'an dernier, ne supportait que les récits d'aventures, se prendre tout à coup d'un goût vif pour Anna Karénine, ou Dominique, parce qu'elle sait désormais ce que sont le bonheur et la douleur d'aimer. Les grands hommes d'action sont bons lecteurs de Kipling, les grands hommes d'état, de Tacite ou de Retz.
L'art de lire, c'est pour une grande part, l'art de retrouver la vie dans les livres et de la mieux comprendre grâce aux livres. »


Ce texte m’a beaucoup fait réfléchir sur mon rapport à la lecture, pourquoi je lis, comment je lis etc… On pourrait commencer par rebondir sur la question de l’existence de règles concernant la lecture et opposer à celles d’André Maurois les droits du lecteur de Daniel Pennac, mais ce n’est pas ce qui m’intéresse ici. Ce qui m’intéresse c’est surtout le contenu de ces règles.
Selon Maurois et sa règle n°1, on devrait se focaliser sur une poignée d’auteurs exclusivement plutôt que papillonner. Cette règle m’interpelle car j’ai lu la même idée dans Les Lettres à Lucilius de Sénèque (lettre II):


« La lecture d’une foule d’auteurs et d’ouvrages de tout genre pourrait tenir du caprice et de l’inconstance. Fais un choix d’écrivains pour t’y arrêter et te nourrir de leur génie, si tu veux y puiser des souvenirs qui te soient fidèles. C’est n’être nulle part que d’être partout. Ceux dont la vie se passe à voyager finissent par avoir des milliers d’hôtes et pas un ami. Même chose arrive nécessairement à qui néglige de lier commerce avec un auteur favori pour jeter en courant un coup d’œil rapide sur tous à la fois. La nourriture ne profite pas, ne s’assimile pas au corps, si elle est rejetée aussitôt que prise. Rien n’entrave une guérison comme de changer sans cesse de remèdes ; on n’arrive point à cicatriser une plaie où les appareils ne sont qu’essayés. On ne fortifie pas un arbuste par de fréquentes transplantations. Il n’est chose si utile qui puisse l’être en passant. La multitude des livres dissipe l’esprit. Ainsi, ne pouvant lire tous ceux que tu aurais, c’est assez d’avoir ceux que tu peux lire. « Mais j’aime à feuilleter tantôt l’un, tantôt l’autre. » C’est le fait d’un estomac affadi, de ne goûter qu’un peu de tout : ces aliments divers et qui se combattent l’encrassent ; ils ne nourrissent point. Lis donc habituellement les livres les plus estimés ; et si parfois tu en prends d’autres, comme distraction, par fantaisie, reviens vite aux premiers. Fais chaque jour provision de quelque arme contre la pauvreté, contre la mort, contre tous les autres fléaux ; et de plusieurs pages parcourues, choisis une pensée pour la bien digérer ce jour-là. »


Pourtant on m’a toujours dit : «  Mieux vaut savoir un peu sur beaucoup de choses que beaucoup sur pas grand-chose. » Du coup, j’avoue avoir eu une forte tendance au papillonnage littéraire, notamment à l’époque où j’ai commencé ce blog et découvert la blogosphère. Mais finalement, ça s’est essoufflé et j’ai maintenant envie de me concentrer aussi sur quelques auteurs, de lire toute leur œuvre et de m’en imprégner. 

Mais se posent alors les questions suivantes : Quels auteurs choisir ? Est-ce que je ne risque pas de rater des auteurs et des lectures très enrichissantes si je fais de mauvais choix ?
Je me souviens d’avoir eu une discussion similaire avec Auriane. La vie est courte, la production littéraire immense. On ne peut pas tout lire ( malheureusement !) et il faut donc faire des choix. Mais encore faut-il faire les bons et avoir assez papillonné et découvert pour se faire une idée de ce qui nous correspond le mieux. Voilà qui rejoint la 3ème règle de Maurois. 

Concernant la 2ème règle, elle a été largement débattue déjà ici ou là. Je reconnais être plutôt d’accord avec Maurois. Et c’est une des raisons qui font que je ne me sens plus à ma place sur la blogosphère. Je ne lis quasiment plus de contemporains et encore moins de nouveautés ( j’ai même abandonné les partenariats) et je ne trouve plus de blogs qui correspondent à mes goûts : les classiques. Vous me direz quel est l’intérêt de bloguer sur des œuvres qui ont déjà fait l’objet de tant d’études et de la part de personnes bien plus qualifiées que nous ? Certes, mais voilà, c’est ce que je cherche, discuter des grandes œuvres. Connaître les avis sur les récentes parutions ne m’intéresse plus. J’ai peut-être tort de laisser complètement de côté les nouveautés mais j’ai fait ce choix en me disant que les « Anciens » ont déjà répondu aux questions que je me pose et que leurs réponses ont été assez pertinentes pour nous parvenir à travers les siècles alors autant leur faire confiance.

Parce que oui, je ne lis pas simplement par plaisir ni pour me divertir. Une bonne histoire bien racontée ne me suffit plus ( même si de temps en temps je ne dis pas non mais je suis alors hyper exigeante). Je lis pour comprendre le monde qui m’entoure, comprendre la nature humaine, pour ma culture personnelle, pour le goût de la réflexion et parce que j’aime me faire des nœuds au cerveau (tendance maso) et que j’aime apprendre.

C’est pour ses raisons que, concernant la règle 4, je ne peux pas lire n’importe où. J’ai besoin de calme, de pouvoir me concentrer sur ma lecture sur une longue durée. Je suis incapable de lire dans les transports ( ou alors il me faut un trajet de minimum une heure sans correspondance). J’ai besoin de pouvoir m’installer confortablement et d’avoir tout sous la main : stylo, papier pour noter, de quoi boire et manger etc… ça me rappelle d’ailleurs l’incipit de Si par une nuit d’hiver un voyageur d’Italo Calvino. C’est exactement ça.


« Si par une nuit d'hiver un voyageur …Tu vas commencer le nouveau roman d'Italo Calvino, Si par une nuit d'hiver un voyageur. Détends-toi. Concentre-toi. Écarte de toi toute autre pensée. Laisse le monde qui t'entoure s'estomper dans le vague. La porte, il vaut mieux la fermer; de l'autre côté, la télévision est toujours allumée. Dis-le tout de suite aux autres : « Non, je ne veux pas regarder la télévision ! » Parle plus fort s'ils ne t'entendent pas : « Je lis ! Je ne veux pas être dérangé. » Avec tout ce chahut, ils ne t'ont peut-être pas entendu : dis-le plus fort, crie : « Je commence le nouveau roman d'Italo Calvino ! » Ou, si tu préfères, ne dis rien ; espérons qu'ils te laisseront en paix. Prends la position la plus confortable : assis, étendu, pelotonné, couché. Couché sur le dos, sur un côté, sur le ventre. Dans un fauteuil, un sofa, un fauteuil à bascule, une chaise longue, un pouf. Ou dans un hamac, Si tu en as un. Sur ton lit naturellement, ou dedans. Tu peux aussi te mettre la tête en bas, en position de yoga. En tenant le livre à l'envers, évidemment. Il n'est pas facile de trouver la position idéale pour lire, c'est vrai. Autrefois, on lisait debout devant un lutrin. Se tenir debout, c'était l'habitude. C'est ainsi qu'on se reposait quand on était fatigué d'aller à cheval. Personne n'a jamais eu l'idée de lire à cheval ; et pourtant, lire bien droit sur ses étriers, le livre posé sur la crinière du cheval ou même fixé à ses oreilles par un harnachement spécial, l'idée te paraît plaisante. On devrait être très bien pour lire, les pieds dans les étriers ; avoir les pieds levés est la première condition pour jouir d'une lecture. »


Donc voilà, pas de lecture dans les transports, pas de lecture aux cabinets ni dans les salles d’attente pour moi.

J’espère que tout ce qui précède ne sera pas interprété comme étant du snobisme littéraire. Je tenais juste à vous exposer ma conception de la lecture et, peut-être, ainsi vous comprenez mieux mon éloignement de la blogosphère.
Toutefois, je me pose encore la question de la fermeture définitive de ce blog. L’envie de conserver une trace de mes lectures ne se discute pas mais pourquoi le faire via le blog ? Pour l’échange. Mais quand d’échanges il n’y a point, à quoi bon ? Ce blog est très peu fréquenté et les personnes ayant des goûts et des lectures similaires assez rares. Et c’est sans compter le temps passé ( perdu ?) à écrire des articles, la pression que je me mets toute seule pour écrire des articles assez construits et qui m’invite surtout à procrastiner …

Je tiens à remercier chaleureusement tous mes lecteurs et ceux à qui je dois mes plus belles découvertes depuis l’ouverture de ce blog. Je pense à Jérôme et Marie notamment mais il y en a d’autres. Je remercie aussi les éditeurs qui m’ont accordé leur confiance.

N’hésitez surtout à me dire ce que vous pensez de tout ça, vous pouvez aussi reprendre le texte de Maurois, en faire un tag, que sais-je … Et si par hasard vous vous trouvez dans des dispositions identiques aux miennes, manifestez-vous ! Je vous accueillerais à bras grands ouverts !




vendredi 7 août 2015

Fatima - Marek Halter





Pour ce deuxième volet de sa trilogie sur les femmes de l’islam, Marek Halter a choisi pour figure féminine centrale Fatima la fille issue de l’union du prophète et de Khadija.
Le récit prend la suite du premier tome puisqu’il s’ouvre sur l’enterrement de Khadija et se referme  sur la victoire des médinois à Badr et sur la naissance d’Hassan, le fils de Fatima et Ali.
Au contraire de Khadija, dont je connaissais déjà un peu l’histoire et la personnalité, j’ignorais tout de Fatima. Dans les livres sur l’histoire de l’islam que j’ai pu consulter jusqu’à présent, elle est très peu évoquée et c’est une bonne idée qu’a eu Marek Halter de lui consacrer un des tomes de sa trilogie.
Dans Khadija, l’auteur avait déjà eu l’occasion de nous parler de cette enfant au caractère bien trempé de garçon manqué. Ce trait de personnalité se confirme avec l’âge et on découvre alors une jeune femme qui refuse et rejette sa condition. Fatima veut s’habiller en homme, se comporter en homme et combattre comme un homme. Si, enfant, son entêtement prêtait à sourire et amusait les proches du prophète, ce n’est plus le cas par la suite et Fatima doit rapidement se plier et se conformer à ce qu’on attend d’elle.
Dans ce deuxième tome donc, Marek Halter s’attache à nous décrire la personnalité de Fatima, sa place dans la famille et la communauté, sa relation fusionnelle avec son père dont elle ne veut s’éloigner d’un pouce. Un amour pour son père si fort qu’elle acceptera difficilement l’union de celui-ci avec Aïcha, se sentant délaissée au profit de la jeune épouse.
Tout autour de ce duo paternel, les intrigues, les querelles et les jalousies marquent l’histoire de la constitution du noyau des compagnons du prophète confrontés à la rancœur et la haine des mecquois.
C’est l’époque des premières persécutions, le prophète est victime d’une tentative d’assassinat, ses deux filles sont répudiées. Les musulmans tentent de trouver de l’aide, d’abord auprès du roi chrétien des abyssins puis des habitants et la communauté juive de Médine. On suit alors les premiers musulmans lors de l’Hégire et leur arrivée à Médine, les accords passés avec la population locale, la réconciliation et le ralliement de certains habitants juifs. Mais l’installation est difficile, le climat rigoureux, les points d’eau très éloignés. Les mecquois ont perdu toutes leurs possessions, abandonnées derrière eux aux mains de leurs ennemis à La Mecque ce qui les amène à organiser la première razzia d’une caravane mecquoise.

J’ai pris plaisir à me replonger dans l’histoire des premiers musulmans à travers le regard de cette jeune femme forte qu’était Fatima. J’ai appris de nouveaux détails sur les événements mais aussi sur le quotidien des femmes de l’époque. J’ai hâte de me plonger dans le troisième et dernier volet consacré à Aïcha.

Un grand merci à  Cécile et aux éditions Robert Laffont pour leur confiance renouvelée.

samedi 25 juillet 2015

Moi, assassin - Antonio Altarriba et Keko




Je ne lis pas souvent de BD ni de romans graphiques,  voire même quasiment jamais. J’ai une fâcheuse tendance à repousser ( à tord) tout ce qui est trop vite lu. Et je dois dire aussi que le prix des romans graphiques est un gros frein à ma volonté de changer cette tendance. Vous me direz qu’il y a les bibliothèques. Sauf que dans la mienne, dès qu’un roman graphique m’intéresse, j’en ai pour 6 mois d’attente tant la liste de réservation est longue ( et les nouveautés n’en parlons pas, le temps que ce soit votre tour, elle n’est plus du tout une nouveauté).

Mais il se trouve que, ayant des points sur ma carte Gibert à utiliser, j’ai pu me faire un petit plaisir et je me suis donc procurée le roman graphique Moi, assassin d’Antonio Altarriba et Keko aux éditions Denoël Graphic. Pourquoi ce titre et pas un autre ? Un tweet des éditions Denoël le présentant a attiré mon attention. Et quand je me suis penchée sur le synopsis, je me suis dit qu’il me le fallait absolument. Ce synopsis, le voici :


« Enrique Rodríguez Ramírez est professeur d’Histoire de l’Art à l’université du Pays Basque (où Altarriba a enseigné la littérature française). À 53 ans, il est à l'apogée de sa carrière. Sur le point de devenir le chef de son champ de recherches, en proie aux rivalités académiques, il dirige un groupe d'étude intitulé : «Chair souffrante, la représentation du supplice dans la peinture occidentale.» Bruegel, Grünewald, Goya, Rops, Dix, Grosz, Ensor, Munch, Bacon sont ses compagnons de rêverie et la matière de son travail. Mais sa vraie passion, dans laquelle il s'investit à plein, est plus radicale : l'assassinat considéré comme un des Beaux-Arts. »


Moi qui me passionne pour l’histoire de l’Art et qui m’intéresse beaucoup à la question du Mal et de la cruauté, vous pensez bien qu’un tel sujet ne pouvait que susciter mon appétit !

Je m’attendais donc à trouver de nombreuses références culturelles et effectivement elles y sont, aussi bien dans le domaine de la littérature (romans, essais) que de la peinture dont Rodriguez Ramirez est un spécialiste. Seulement, il ne faut pas s’attendre à y trouver un bref résumé. Ces références ne sont souvent mentionnées que par leur titre, soit dans le corps de texte soit dans les dessins. Même si ça m’a un peu déçu au début, j’ai vite apprécié le fait d’avoir à chercher par moi-même de quoi il s’agissait. Et on se retrouve alors avec une belle pile de livres dans lesquels fureter.

La reproduction de certaines toiles est aussi impressionnante. J’ai redécouvert une partie de l’œuvre de Goya et vu sous un autre angle certaines toiles au sujet religieux. Certains dialogues entre les personnages proposent d’intéressantes pistes de réflexion sur le lien entre l’Art et la cruauté. Mais il faut avouer que le plus passionnant reste quand même la leçon d’Enrique Rodriguez Ramirez sur l’art de tuer, comment s’y prendre et pourquoi. On se surprend à acquiescer à la logique et la pertinence de certaines de ces idées et sa conception du meurtre. Il nous explique sa façon de raisonner et  pourquoi il fait de l’acte de tuer une activité artistique unique.

Plus globalement, les auteurs nous proposent une définition de l’Art loin de la conception académique qui le restreint à la notion de beauté et ne se limitent pas à ce seul sujet puisque l’action se situe dans un contexte politique et universitaire bien précis. Le poste d’Enrique est mis à mal par les querelles de départements sur la question du rôle et de la définition de l’Art. A tout ça s’ajoute les controverses autour de l’indépendance du Pays Basque et des activités de l’ETA.

Les dessins sont minimalistes, le noir et le blanc dominent, quelques touches de rouge attirent l’œil sur les organes, le sang et la pomme ( symbole du péché originel ?). J’avoue que le travail de Keko spécialiste du clair-obscur ne me plaisait pas particulièrement au début mais finalement j’ai trouvé qu’il apportait une touche de réalisme et était tellement en accord avec le sujet par sa concision et sa  noirceur que des dessins plus élaborés et colorés auraient dénaturé le tout en l’entachant d’un côté superficiel qui n’aurait pas été à son honneur.

Au final, Moi, Assassin est un très bon roman graphique, efficace et intelligent. Je déplore seulement la fin ouverte qui m’a laissée sur ma … faim.




mercredi 22 juillet 2015

La Perle et la Coquille - Nadia Hashimi





La condition des femmes en Afghanistan, Nadia Hashimi n’est pas la première à l’évoquer et on se demande bien ce qu’on pourrait apprendre de plus et d’où pourrait venir l’originalité d’un roman sur le sujet. Eh bien, Nadia Hashimi a su la trouver cette originalité.
La Perle et la Coquille met en parallèle le destin de deux afghanes liées par le sang à un siècle d’intervalle. 

Rahima est une jeune femme qui nous est contemporaine. Durant son enfance, sa famille lui a fait prendre le statut de bacha posh : lorsqu’une famille n’a pas de descendants mâles, on déguise une des filles en garçon. Ce procédé a de multiples avantages dans une société patriarcale où la femme reste cantonnée à la maison et à ses tâches ménagères. La petite fille ainsi transformée en petit garçon peut accéder à l’instruction en allant à l’école, peut courir et jouer librement dans la rue, peut effectuer les courses au marché pour sa mère, bref, en tant que bacha posh, Rahima goûte et savoure une liberté dont ses sœurs et sa mère sont privées.

Le destin bascule le jour où Rahima n’a plus l’âge de continuer à jouer cette comédie dont personne n’est dupe au village mais sur laquelle tout le monde ferme les yeux. C’est aussi ce moment que choisit son père pour la donner en mariage au seigneur de guerre pour lequel il travaille. Rongé par l’opium et condamné à la pauvreté, le père de Rahima se débarrasse ainsi de ses filles qu’il voit comme autant de bouches inutiles à nourrir.
Rahima devient alors la quatrième épouse d’un homme violent, sans cœur pour qui les femmes ne sont que des procréatrices et des esclaves domestiques. Au sein même du groupe des femmes de la maison, la jalousie et les brimades sont le quotidien de Rahima. Elle ne trouve son unique source d’apaisement et d’espoir que dans le récit que lui fait sa tante de la vie de son aïeule Shekiba. Un récit qui pour Rahima se révélera salutaire à plus d’un titre.

En effet, les destins des deux femmes comportent de multiples points communs malgré l’écart entre leurs époques. Les similitudes se retrouvent jusque dans la description des traditions religieuses et du statut de la femme en Afghanistan. J’ai longtemps pensé que le régime des Talibans n’avait été qu’une « nouveauté » dans l’histoire afghane, que l’islam rigoriste et extrémiste imposé par le régime atteignait pour la première fois de telles proportions. Mais le récit de Shekiba nous apprend qu’au XIXème siècle, les traditions barbares et le mépris du genre féminin officiaient déjà. Le port de la burka par exemple était déjà de mise alors que dans mon esprit il était une innovation des Talibans. La lapidation publique de la femme adultère faisait là aussi déjà partie des peines encourues et froidement appliquées.

Dans ce roman, la cruauté, l’injustice, la violence que subissent ces femmes nous nouent la gorge. Le style n’est certes pas des plus remarquables. On peut aussi lui reprocher d’être moins dans l’émotion que les romans de Khaled Hosseini. Pas de pleurs, d’apitoiement suscités chez le lecteur mais une profonde et sourde colère avec une étincelle d’espoir. Un espoir porté par ces quelques femmes qui osent parler  et affronter les hommes de leur entourage, ces autres qui ont le courage de dénoncer les magouilles politiques et la corruption d’un parlement simulacre mais signe des premiers pas du pays vers la démocratie. 

J’ai compris grâce à ce roman que le régime des Talibans n’était qu’un retour à d’anciennes traditions et pratiques, que l’Afghanistan des années 70 n’avait été qu’un court répit mais qu’il avait été possible. Tout comme avait été possible la réforme apportée par la montée au pouvoir du shah Amanullah Khan dont l’épouse a osé pour la première fois ôter son voile en public.
La Perle et la Coquille est donc un magnifique roman dont la lecture nous apprend énormément. L’histoire de Shekiba nous transporte dans le temps dans un Afghanistan aux airs des Mille et Une Nuits. Par chapitres alternés, le sort de Rahima répond à celui de son ancêtre et modèle. L’exemple de ces femmes au courage extraordinaire, l’importance de l’instruction, la volonté d’hommes à l’esprit ouvert constituent la base d’un possible changement. L’Histoire l’a prouvé, ce changement peut se reproduire de nouveau. 

Je ne peux donc que vous conseiller ce roman porteur d’espoir et qui offre une autre vision originale de l’Afghanistan, de sa culture et de ses mœurs, de sa vie politique. Vous plongerez dans le quotidien cruel et misérable des femmes afghanes, vous connaîtrez l’enfermement, vous arpenterez les couloirs du palais du Shah, vous assisterez aux séances parlementaires,  et surtout vous remercierez Dieu/la chance/le destin/le hasard de vous avoir fait naître en occident.

Un grand merci à Babelio et aux édition Milady pour ces belles heures de lecture.